Chanson du pont
A lundi, salut les outils !A lundi, salut les machines !Et dormez bien, les apprentis,De tous vos sommeils de l’usine !On embauche, eh ! les compagnons,Pour un rêve entre deux semaines.Mais rêver sans morte-saisonFerait plus légère la peine.Sous un ciel qui n’aurait plus peurDes sirènes qu’on eût fait taire,On oserait croire au bonheurEn allant gagner son salaire.Quant à la chaîne, promenoirD’un vieux mal sourd et sans parole,On y ferait passer l’espoirDe main en main, comme une obole.Plus de faux-frère dans ton dosLorgnant l’effort et la besogne.Plus à braconner du reposComme on prend lapins en Sologne.Fini de trimer dans l’ennuiTandis qu’en dormant la penduleMarche sans voir où ça conduit,A la façon d’un somnambule.Car attendez qu’on sache un jourPour qui, pourquoi l’on se fatigue,Tout deviendra geste d’amour,Rameur vers l’autre qui navigue…Rêvons qu’on peut vivre en rêvant,Laisser venir à nous les chosesEt travailler ne rien faisant.Ô, l’oisiveté de la rose !Rêvons ! les heures d’atelierNe laissent qu’un tas de limaille.Le temps est là, débris d’acier,Toute une vie à la ferraille.C’est lundi, salut les outils !C’est lundi, salut les machines !Nous voilà, fronçant les sourcils,Et vous nous faites grise mine.
Le pain des ans
Ce qui rend ce monde éprouvant,C’est la faim qui tire en avantVers un labeur morne et sans cause.Refuse de suivre qui l’ose.Un pas derrière, un pas devant,C’était moi quand j’avais seize ans.Et pour des heures, porte close.Les yeux implorent le cadran.Que gagne-t-on en nous privantDe notre part de grandiose ?Temps de la Pâque ou de l’Avent,Il n’est pour nous que de la prose.Le merveilleux ni le mouvantNe viennent guère s’ensuivant.Faudrait quelle métempsychosePour naître au monde de la roseEt pour trouver en nous levantL’espoir dans la rose des vents ?Hantés de souvenirs moroses,Avec nos jours passés au van,Gris est le pain de nos vieux ans.
Claude Le Maguet