Un membre de notre fédération a reçu — par une voie qu’il est inutile d’indiquer — la lettre suivante, écrite par un condamné politique qui attend , au château d’Oléron, le navire qui doit l’emporter vers la Nouvelle-Calédonie avec ses compagnons d’infortune. On verra par cette lettre comment sont traités les vaincus de la Commune dans les prisons de la République :
Bastille du Château d’Oléron,
le 13 septembre 1872
Mon cher Guillaume,
J’ai eu connaissance de votre participation au congrès de la Haye ; nous vous remercions tous de vos témoignages de, sympathie envoyés aux captifs de nos immortels principes, vous en êtes les défenseurs : à vous la lutte, à nous les souffrances, à nous de rester dignes en vous contemplant et en gardant l’espoir.
Dans la triste situation où nous sommes, après les infâmes cruautés que nous subissons depuis longtemps, notre santé s’altère chaque jour, par ces souffrances physiques et morales, les privations de tout genre pour n’importe quel motif. Lorsqu’il plaît aux directeurs de nous rendre victimes de leur autorité arbitraire. tous les moyens leur sont bons, même les plus lâches que tout homme de cœur rougirait d’employer.
C’est au point de vue de l’humanité, que nous protestons de tente notre énergie contre l’inqualifiable conduite de M. le directeur d’Oléron et des employés de son administration et nous demandons au nom de la justice et du droit, si l’autorité supérieure veut éviter de graves malheurs, qu’elle apporte ici sa haute intervention afin d’empêcher un conflit inévitable.
Nous demandons le changement du directeur M. Ferrand, de son greffier M. Santini, et de son gardien-chef M. Marasset, trois infâmes personnages dont la place serait mieux choisie dans les bagnes qu’ici, où toute leur faible intelligence s’applique à martyriser des citoyens, qui quoi qu’on en dise n’ont eu qu’un tort, celui de vouloir conserver et fonder le gouvernement actuel, la République. C’est à la face du pays que nous les accusons de volet détournement des deniers de l’État ; de détournement des fonds particuliers destinés aux déportés, d’assassinats froids, par la lente agonie que nous font subir ces trois odieux individus.
Nous nous étonnons et à juste titre que le gouvernement de la République et la France souffrent de pareilles atrocités, alors qu’il ne faudrait qu’un geste, qu’un signe, pour y mettre ordre.
Fiers de notre droit et de la justice de nos réclamations, nous vouons, à la flétrissure les trois noms cités ci-dessus, persuadés que tôt ou tard le triomphe de notre cause fera justice de nos bourreaux !
Je résume et explique ainsi qu’il suit l’accusation directe que je porte contre les nommés Ferrand, directeur, Santini, greffier, et Marasset, gardien-chef, chacun en ce qui les concerne :
Il a donc tenté de faire répandre le sang des déportés désarmés et inoffensifs en dénaturant leurs réclamations par une tentative soudoyée par lui (la révolte). Ce qui heureusement n’a pas eu lieu, grâce au courage et au sang-froid que plusieurs d’entre nous avaient juré de garder en présence de toutes les vexations qui pourraient nous être adressées. Il résulte donc de ces faits que la Direction du dépôt d’Oléron a menti à l’autorité civile et militaire et que sa ligne de conduite était celle-ci : Exciter les soldats contre nous, en insinuant que des complots de révolte et d’évasion étaient à l’ordre du jour et devaient être mis à exécution incessamment, puis pour appuyer ces calomnies, avoir distribué aux soldats une partie de nos vivres, afin de les pousser à une répression sanglante, dictée par sa haine et sa barbarie, bien connues par les malheureux détenus qui ont été sous sa direction. — Nous disons pour l’acquit de notre conscience et pour rendre hommage à la vérité, que les susdits projets de révolte n’ont jamais existé que dans l’imagination malveillante de la direction Ferrand et que ce ne pouvait avoir que le but infâme de noyer ses atrocités dans le sang de ses victimes, et par ce moyen sanguinaire les enfouir dans la tombe accompagnés de leurs témoins.
— D’avoir également par des insinuations malveillantes, détourné le docteur de ses devoirs de médecin ; pour arriver à ce but, la calomnie fut également mise en jeu.. Par ce fait les malades qui étaient au cachot et au nombre de vingt-quatre, n’ont pu voir le docteur qu’une seule fois, saris éprouver pour cela aucun soulagement, la visite qui leur fut faite resta sans résultats. En défendant la visite du cachot où avaient été jetés des hommes gravement malades et en les privant de vivres, la direction est coupable de tentative de meurtre avec guet apens et préméditation ; en ajoutant à ces souffrances celles d’être privés d’air, il était impossible qu’une grave atteinte ne fût portée à la santé des malheureux qui étaient traités de la sorte ; pour 24 personnes le cachot a six mètres de long et trois de large, il reçoit le jour par un soupirail de trente centimètres de long sur 10 de large, ce qui ne donne pas suffisamment d’air pour 24 personnes ; la voûte et les murs suintent l’eau.
Antérieurement à l’arrivée de mon détachement venu de Saint-Martin de Ré, qui était de trente déportés, des hommes en quantité ont été mis dans cet horrible lieu et y ont séjourné quinze, vingt et trente jours, plusieurs citoyens y sont devenus fous, d’autres y ont ruiné leur santé. À qui doit-on tant de malheurs ? sur qui retombe cette responsabilité ?
La réponse n’est pas difficile à faire. Ferrand, toujours Ferrand ; et à qui veut-on que ce soit ? N’est-ce pas lui qui depuis seize mois s’est donné la tâche de martyriser les citoyens qui n’ont eu qu’un tort, celui d’être vaincus ? N’est-ce pas de lui que pouvait sortir une amélioration que réclamait l’humanité, quand même le principe d’Égalité qui n’est encore malheureusement qu’une utopie pour la majorité des hommes, lui fut complètement inconnu ?
La publicité seule peut faire cesser l’abus. La France et l’Étranger doivent connaître ce qui se passe à la Bastille d’Oléron.
Nous avons protesté de toutes nos forces, nous n’avons plus d’espoir que dans la presse, toutes nos correspondances doivent être saisies à la, poste : le directeur des postes serait-il à la merci du nôtre ? toutes les lettres que nous avons adressées à l’autorité supérieure, nous n’en avons pas reçu de réponse. L’infamie serait à son comble !!!
Au nom de l’humanité et de tous mes malheureux compagnons d’infortune, je vous prie de donner la plus grande publicité possible à la présente, c’est là but notre espoir !
Une poignée de main fraternelle de ma part à tous nos amis.
À l’heure où j’écris on vient de nous enlever un de nos amis et on le conduit au cachot, nous en ignorons encore le motif.
On veut essayer de m’y conduire, mais la leçon me sert et je ne me laisse pas prendre à leur piège grossier. 24 de mes amis sont privés comme moi de nourriture et pour vivres nous faisons un siège en règle aux rats qui sont gros comme des chats.
Voilà nos ressources. et tout cela se passe en France en plein 1872, à des détenus politiques !
Recevez, cher ami, l’expression de mes fraternelles sympathies en attendant le plaisir de vous revoir.
Votre tout dévoué ami