Mon Franc parler
(3e série), par F. Coppée, 1 vol., 3 F
50, chez Lemerre, 23, passage Choiseul.
Mon Franc parler est un
recueil d’articles parus, dans le Journal, pendant le cours de
l’année écoulée. Articles faits sur les
événements du jour ; il y a donc un peu de tout :
la mort de l’homme « célèbre »,
le suicide du purotin, le cas de misère trop scandaleux, qui
fait crier ; tout est bon au « poète des humbles »
pour verser des torrents de larmes attendries sur les malheurs de la
plèbe, s’apitoyer sur le sort des travailleurs, exalter leurs
sentiments d’abnégation et de résignation, et, en même
temps, faire honte, aux bourgeois, de leur avarice, de leur âpreté
à la curée, de leur insensibilité, en les
anathémisant, au nom de la charité et de l’humanité !
Et, une fois que
l’auteur s’est vidé de ses « larmes amères »
sur les malheurs des déshérités, lorsqu’il a
bien sécrété sa bile sur les pharisiens, il met
une sourdine à ses réclamations et récriminations,
il ne voit plus dans tout cela qu’un prétexte à prêcher
l’humilité, la patience, l’abnégation et la résignation
à ceux qui crèvent de faim !
Mais au nom de qui, au
nom de quoi, prêcher la soumission et la résignation ?
Il n’y a plus de Dieu, on l’a ôté de l’éducation,
gémit le prédicant, il n’ose plus offrir le Paradis
dans l’autre vie, et il fait un nouveau procès à la
bourgeoisie, qui a enlevé, aux miséreux, cette fiche de
consolation.
Ce n’est pas que
l’auteur y croit beaucoup, à ce Dieu, à cette vie
future. Pour la forme, il essaie bien de persuader qu’il regrette
énormément le temps « où il avait la
foi », cet oreiller si commode ; personnellement, il
s’accommoderait fort bien de sa disparition. Mais ce qu’il ne
pardonne pas à la bourgeoisie, c’est d’avoir enlevé,
aux endormeurs de souffrances, ce soporifique qui ne leur coûtait
rien et leur donnait quelque chose à promettre à ceux
qui crèvent de faim. Promesse qui ne pouvait créer de
mécontents, car personne n’en était revenu dire si elle
avait été réalisée ou non.
Et ils sont une foule de
ces vieux et néo-déistes qui « regrettent
les temps où ils avaient la foi », preuve qu’ils ne
l’ont plus ; qui ne tiennent même pas plus que cela à
la retrouver pour eux-mêmes, mais qui voudraient bien la faire
refleurir dans le cerveau des exploités, afin d’être
assurés de leur patience.
M. F. Coppée a,
dernièrement, élevé la voix en ma faveur ;
l’acte de solidarité intellectuelle qu’il accomplit jadis à
mon égard, m’incite à une très grande courtoisie
envers lui, et je ne voudrais pas lui dire des choses désagréables.
Mais la vérité me force, pourtant, à lui dire
qu’il accomplit là une besogne bien néfaste.
Qu’y a‑t-il de plus beau
que le respect de soi-même, la conscience de sa propre dignité,
la fierté personnelle qui ne plie devant personne, mais
n’accepte pas non plus que personne plie devant soi ? Si tous
les individus s’étaient platement prosternés devant les
tyrannies passées, les progrès humains se seraient-ils
accomplis ?
Eh bien, c’est cet
avachissement que préconise M. Coppée aux travailleurs,
c’est à rabaisser leur caractère, en leur conseillant
de tendre la joue droite, après que la gauche a été
frappée, qu’il utilise sa plume.
« On vous
exploite, on vous opprime », dit-il à ceux que
lui-même nomme les « humbles », « on
fait fi de votre dignité de femme ou d’homme, la société
vous triture comme des choses inertes, cela est injuste, cela est
inique, mais acceptez tout cela avec résignation, en vous
imaginant, si vous le pouvez, que vous en serez récompensés
dans une vie meilleure. En tout cas, pensez que votre misère,
fait le luxe d’une classe d’élite et que votre abnégation
est utile à l’épanouissement de ces entités :
l’Art, le Beau, la Science, l’Industrie, la Société ! »
Des amis qui connaissent
M. Coppée nous affirment qu’il est sincère. Tant mieux
pour lui, cela lui épargnera beaucoup de remords du jour où
il s’apercevra du rôle néfaste que pourrait remplir son
œuvre.
― O
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L’Armature, par
P. Hervieu, 1 vol., 3 F 50, chez A. Lemerre, 23 – 31, passage
Choiseul.
Nos lecteurs du
Supplément, par l’extrait que nous avons déjà
donné de ce livre, savent ce que l’auteur entend par le mot
« armature ».
On s’accorde à
reconnaître que M. P. Hervieu, par sa situation, ses relations,
est à même, mieux que qui que ce soit, de connaître
et d’étudier ce que l’on est convenu d’appeler le « monde ».
Ce sont les mœurs de ce monde-là que M. Hervieu a entrepris
de nous faire connaître, dans Peints par eux-mêmes
d’abord, dans l’Armature ensuite.
Nous qui ne connaissons
le « monde » que par ce qu’en racontent ceux
qui le fréquentent, nous sommes forcés d’avouer que ce
« monde » qui a tout : fortune, éducation,
situation, relations, protections pour vivre d’une vie tranquille,
nous donner l’exemple de la moralité, du désintéressement,
de la solidarité, et de toutes les vertus sociales, est, lui
aussi, gangrené, pourri, vénal jusque dans les
relations familiales, et que la vénalité même de
l’amour s’y exerce avec autant d’intensité, sinon plus que
dans les « mondes » où la chasse à
la pièce de cent sous est obligatoire pour vivre.
J. Grave