La Presse Anarchiste

Témoins intemporels

On
a quelque peine à voir, je l’avoue encore, ceux qui
labourent dans la disette, ceux qui ne pro­duisent rien dans le luxe ;
de grands pro­prié­taires qui s’approprient jusqu’à
l’oiseau qui vole, et au pois­son qui nage ; des vassaux
trem­blants qui n’osent déli­vrer leurs mai­sons du sanglier
qui les dévore des fana­tiques qui vou­draient brû­ler tous
ceux qui ne prient pas Dieu comme eux ; des vio­lences dans le
pou­voir, qui enfantent d’autres vio­lences dans le peule ; le
droit du plus fort fai­sant la loi, non seule­ment de peuple à
peuple, mais encore de citoyen à citoyen.


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Je
serais curieux de savoir s’il reste encore quelque trace de
l’ancienne langue des brah­manes. Les brah­mines d’aujourd’hui se
vantent de la savoir ; mais entendent-ils leurs Védas ?
Est-il vrai que les natu­rels de ce pays sont natu­rel­le­ment doux et
bien­fai­sants ? Ils ont du moins sur nous un grand avantage,
celui de n’avoir aucun besoin de nous, tan­dis que nous allons leur
deman­der du coton, des toiles peintes, des épi­ce­ries, des
perles et des dia­mants, et que nous allons, par ava­rice, nous battre
à coups de canon sur leurs côtes.

Pour
moi, je n’ai pas encore vu d’Indien qui soit venu livrer bataille
à d’autres Indiens en Bre­tagne et en Nor­man­die, pour
obte­nir, le crish à la main, la pré­fé­rence de
nos draps d’Abbeville et de nos toiles de Laval.


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Il
me paraît que les grâces et le bon goût sont bannis
de France, et ont cédé la place à la
méta­phy­sique embrouillée, à la poli­tique des
cer­veaux creux, à des dis­cus­sions énormes sur les
finances, sur le com­merce, sur la popu­la­tion, qui ne met­tront jamais
dans l’État un écu ni un homme de plus. Le génie
fran­çais est per­du ; il veut deve­nir anglais, hollandais
et alle­mand ; nous sommes des singes qui avons renon­cé à
nos jolies gam­bades pour imi­ter mal les bœufs s et les ours.


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Mon
cher et illustre phi­lo­sophe, je ne sais d’autre anec­dote sur M.
l’abbé d’Olivet, sinon que quand il était notre
pré­fet aux jésuites, il nous don­nait des claques sur
les fesses par amu­se­ment. Si M. de Condillac veut pla­cer cela dans
son éloge, il fau­dra qu’il fasse une petite dis­ser­ta­tion sur
l’amour platonique.


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Je
vous remer­cie, Mon­sieur, de tout mon cœur de votre
Biblio­thèque
impar­tiale, et sur­tout d’avoir don­né l’Éloge de
madame du Châ­te­let, femme digne des res­pects et des regrets de
tous ceux qui pensent.

Il
y a une étrange faute, page 114 
: Elle se livrait au
plus grand nombre, au lieu de au plus grand monde. Vous sen­tez
l’effet de cette méprise. Je vous demande en grâce de
répa­rer cette faute dans votre autre jour­nal, et de vouloir
bien la cor­ri­ger à la main dans votre
Biblio­thèque
qui ces­se­rait bien d’être impar­tiale, si pareille méprise
favo­ri­sait les mau­vaises plai­san­te­ries de ceux qui res­pectent peu les
sciences et les dames.


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Votre
par­le­ment de Tou­louse… res­semble… à ce capi­taine suisse
qui fai­sait enter­rer les bles­sés pour morts, et qui s’écriait
sur leurs plaintes : « Bon, bon, si on vou­lait croire
ces gens-là, il n’y en aurait pas un de mort. »


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Pour
moi, j’ai un régi­ment entier à Fer­nay. Les grenadiers
ni les capi­taines ne se sou­cient que fort peu de géométrie,
et quand je leur dis que la Sor­bonne veut écrire contre
Béli­saire [[Un livre qui venait de paraître.]], ils me demandent si Béli­saire est
dans l’infanterie ou la cava­le­rie. Cepen­dant la rai­son perce jusque
dans ces têtes peu pen­santes, et occu­pées de demi-tours
à gauche.


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La
tra­gé­die qu’on joue en Bohême n’est pas encore à
son der­nier acte. La pièce devient très implexe.
J’espère que le vain­queur de Mahon y joue­ra un beau rôle
épi­so­dique. Celui des peuples, qui repré­sentent le
chœur, sera tou­jours le même ; ils paie­ront tou­jours la
guerre et la paix, les belles actions et les sottises.


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Ma
bonne amie de Rus­sie vient de faire impri­mer un grand mani­feste sur
l’aventure du prince Iwan, qui était en effet, comme elle le
dit, une espèce de bête féroce
. Il vaut
mieux, dit le pro­verbe, tuer le diable, que le diable nous
tue. Si les princes pre­naient des devises comme autre­fois, il me
semble que celle-là devrait être la sienne. Cependant,
il est un feu fâcheux d’être obli­gé de se
défaire de tant de gens, et d’imprimer ensuite qu’on en
est bien fâché, mais que ce n’est pas sa faute. Il ne
faut pas faire trop sou­vent de ces sortes d’excuses au public.


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M.
le duc de Choi­seul m’a man­dé que feu M. de Meuse avait une
terre sur la porte de laquelle était gra­vé : A
force d’aller mal, tout va bien.

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