La Presse Anarchiste

Quatre poèmes

De mille feux [[Ce texte, primitivement intitulé « Poème pour reprendre vie », a été entre-temps inséré par Pierre Boujut dans son recueil Pour marcher sur la mer (aux éditions de La Tour de Feu, Jarnac).]] 

L’effrayante fai­blesse de la poésie
brille de mille feux.
Un poème n’empêche pas la guerre
une rose non plus
et toute la beau­té du monde
cir­cule vainement
dans les cris des furieux
dans le silence des imbéciles.

Mais si un poème ne change pas la vie
il peut mar­quer ton heure
dans les yeux des heureux
et mettre ta couleur
sur la cité des justes
et sous­traire à la mort
la voix du plus vivant.

Jar­nac, 18. 9. 60

Aux vaincus

Allons, n’aie pas peur mon camarade.
Si les bottes résonnent
si l’Ordre règne
si la médio­cri­té décou­ronne les mots
si les voix s’éteignent sous les bruits
rentre dans ta mai­son et allume ton feu.
Un grand feu de cou­rage à réchauf­fer l’Idée
une étin­celle rouge
à mar­quer les faussaires
une flaque de sang
à fleu­rir l’univers.
Invite l’avenir à man­ger avec toi
à boire dans ton verre
à tour­ner sur tes rêves.

Les mains vides

Vous qui n’avez jamais surpris
l’amour du ciel et de la mer
chan­tant mille soleils
à la sur­face l’un de l’autre.
Vous qui régnez sur les malheurs
d’une pla­nète divisée.

Enne­mis aux mains vides
enne­mis sans regard
habi­tants de la mort
et du morne miroir
votre ombre qui s’allonge
sur la cité des justes
ne dévore que vous
et vos tristes enfants.

Petit destin

Je n’ai écrit que des poèmes
j’ai des­ti­né mes sentiments
à la musique douce
à la folie tranquille.
J’ai cou­ron­né quelques idées
au conflit de la mer et de l’éternité.
J’ai décou­vert chez les images
une éten­due à pardonner.

Mais je n’ai pas compris
les hommes sans amour
qui vivent sur la terre
au pays des merveilles
et qui ne savent pas
qu’il faut payer d’amour
la beau­té du séjour.

Pierre Bou­jut

La Presse Anarchiste