La Presse Anarchiste

Le Libertaire reparaît

Après un silence qui lui fut impo­sé par les cir­cons­tances depuis Août 1939, LE LIBERTAIRE repa­raît enfin !

Il n’a pu le faire plus tôt, pour des rai­sons à la fois simples et flat­teuses pour le mou­ve­ment dont il est le moyen d’ex­pres­sion. En effet, en sep­tembre 1939, alors que la mobi­li­sa­tion géné­rale dis­per­sait les mili­tant, la réac­tion du gou­ver­ne­ment Dala­dier s’a­bat­tait sur notre mou­ve­ment ; et pour­tant, nous, nous ne pac­ti­sions en aucune façon avec l’hitlérisme.

Durant l’oc­cu­pa­tion alle­mande, la répres­sion s’é­tant aggra­vée et les arres­ta­tions mul­ti­pliées, la voix de la Rai­son ne pou­vait se faire entendre publiquement.

C’est alors que nous fîmes paraître clan­des­ti­ne­ment un bul­le­tin inté­rieur (LE LIEN) qui aida à notre regroupement.

Dans les colonnes de ce bul­le­tin, des ques­tions doc­tri­nales et tac­tiques furent débat­tues. La lutte anti­fas­ciste y trou­vait la large place qui lui reve­nait logi­que­ment, mais elle y était néan­moins appré­ciée à sa juste valeur car, jamais, elle ne nous appa­rût comme une fin en soi.

En effet, nous ne confon­dons pas les moyens et les agis­se­ments cir­cons­tan­ciels qui en découlent, avec les buts que nous poursuivons.

Liber­taires nous fûmes, liber­taires nous demeu­rons, liber­taires nous enten­dons demeu­rer quoi qu’il advienne.

Que les enne­mis de la liber­té, les oppres­seurs du peuple se suc­cèdent, notre posi­tion doc­tri­nale, elle, demeure inchan­geable. Si notre acti­vi­té peut varier dans ses formes, nos prin­cipes fon­da­men­taux ― n’en déplaise à cer­tains doc­tri­naires trop pres­sés ― sont immuables et ne sont pas à « réviser ».

En rai­son même de cette ferme déter­mi­na­tion d’ordre idéo­lo­gique, mal­gré la part active que nous avons prise à la lutte contre l’hit­lé­risme… ― forme exas­pé­rée du mili­ta­risme, du natio­na­lisme, et pro­ta­go­niste du racisme ― nous n’a­vons pas ces­sé de dire, en toutes occa­sions, ce que nous pen­sions du capi­ta­lisme et de tous les gou­ver­ne­ments. Ain­si, nous ne nous sommes jamais dépar­tis d’une posi­tion révo­lu­tion­naire qui est notre rai­son d’être.

Notre action « résis­tante » ne pou­vait donc se bor­ner à com­battre effec­ti­ve­ment la seule oppres­sion hit­lé­rienne, car elle dépas­sait, dans ses buts, les objec­tifs de tous les sec­teurs de la « résis­tance officielle ».

Et donc, si indi­vi­duel­le­ment ― notre haine pour l’op­pres­seur nous y pous­sant ― nous étions au pre­mier rang, et si bien des nôtres sont tom­bés dans cette lutte contre le nazisme, nous ne pou­vons, en tant que mou­ve­ment, pac­ti­ser avec la résis­tance dite « officielle ».

C’est en rai­son de cette atti­tude consé­quente et par­fai­te­ment logique que LE LIBERTAIRE n’a pu repa­raître plus tôt. Nous ne son­geons d’ailleurs pas à nous en plaindre auprès des repré­sen­tants du Pou­voir, car de tels obs­tacles nous font honneur.

– O –

Quels que soient nôtre dégoût et nôtre amer­tume en y son­geant, nous n’ou­blions pas que la guerre continue.

La lutte contre l’hit­lé­risme n’est pas ter­mi­née et doit être menée à bonne fin.

Nous pen­sons seule­ment, avec tris­tesse, que pas plus qu’un trem­ble­ment de terre ou une érup­tion vol­ca­nique, cette forme de guerre ne peut appor­ter une solu­tion défi­ni­tive au grand pro­blème social et humain.

Et donc, quand nous disons que la lutte contre l’hit­lé­risme doit être menée à bonne fin, nous n’en­ten­dons pas, par là, appor­ter une adhé­sion com­plète à toutes les formes que peut revê­tir cette lutte.

Qu’il nous suf­fise de pré­ci­ser qu’à chaque fois qu’elle se pré­sen­te­ra sous des formes garan­tis­sant le carac­tère éman­ci­pa­teur que nous vou­lons lui connaître, nous lui consa­cre­rons toutes nos forces. Mais nous ne devons pas oublier que, pour être effi­cace, la lutte contre le fas­cisme doit se faire sans le recours aux méthodes fas­cistes. Celles-ci, d’où qu’elles viennent, nous les condam­nons par avance et nous ne sau­rions leur don­ner notre appui.

– O –

Et que signi­fie la résur­rec­tion du LIBERTAIRE ?

Qu’il existe encore des esprits libres, qui ont su échap­per à l’emprise de tout ce qui se dégrade.

Que les grands prin­cipes de liber­té ont encore des défen­seurs désintéressés.

Que la poli­tique, qui salit tout ce qu’elle touche, n’a pu atteindre tous les milieux.

Et c’est avec orgueil, qu’en ce jour de repa­ru­tion, nous nous récla­mons d’un anar­chisme qui n’a rien per­du de son éclat car il n’a pas été souillé.

– O –

De la tour­mente qui paraît vou­loir s’a­che­ver bien­tôt, nôtre mou­ve­ment renaî­tra, vivi­fié, et prêt à une action plus vaste et plus féconde que dans le passé.

Les temps ont chan­gé. Les vieilles rou­tines devront dis­pa­raître. Et il nous appar­tien­dra désor­mais de savoir allier aux prin­cipes qui nous sont chers une méthode de pro­pa­gande qui leur per­met­tra de se répandre.

La vois de ce jour­nal ne sera puis­sante qu’au­tant que le mou­ve­ment dont il est l’ex­pres­sion sera lui-même puis­sant et cohé­rent. A époque nou­velle, méthode nou­velle. Nous sau­rons don­ner à cette for­mule sa pleine signification.

Pour que se réa­lise le fédé­ra­lisme liber­taire, qui sera la trans­po­si­tion des idées dans les faits, il importe avant tout, que ces idées soient divul­guées. Tout sera mis en oeuvre pour cela !

A l’heure où tous les sys­tèmes sans excep­tion, accusent une faillite reten­tis­sante ; alors que les per­son­na­li­tés les plus émi­nentes de la poli­tique et de l’é­co­no­mie contem­po­raines s’é­ver­tuent à cher­cher des remèdes inexis­tants pour gué­rir les États défaillants, le mou­ve­ment liber­taire sau­ra mettre à pro­fit le ter­rain fer­tile qui se pré­sent à lui.

Pour cela, il se mon­tre­ra capable d’a­bor­der tous les grands pro­blèmes avec une par­faite lucidité.

La pro­bi­té, consti­tuant une des grandes qua­li­tés essen­tielles su liber­taire, l’or­ga­ni­sa­tion veille­ra plus qu’elle ne le fit jamais à la mora­li­té de ses membres.

Des idées aus­si éle­vées que celles qui motivent notre acti­vi­té ne peuvent décem­ment être pro­pa­gées que par des indi­vi­dus dont le com­por­te­ment est conforme à l’i­déal dont ils se réclament.

Aus­si, à l’a­ve­nir, nos milieux n’é­tant plus ouverts à tout venant, nous sau­rons être plus sérieux qu’au­tre­fois dans le chois des concours dont nous devrons nous entourer.

Pour nous ache­mi­ner plus vite vers la grande famille humaine qui ne recon­naî­tra plus ni la contrainte ni l’hy­po­cri­sie ; le mou­ve­ment liber­taire sau­ra préa­la­ble­ment réa­li­ser dans son sein la vraie famille anarchiste.

Dans une ambiance fra­ter­nelle, grâce à la droi­ture et au dévoue­ment de cha­cun, ous tra­vaille­rons tous, pour une même cause.

La plus belle et la plus juste qui soit.

En repre­nant contact avec nos lec­teurs, c’est là le fier espoir que nous sommes heu­reux de pou­voir formuler.

Le Mou­ve­ment Libertaire

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