C’est
bien rare que j’aille au théâtre (parce que je l’aime
trop), encore plus rare que, j’en sorte brûlé d’autant
d’enthousiasme qu’après avoir vu ce Victor de Roger
Vitrac. Qu’ils sont donc pâlots, à côté,
nos actuels démolisseurs (qu’ils disent) des idées
reçues et des préjugés ! Pâlots et tristes.
Ici, rien ne résiste à la causticité endiablée
de la satire, mais en même temps le rire, lui aussi, est
irrésistible. Un drôle de rire, d’ailleurs, un rire
noir, à fond de néant et de poésie. Je ne
tenterai pas de résumer la pièce dans une si brève
note, d’autant que des critiques autrement qualifiés en ont
déjà dans toute la presse analysé la substance
et dit, pour l’exprimer d’un mot cher à Breton, la beauté
convulsive. Je dirai seulement l’étonnement, presque
réconfortant en somme, de constater que cette œuvre qui doit
tant au surréalisme et qui s’apparente si fort aux ambitions
d’Antonin Artaud (lequel fut le premier à la monter, en
1928), alors qu’elle n’avait connu jadis qu’un accueil
indifférent ou hostile, triomphe aujourd’hui et fait salle
comble dans le vieux théâtre du boulevard Saint-Martin.
Oui, le gros public marche. À force d’avoir reçu sur
la cafetière la dégelée de catastrophes que l’on
sait, les foules sont apparemment chez elles dans l’apocalypse. Et
c’est ce que vous trouvez réconfortant ? va-t-on me dire.
Oui, quand même, au sens où cela peut signifier que les
gens savent enfin un peu l’heure qu’il est. — Quant à
espérer qu’ils en profitent pour échapper au pire,
cela, je l’avoue, c’est une autre histoire.
S.