La Presse Anarchiste

Méditation

… Liber­té !… Liberté !… 

Que de mar­tyrs sur ta route sont tom­bés ! Serais-tu un
vain mot, et, éter­nel­le­ment, l’homme lut­te­ra-t-il pour
t’atteindre ?

Que de vic­times sur ton che­min ! Est-on près de
t’atteindre, vite tu fuis et dis­pa­rais à notre étreinte.
Pour­quoi cette infi­dé­li­té ? pour­quoi, depuis tant
de siècles, n’es-tu qu’un mirage ? quand donc
devien­dras-tu réa­li­té ? Réponds, quelles
rai­sons, quelles causes t’empêchent de régner parmi
nous ? 

L’homme, dit-on, n’est point prêt à te rece­voir, il
ne mérite pas tes faveurs. Quel est donc ce mérite ?
en quoi consiste-t-il ? que désires-tu ? Parle, il
le faut, afin que l’homme s’épanouisse au lieu de
s’étioler!…

Vois ! regarde la bêtise sociale : rien que lâcheté,
hypo­cri­sie, igno­rance, avi­lis­se­ment, misère et prostitution !
Ah ! mal­heur à toi, socié­té immonde par
qui, au sein de l’abondance, une par­tie meurt, faute du nécessaire,
tan­dis que l’autre, la plus minime, gas­pille ce qui eût pu
empê­cher la pre­mière de mourir ! 

On a pré­dit ta fin pro­chaine, je la souhaite ! 

Sur tes ruines, peut-être, un nou­veau monde renaî­tra, et
l’humanité ne sera plus un ramas­sis de brutes sans raison
qui, pires que les ani­maux, se laissent exploi­ter sans aucun
sen­ti­ment de révolte. 

Ta trans­for­ma­tion s’impose, il y va de ton salut… car, si
quelques siècles encore dure ton orga­nisme men­teur, ses
élé­ments, de plus en plus dégénérés,
s’atrophieront peu à peu vers l’anéantissement
défi­ni­tif… La vic­time de la vora­ci­té de tes
conven­tions arti­fi­cielles épui­se­ra l’homme jusqu’à
son der­nier souffle!… 

Liber­té, vois où en est l’humanité. Nous
t’attendons pour régé­né­rer cette exécrable
socié­té et par toi, bien­tôt ; nous nous relèverons
de cette ato­nie phy­sique et morale. 

Pour ta conquête, un long mar­ty­ro­loge s’inscrit sur tes
traces. Que te faut-il de plus ? Des ruis­seaux de sang ont
cou­lé… oui, des ruis­seaux qui, réunis, feraient des
fleuves et des mers… et tu pré­tends, insa­tiable, que nous ne
t’avons encore point payée assez cher ? Non, ce n’est
pas là ce qui t’a empê­chée de venir à
nous : les hommes ont tou­jours écou­té leurs
flat­teurs et ces flat­te­ries ont éga­ré leur raison.

…………………………………………………………..

Je te com­prends, sans la rai­son tu ne peux vivre par­mi nous ;
et, plu­tôt que d’être au sein de l’obscurité
et de l’erreur, tu pré­fères res­ter en ton antre
soli­taire où, du moins, atten­dant que nous soyons dignes de
toi, tu peux admi­rer la nature, dont tu fais par­tie intégrante.

Puis, n’es-tu pas toi-même la rai­son, la logique, la
lumière ? Com­ment et par quel stra­ta­gème la
lumière et la rai­son pour­raient-elles exis­ter au milieu des
ténèbres et de l’ignorance ? C’est
impos­sible ! Un silo ne peut s’éclairer des rayons du
soleil si nulle ouver­ture ne leur livre un pas­sage, il ne le peut, en
même temps qu’en ses pro­fon­deurs il garde toute son
obscurité ! 

Tu vien­dras, je le sens, le jour où nous t’aurons comprise,
telle que tu es, — pure et sans sophis­ti­ca­tion. Les vic­times pour
toi ne comptent pas. Seul, le savoir, essence pri­mor­diale qui donne
la volon­té, a du prix à tes yeux. Et, je le crois, la
volon­té et le savoir gui­dant les humains, tu ne fui­ras plus…
mais, la pre­mière, c’est toi qui ten­dras vers nous tes
ailes ; alors, et seule­ment alors, nous t’aurons méritée.

Adrien

La Presse Anarchiste