Dans
un article intitulé l’École devant la nation, un
rédacteur de la Coopération des idées
décrit ainsi qu’il suit l’état moral de notre France.
« Et
la nation recule, la vie nationale s’affaiblit, la décadence
se précipite.
« L’Esprit ?
La précocité sceptique, la blague ; l’égoïsme
de l’individu, la servilité des masses ; la badauderie, non la
curiosité ; la chauvinisme braillard, non le patriotisme franc
et sévère ; la chanson inepte suffisant à
l’esprit public ; les ouvriers mécontents, sans idéal,
et les paysans grossiers et égoïstes ; la légèreté
de l’esprit, la satisfaction béate et ignorante, l’optimisme
phraseur, cocarde des « bons citoyens» ; la frivolité
maîtresse du goût ; moins de journaux, de livres, de
revues qu’en Allemagne, en Angleterre ; le feuilleton, littérature
populaire : l’esprit des Athéniens de Démosthene :
bavards, confiants, aveugles.
« Le
caractère ? La peur du « qu’en dira-t-on », de
l’opinion, des sceptiques, des coquins ; l’adoration des puissances ;
le mensonge triomphant dans les mœurs, les gestes, les discours
publics ; l’injure, la calomnie, la mauvaise foi, la vénalité,
la violence dans la rue, le charivari dans les réunions, la
fanatisme hurlant des paroles maudites ; et la famille ruinée
d’adultères, de complaisances, dispersée et décentrée ;
la prostitution pénétrant toutes classes, tous
villages, dissolvant les familles ; les courtisanes, reines du pavé
et de la mode ; les gaudrioles, les « suppléments »,
lus dans les cafés, traînant dans tous les wagons, les
cafés-concerts pleins, et les temples où les foules
chaque jour, au milieu des rires gras, des fumées, des
crachats, des ardeurs empestées, et soulevant des millions de
verres chaque jour à sa gloire, officient sur la terre de
France — son plus bel autel — le culte du dieu Alcool ! Et les
« bars » s’attelant aux wagons même, abritant dans la
fuite des trains l’empoisonnement confortable, et des milliers
d’hommes célébrant à des heures solennelles
chaque jour le rite d’absinthe !
« L’Action ?
Toute la jeunesse se ruant aux bureaux, le travail manuel méprisé,
a la caserne, l’idée fixe de « tirer au flanc» ; aux
bureaux, la somnolence hiérarchisée : aux usines, la
routine vaniteuse ; aux chantiers de construction, des bateaux à
voile ; la peur générale de toute initiative et de toute
responsabilité ; une politique de gesticulations stériles.
Tout le travail national en crise ou en recul, nos colonies
exploitées par les étrangers, nos campagnes se vidant
aux villes épuisantes ; la retraite silencieuse sur les champs
d’énergie et de travail. La jeunesse ? Elle boit de l’absinthe,
elle pédale, elle lit le Vélo, elle emplit les
cafes-concerts, elle collectionne des timbres-poste !
« Et
pour les sourds, les aveugles, et les « bons citoyens »,
des chiffres :
« En
cinq ans : 2 milliards de commerce perdus sur 9.
« Et
chaque jour une bataille perdue : 1.600 hommes de moins en France
qu’en Allemagne.
« Si
ce n’est point la décadence, qu’est-ce donc que diminuer avec
une régularité terrible de nombre et de richesse ? De
quel autre nom nommer ce recul général d’un peuple dans
toutes les luttes de la force créatrice ?
« Tous
les chiffres qui mesurent notre activité et notre force
diminuent ; trois seulement augmentent :
« Le
chiffre du budget ;
« Le
chiffre des fonctionnaires ;
« Le
chiffre des cabarets.
« Et
aussi celui des certificats et des brevets de capacités ».
*
* * *
Tableau
poussé trop au noir, diront quelques-uns. Non pas. Seulement,
notre confrère oublie d’indiquer la cause réelle de ce
malaise profond qui envahit toutes les classes de la société ;
n’est-ce point une aspiration vers quelque chose de meilleur qu’on
essaye de satisfaire en s’adressant à ce qui ne satisfait pas ?
N’est-ce pas la plainte de l’humanité trompée par les
religions de forme, par les politiciens sans scrupules, par
les philosophies mensongères qui s’exhalent sans trouver
d’écho ? Pauvre humanité, comme tu as été
trompée par ceux en qui tu as mis toute ta confiance. Crois
en nous ont dit les philosophes et ils t’ont laissé mille
systèmes aussi hypothétiques les uns que les autres.
Crois en nous se sont écrié les politiciens et
ils ont abusé de ta naïveté pour se créer
un débouché à leur ambition. Crois en nous
ont proclamé les prêtres de tous les cultes et au lieu
du Christ Libérateur des âmes, Créateur de la
Terre nouvelle, Rédempteur moral et social, ils t’ont présenté
un dogme, une théologie, une citerne crevassée au lieu
d’une source d’eau vive. Tu meurs pour avoir cru en des hommes et
c’est à cause d’eux que tu cherches à terre ce qui ne
se trouve qu’en haut ! Souviens-toi que celui qui sème pour la
chair, moissonne de la chair la corruption, mais celui qui sème
pour l’esprit, moissonnera de l’esprit la vie éternelle.
E.
A.