La Presse Anarchiste

Mouvement social

Toul. ― Dans l’ar­mée, on le sait, le règne de l’ar­bi­traire est per­ma­nent. Le ser­gent Guillon du 148e de ligne, en gar­ni­son à Toul, vient d’en faire l’ex­pé­rience. Un paquet de jour­naux et de bro­chures dont le conte­nu était, paraît-il, désa­gréable au gou­ver­ne­ment ou aux Ramol­lots, lui avait été adres­sé. Le chef de gare, sans doute à la suite d’une dénon­cia­tion, ouvrit le paquet et, voyant ce qu’il conte­nait, aver­tit la police, laquelle infor­ma l’au­to­ri­té mili­taire. À cette nou­velle, s’cron­gnieu­gnieu ! le sang du com­man­dant de place ne fit qu’un tour et, incon­ti­nent, il ordon­na l’ar­res­ta­tion (!) du ser­gent Guillon. Celui-ci fut incar­cé­ré le len­de­main au fort d’E­cro­mer et mis au secret. On cher­cha un motif pour le faire pas­ser au conseil de guerre, et si on n’en trouve aucun, quoique l’in­gé­nio­si­té des juristes civils ou mili­taires soit sans limite, il pas­se­ra devant un conseil de dis­ci­pline, sera cas­sé de son grade et envoyé en Afrique, où, sans doute, l’at­tend le sort d’An­dréa­ni et de Decul­tit. Tout cela pour avoir recher­ché d’autres dis­trac­tions que la « soû­lo­gra­phie » et la mai­son de tolérance !

A.G.

― O ―

Ven­dôme. ― Nous avons revu des détails rétros­pec­tifs sur les per­sé­cu­tions dont furent l’ob­jet les anar­chistes, l’an der­nier, lors de la grande panique bour­geoise. Il est tou­jours bon de reve­nir sur ces faits, afin de bien mon­trer com­bien lâche devient la bour­geoi­sie quand la peur lui tenaille les entrailles.

On a tout mis en œuvre pour nous inti­mi­der et ter­ro­ri­ser les popu­la­tions dans nos loca­li­tés. Huit jours avant le coup de filet du 1er jan­vier à Paris, le 24 décembre, à 6 heures du matin, nous nous sommes vu réveiller par trois gen­darmes, accom­pa­gnés d’un offi­cier muni­ci­pal, qui se sont mis à fouiller les meubles, fai­sant main basse sur les lettres, bro­chures et jour­naux. Le com­pa­gnon Bre­ton était par­ti­cu­liè­re­ment visé comme ayant été l’or­ga­ni­sa­teur des confé­rences. Aus­si a‑t-il été gar­dé à vue, ain­si que sa com­pagne, de 6 heures du matin à 10 heures du soir, pen­dant que le par­quet de Ven­dôme fouillait les cor­res­pon­dances ; le 26 décembre, nous étions cinq, invi­tés à paraître devant le juge d’ins­truc­tion, accu­sés de faire par­tie d’une asso­cia­tion ayant pour but de por­ter atteinte à la pro­prié­té et aux personnes.

Qua­torze d’entre nous ont été l’ob­jet de per­qui­si­tions et com­pa­ru à l’ins­truc­tion qui a duré deux mois. Chez quatre, ou a per­qui­si­tion­né deux fois. Ce sont les nom­més Bre­ton, Chaillou, Char­re­tier et Philippeau.

Trois ont été condam­nés, l’un à trois ans, Huart, ins­ti­tu­teur, — Char­re­tier, vété­ri­naire, à deux ans, — Phi­lip­peau, à un an.

Le par­quet n’ayant, comme par­tout, pu éta­blir l’as­so­cia­tion de mal­fai­teurs, a, dans le cours de ses per­qui­si­tions, décou­vert, chez Char­re­tier, un manus­crit qui conte­nait la for­mule pour fabri­quer des explo­sifs : ils lui ont fait dire qu’il avait essayé de fabri­quer de la dyna­mite avec Phi­lip­peau et que le manus­crit… avait été écrit par Huart. Après deux mois de pré­ven­tion, nous avons appris par les jour­naux la ter­rible condam­na­tion pro­non­cée un mer­cre­di, tan­dis que les affaires cor­rec­tion­nelles sont jugées le ven­dre­di. Pour mieux ter­ro­ri­ser les pay­sans, les per­qui­si­tions ont été éche­lon­nées pen­dant deux mois et tou­jours avec trois gen­darmes à che­val. — Mais là ne devait pas s’ar­rê­ter l’in­ti­mi­da­tion ; les mar­chands de jour­naux ont été som­més de don­ner les noms de leurs clients. Leurs livres de comp­ta­bi­li­té ont été sai­sis et ne leur ont pas encore été res­ti­tués. Des lettres intimes ont été sai­sies chez des cama­rades, et sont res­tées au parquet.

Jugez main­te­nant de l’ef­fet pro­duit par­mi les pay­sans en voyant ce déploie­ment de forces inusi­té enva­hir le domi­cile de tra­vailleurs pai­sibles, seule­ment cou­pable l’a­voir osé se livrer à l’é­tude des ques­tions sociales qui, à notre époque, pas­sionne tout homme de cœur qui cherche à raisonner.

Aus­si est-ce par un haus­se­ment d’é­paules que l’o­pi­nion publique a accueilli ces vexa­tions policières. 

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