La Presse Anarchiste

Rumeurs et clameurs

L’ar­mée de la plume

M. Mau­rice Bar­rès, désin­volte, écrit dans l’Écho de Paris : « Du côté de Mont­di­dier, toutes choses se réta­blissent très bien. »

Ah ! Ce « très bien », comme il fait fi des sacri­fices humains ! Et comme on voit bien qu’il émane du par­le­men­taire au cœur sec qui, sans émo­tion, osa com­pa­rer les morts de la guerre aux cerises que l’on pié­tine dans les vergers !

Comme c’est beau, la guerre, ô Bar­rès, avec la vie des autres !

Si le mépris est grand des sol­dats pour les jour­na­listes, avouons que ceux-ci, qu’ils s’ap­pellent Dau­det, Her­vé au Bar­rès, ne l’ont pas volé.

« Tra­vail d’assassins »

En consta­tant les effets du bom­bar­de­ment de Paris par les avions alle­mands, M. Cle­men­ceau se serait écrié : « Ça, c’est du tra­vail d’assassins ».

Belle décou­verte, après quatre ans de mas­sacres sys­té­ma­tiques sur tous les fronts !

Qu’est-ce que la guerre, sinon du tra­vail d’as­sas­sin sur une échelle démesurée ?

Nous enten­dons bien que M. Cle­men­ceau veut éta­blir une dif­fé­rence entre le meurtre d’un sol­dat et celui d’un civil.

On s’est habi­tué à tenir pour nor­male la guerre qui ne tue que des sol­dats. La guerre ne devient bar­bare qu’au moment où elle est faite à ces bons civils dont tant d’entre eux crient : « Jus­qu’au bout ! » quand ce sont les autres qui tombent.

Le rôle des Parlements

Si, à l’o­ri­gine du conflit, les peuples, consul­tés, avaient pu faire pré­va­loir leur volon­té, jamais cette guerre atroce et bête n’eût pu naître.

Non seule­ment elle a écla­té à l’in­su des peuples, mais encore sans le consen­te­ment des Par­le­ments. Ceux-ci n’ont eu qu’à enre­gis­trer le fait accom­pli. En France, la Chambre fut una­nime à applau­dir aux dis­cours ultra-patriotes et « jus­qu’au-bou­tistes » de MM. Des­cha­nel et Vivia­ni. À l’ex­trême gauche, pas une voix dis­cor­dante ! Ce fut l’u­nion sacrée abso­lue. Si quelques dépu­tés, qui ne sont pas tous du groupe socia­liste, se sont res­sai­sis — un peu tar­di­ve­ment — leur influence est bien limitée.

Par contre, il semble qu’en Alle­magne, où les risques sont plus grands, l’op­po­si­tion soit plus har­die. Il en fut ain­si dès 1914. Mais pour­tant la lutte véhé­mente que mènent quelques dépu­tés sociaux-démo­crates ne peut contre­ba­lan­cer l’i­ner­tie com­plice des autres par­le­men­taires d’outre-Rhin.

Semeurs de haine

À la faveur du der­nier raid aérien et de l’é­ner­ve­ment des foules, des semeurs de haine, dans la presse et ailleurs, ont vitu­pé­ré le Ger­main bar­bare, [(cen­su­ré sur 2 lignes)] qui ne recule devant aucune atrocité.

Ces bel­li­cistes enra­gés ne voient aucun incon­vé­nient à ce que la guerre dure, pour­vu que les sol­dats soient seuls expo­sés. C’est leur métier, aux sol­dats, de se faire tuer. Ils sont armés. Ils peuvent se défendre. Donc ils peuvent mou­rir. Mais les civils — même s’ils sont ani­més de l’es­prit de guerre — sont des « inno­cents » aux­quels on ne peut tou­cher sans com­mettre le pire des crimes. « Repré­sailles ! Repré­sailles ! » hurlent ces déments — qui sont de tous les pays et ne voient les évé­ne­ments que sous un aspect unilatéral.

Un peu de raison

Au moment même où mar­mites et tor­pilles pleu­vaient sur Paris, pro­vo­quant l’ir­ré­pa­rable des­truc­tion de vies humaines, une femme, ne per­dant pas la tête, s’est effor­cée de com­prendre : « Ils viennent chez nous, dit-elle. Nous allons chez eux. Il n’y a pas de rai­son pour que ça s’arrête. »

Ce sang-froid d’une femme dans le fra­cas des explo­sions est autre­ment sym­pa­thique que la fureur gro­tesque de ceux qui découvrent, aujourd’­hui qu’ils sont mena­cés, que la guerre sévit et qu’elle tue des hommes.

Le res­pect de la vie humaine

À pro­pos des confé­rences du Père Jan­vier, on a pu lire, dans l’Action Fran­çaise du 17 mars, ces lignes incom­pa­tibles avec la men­ta­li­té guer­rière de ce temps : « La vie de chaque être humain est sacrée, car Dieu nous l’a don­née et seul il peut la reprendre. Dieu nous défend for­mel­le­ment d’at­tentes à la vie d’au­trui et à la nôtre. »

Si ce point de vue pré­va­lait, nul catho­lique ne pour­rait par­ti­ci­per à la mêlée san­glante. Aus­si le jour­nal roya­liste a‑t-il soin d’a­jou­ter : « Le com­man­de­ment divin défend donc les vio­lences entre les citoyens d’une même patrie. »

Cela rap­pelle la fameuse bou­tade de Pascal :

« Pour­quoi me tuez-vous ? — Eh quoi ! ne demeu­rez-vous pas de l’autre côté de l’eau. »

Douce pers­pec­tive

« La patrie, c’est tuer des Prus­siens ! » consta­tait amè­re­ment le dou­lou­reux et sin­cère Gas­ton Couté.

Léon Dau­det, qui admi­ra sans réserve la culture alle­mande, pro­clame aujourd’hui :

« Fran­çais et Alle­mands sont des enne­mis héré­di­taires, c’est enten­du, en tant que nations armées ». Donc, les haines doivent être éter­nelles. (Heu­reu­se­ment, les folies d’une géné­ra­tion sont par­fois dénon­cées et reniées par les géné­ra­tions sui­vantes. [(cen­su­ré sur 2 lignes)]

Voi­ci la douce pers­pec­tive que nous ouvre, pour l’a­près-guerre, le direc­teur de l’Action Fran­çaise :

« Il y aura un grand nombre d’hommes valides — (pro­por­tion­né au nombre des vic­times) — qui n’au­ront plus qu’une pen­sée, qu’un but ici-bas : tuer, ouver­te­ment ou sour­noi­se­ment, le plus grand nombre d’Al­le­mands. Tout moyen sera bon : le poi­son, le cou­teau, le revol­ver, le guet-apens ; il paraî­tra d’au­tant meilleur qu’il lais­se­ra moins de traces et per­met­tra de recommencer. »

La guerre per­ma­nente, quel idéal pour un « civi­li­sé » du XXe siècle !

Les res­pon­sables

Après avoir por­té la guerre sur tous les conti­nents, les civi­li­sés d’Oc­ci­dent n’ont rien trou­vé de mieux que de se battre entre eux. C’é­tait fatal, on ne pré­pare pas impu­né­ment des arme­ments for­mi­dables, on n’en­tasse pas sans dan­ger des masses d’ex­plo­sifs. Qui pré­pare la guerre n’ob­tient pas la paix, quoi­qu’en dise une devise men­son­gère. Or, tous les États d’Eu­rope se pré­pa­raient à la guerre, les uns bien, les autres mal. ([2 ou 3 mots cen­su­rés)] de res­pon­sa­bi­li­té dans le cata­clysme. [(4 lignes cen­su­rées)] Com­ment ne pas voir, pour­tant que la folie des arme­ments, le colo­nia­lisme et l’im­pé­ria­lisme devaient tôt ou tard faire explo­ser la vieille Europe ?

La leçon est cruelle dont pro­fi­te­ront nos des­cen­dants — si toute rai­son n’est pas à jamais abo­lie chez les hommes.

Le triomphe de la raison

La rai­son est exi­lée des peuples en guerre. On croi­rait volon­tiers qu’elle s’est réfu­giée chez les neutres. Hélas ! Les neutres ont une presse guère moins « lami­neuse de crânes », guère moins vénale que celle des pays en feu. Et la puis­sance d’in­toxi­ca­tion de la presse, au cours de cette guerre, est infi­nie. Le mal qu’elle peut faire dépasse l’imagination.

De libres esprits ont pu résis­ter à la folie bel­li­queuse qui emporte tous les peuples vers la vic­toire… du néant. Ils ne sont pas plus écou­tés que ne le furent, en d’autres temps, Érasme ou Voltaire.

Mais les paroles, d’un Romain Rol­land et d’un Fors­ter res­te­ront. Elles attes­te­ront un jour, quand le mal infec­tieux aura per­du de sa viru­lence, qu’un seul homme peut avoir rai­son contre tous les autres.

Mais qui nous conso­le­ra du mas­sacre ? Et qui nous ren­dra le goût de vivre ?

Repré­sailles

« Ils ces­se­ront sans doute de mas­sa­crer des inno­cents dans nos villes ouvertes lorsque nous aurons por­té l’in­cen­die et la mort dans leurs propres cités », écrit M. Louis Lata­pie dans la Répu­blique fran­çaise.

[(cen­su­ré sur 9 lignes)] 

La vio­lence engendre la vio­lence et il n’y a aucune rai­son pour que ça finisse.

[(cen­su­ré sur 2 lignes)]

Gom­pers, pré­sident de la Fédé­ra­tion amé­ri­caine du tra­vail, — le Jou­haux des États-Unis — vient de décla­rer que le mou­ve­ment tra­vailliste des États-Unis ne serait jamais repré­sen­té au cours de la guerre à une confé­rence quel­conque à laquelle pren­draient part des repré­sen­tants de l’ennemi.

Défai­tistes

La presse de l’En­tente et les gou­ver­nants alliés ont tou­jours dit que cette guerre ne pour­rait se ter­mi­ner avant la défaite mili­taire des Empires centraux.

De leur côté, les gou­ver­nants alle­mands, s’il faut en croire le Temps, estiment que « la défaite de l’An­gle­terre et la muti­la­tion de la France sont les condi­tions indis­pen­sables de cette domi­na­tion mari­time qui doit pro­cu­rer à l’Al­le­magne les matières pre­mières, les débou­chés, les richesses du monde entier. »

Avec des points de vue aus­si diver­gents l’ac­cord est à jamais impossible.

« Impa­vi­dum ferient ruinae »

Les jour­naux offi­cieux des 2, 3 et 4 avril nous rap­portent que M. Cle­men­ceau est reve­nu du front « satis­fait» ; ou bien il a dit à un jour­na­liste : « je suis content ». Ce qui nous rap­pelle un article de M. Cle­men­ceau dans l’Homme libre du dimanche 30 août 1914, dans lequel il disait de son pré­dé­ces­seur M. Millerand :

« M. le ministre de la Guerre nous fait annon­cer qu’il a confé­ré avec M. le géné­ral Joffre et qu’il est reve­nu “très satis­fait”. Je me per­mets de pen­ser qu’il y a une mesure en toutes choses, et que, dans les cir­cons­tances actuelles, il n’y a peut-être pas lieu de s’é­lan­cer jus­qu’à cet excès de satisfaction. »

Les lau­da­teurs de M. Cle­men­ceau doivent pou­voir com­men­cer à éta­blir le bilan de ce que nous a valu jus­qu’i­ci son gou­ver­ne­ment. Par exemple : Bom­bar­de­ment diurne et noc­turne de Paris, — sur­ac­ti­vi­té de bom­bar­de­ment de Reims, de Bar, de Nan­cy, de Châ­lons, — Nou­velle ruée sui­vie d’une nou­velle inva­sion, — X… pri­son­niers, — X… morts. Les détails manquent.

M Cle­men­ceau écri­vait dans l’Homme enchaî­né du 29 mars 1915 : « Un mois avant la guerre, j’é­cri­vais à un jour­na­liste de Vienne : “J’ai­me­rais mieux voir la France écra­sée qu’asservie.”

Le balai rôti

Les jour­naux nous annoncent que M. Cle­men­ceau visite les lignes de l’a­vant ou celles de l’ar­rière « en com­pa­gnie de son chef de cabi­net, le géné­ral Mordacq ».

Le géné­ral Mor­dacq étant l’un des plus jeunes géné­raux et M. Cle­men­ceau l’un des plus vieux par­le­men­taires, il en résulte une bonne moyenne.

Le géné­ral Mor­dacq est le fils du com­man­dant Mor­dacq du 131e. Il est le frère de Charles Mor­dacq, bien connu voi­là quelque dix ou vingt ans dans le monde des cafés-concerts où il pro­dui­sait quan­ti­té de chan­sons sous le pseu­do­nyme de Rollz, et qui fai­sait paraître aus­si de temps à autre une feuille bou­lan­giste le Balai.

Le prin­temps sou­rit à Vichy.

Dans le Pays du 5, M. le capi­taine Gas­ton Vidal conte qu’il a été à Vichy voir les bles­sés de la Somme, et que « tous, tous, ils sont joyeux ».

Rien de très sur­pre­nant. Il est humain de sou­rire encore au soleil quand on sort de l’en­fer. Mais c’est du bar­ré­sisme de la pre­mière année de vou­loir don­ner aux lec­teurs le change sur ce sen­ti­ment. Il n’y a pas que M. Vidal qui cause avec les rescapés.

Quant au sadisme exci­ta­teur qui imbibe cet article, ce n’est pas de le trou­ver chez le ren­floueur du Pays qui nous émer­veille, mais plu­tôt de voir ses col­la­bo­ra­teurs qui font pro­fes­sion de paci­fisme s’en accom­mo­der si bien.

Aver­tis­se­ment

En cas d’a­lerte, les hon­nêtes gens sont priés d’é­vi­ter la cave du bou­le­vard du Port-Royal où deux mou­chards ama­teurs ont pro­vo­qué M. Rap­po­port. Ces deux indi­vi­dus, nom­més Blein et Weil, sont recon­nais­sables à leur accent ger­ma­nique très prononcé.

Les « jusou’au­bou­tistes » peuvent sans dan­ger se ren­con­trer avec les déla­teurs de Rappoport.

[(cen­sure sur 30 lignes)]

Il est des morts qu’il faut qu’on tue

L’ar­res­ta­tion de Ch. Rap­po­port est un sur­saut d’Is­wols­ki ou de ceux qu’il tient. La machi­na­tion sinistre dont Jau­rès fut la pre­mière vic­time, exige, en effet, que tous les témoins inté­res­sants du pro­cès Vil­lain dis­pa­raissent, ou que l’on ruine par avance leur témoi­gnage en les dis­cré­di­tant ou en pillant leurs papiers.

Tout-Paris poli­cier

Le mou­chard natio­nal a fait école. Ce maniaque de la déla­tion a des imi­ta­teurs. Il s’est fon­dé à Paris une Ligue civique de mou­char­dage. Les chau­vins qui en font par­tie s’ar­rogent le droit — sous le pré­texte fal­la­cieux de « défai­tisme », — d’ar­rê­ter qui bon leur semble.

C’est le régime des sus­pects. Est « sus­pect » qui­conque a des opi­nions inter­na­tio­na­listes ou sim­ple­ment humaines. Les misé­rables qui se livrent à cette odieuse besogne n’ont pas tou­jours l’ex­cuse qu’a Dau­det — lequel, comme cha­cun sait, tra­vaille au ren­ver­se­ment de la Répu­blique et a de plus la naï­ve­té de prendre au sérieux ses « galé­jades » et le cou­rage de les signer. Roman­cier ima­gi­na­tif, il lui faut, coûte que coûte, des traîtres. Il les cherche par­mi ses adver­saires. Avec une bonne foi ingé­nue il entasse des Pélions d’er­reurs sur des Ossas de men­songes. Ça prend tou­jours sur le public gobeur, et quel­que­fois même nos maîtres feignent de tenir compte de ces sot­tises. Dau­det est au fond un grand comique. Mais que dire de ses pâles sui­veurs qui, sur la voie publique ou dans les caves, mettent la main au col­let de leurs contradicteurs ?

[(cen­sure sur 15 lignes)]

Défense d’ad­mi­rer

Pour com­mé­mo­rer le 68e anni­ver­saire de la mort du poète Slo­wa­cki, des étu­diants, des artistes et des lit­té­ra­teurs polo­nais devaient se réunir le 7 avril sur sa tombe au cime­tière Mont­martre. Il leur fut inter­dit de pro­non­cer le moindre dis­cours. L’au­teur de l’A­rabe, de En Suisse, de la Vipère et de tant d’œuvres déli­cates ou fortes serait-il consi­dé­ré comme un esprit sub­ver­sif dan­ge­reux à évo­quer ? Le bâillon que l’on inflige à ses admi­ra­teurs prouve une fois de plus que la liber­té ago­nise en France. 

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