La Presse Anarchiste

L’objection en Espagne

[(Un nou­vel objec­teur espa­gnol a re­fusé de se sou­mettre à l’incorporation le 10 mai der­nier : il a été empri­son­né. Il s’agit de Jorge Agul­lo Guer­ra, ouvrier à Alcoy, membre de la JOC.

Joan Baez a don­né deux réci­tals, à Lyon et à Tou­lon, au pro­fit des empri­son­nés pour l’objection en Espagne et leur action.

« L’Union paci­fiste de France » dans son numé­ro de juin 1971, pu­blie inté­gra­le­ment le texte que Pepe a ten­té de lire lors de son pro­cès, le 23 avril. Ecrire à Thé­rèse Col­let, 4, rue Lazare‑Hoche, 92­ Bou­logne.

Nous rap­pe­lons notre sup­plé­ment au n° 25 sur « L’objection de conscience en Espagne » et publions ci‑après des extraits de lettres écri­tes par Pepe à sa famille.)]

Extraits de lettres de Pepe

[…] Bien que je sois enfer­mé, le moral est bon et je vis inten­sé­ment cette nou­velle expé­rience qui m’oblige à appro­fon­dir et à mettre à l’épreuve beau­coup de mes concep­tions éthiques.

La pri­son est un monde de vio­lence, consé­quence et sym­bole de la socié­té dans laquelle nous vivons. Le fait d’être entou­ré de murailles, la défiance des com­pa­gnons, le poli­cier armé sur le mur, obli­gé de nous tirer des­sus si nous vou­lons nous échap­per, les rixes qui ont lieu quel­que­fois, le fait qu’on ferme à clef la cel­lule pour la nuit, les rela­tions avec les fonc­tion­naires froids et auto­ri­taires, à quelques excep­tions près, etc., bref, vivre inten­sé­ment ce drame, si bien que quel­que­fois j’ai peur de mûrir — de vieillir ? — trop, tout cela s’oppose à la foi que j’ai tou­jours eue envers les gens, à l’espérance et à la joie qui m’animent.

C’est une cure de repos, bien que ce ne soit pas seule­ment ça, mais quelque chose de plus, de beau­coup plus pro­fond, inévi­table pour qui­conque est sen­sible à la souffrance.

J’espère gagner la par­tie (j’en suis sûr) et sor­tir d’ici avec le même carac­tère qu’avant, mais avec des moti­va­tions plus pro­fondes (opti­misme tra­gique, dit Mou­nier) et une expé­rience de la vie beau­coup plus riche…

[…] La pri­son donne des occa­sions extra­or­di­naires de réflé­chir et je dois les mettre à pro­fit… Ce n’est pas que je la flatte, mais il faut la situer dans sa dimen­sion réelle…

[…] On m’a appris ce que sont les cachots et bien qu’ils soient durs (on n’a guère que les cou­ver­tures pen­dant le jour), je n’en ai pas peur.

[…] C’est impres­sion­nant de voir à la TV les Amé­ri­cains mar­cher sur la lune, quand on est en pri­son, man­gé par les poux, sans com­prendre com­ment la socié­té n’a pas dépas­sé ce stade.

[…] J’ai des livres et beau­coup de choses à faire ou à pen­ser, et si tu ne t’emploies pas à pen­ser à ce qu’il y a de bien dehors, c’est faci­le­ment sup­por­table. Je ne sais pas jusqu’à quel point je sup­por­te­rai, mais je crois que je peux en sup­por­ter beaucoup.

[…] J’ai com­men­cé à don­ner une heure de classe, je suis entré dans la cho­rale… Il est pos­sible de for­mer un orchestre, et puis il y a des ins­tru­ments. On m’a offert d’être biblio­thé­caire, res­pon­sable des sports, écri­vain de l’école, etc. J’ai tout repous­sé ; j’en fais déjà assez et je dois étu­dier et lire. En outre, je ne suis pas venu en pri­son pour être un fonc­tion­naire de plus… Nous allons essayer de faire un ate­lier de cuir repoussé.

[…] Les pro­blèmes théo­riques ne sont pas faciles à résoudre ; la vie, ce n’est pas les mathé­ma­tiques et il y a beau­coup de pro­blèmes sans solu­tion claire ou dont la réponse d’aujourd’hui ne sera pas valable demain. Il y a des fois où la seule réponse est d’agir avec pro­bi­té et d’espérer beau­coup et sur­tout de ne pas avoir peur, il n’y a pas de rai­son. On ne peut pas avoir de réponse à toutes les ques­tions. Tout arri­ve­ra. La vie nous appar­tient… Les hon­neurs ne durent pas, ni le pou­voir, ni le luxe, mais ce qui est juste sera recon­nu et cela nous donne une force invin­cible, la force de véri­té, qui est la non‑violence, et cette force exige agres­si­vi­té, éner­gie, et n’a rien à voir avec la rési­gna­tion pas­sive, com­plice de l’injustice…

Beau­coup de cou­rage à tous.

Pepe

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