La Presse Anarchiste

À la lecture d’«Écoute camarade !»

Voir ANV n°30

L’introduction du comi­té de rédac­tion contient pas mal d’idées que je pour­rais com­men­ter par rap­port au texte de Book­chin lui-même. Je remarque tout de même une posi­tive lar­gesse d’esprit qui n’exclut pas le sérieux, par exemple le fait de com­prendre qu’une grande par­tie du mar­xisme n’est qu’un ins­tru­ment et comme tel a été uti­li­sé à dif­fé­rentes fins. Le com­mu­nisme de conseils [[« Cahiers du com­mu­nisme de conseils », Camoin, BP 15, 13-Mar­seille (12e). « Révo­lu­tion inter­na­tio­nale », BP 183 31-Tou­louse. « Lutte de classe », Colin, 75, rue Saint-Antoine, 75004 Paris.]] n’est tout de même pas à assi­mi­ler au diri­gisme des par­tis com­mu­nistes ortho­doxes et mar­xistes-léni­nistes. Quant à la « nou­velle classe en for­ma­tion » cela deman­de­rait de sérieuses pré­ci­sions. Mais venons-en au texte lui-même.

Où je m’oppose fon­da­men­ta­le­ment à Book­chin, c’est dans son affir­ma­tion que le capi­ta­lisme s’est tel­le­ment trans­for­mé qu’une ana­lyse de classes est péri­mée. Bien sûr que le capi­ta­lisme s’est trans­for­mé et s’est de plus en plus éta­ti­sé (aux USA comme en URSS ou ailleurs), mais ses fon­de­ments sont les mêmes. Bien sûr que la « classe moyenne » s’est consi­dé­ra­ble­ment déve­lop­pée et que le condi­tion­ne­ment idéo­lo­gique est encore plus intense (rôle fan­tas­tique des mass-média); bien sûr que dans un tiers du monde les condi­tions maté­rielles se sont appa­rem­ment amé­lio­rées. Bien sûr, mais les bases sont res­tées les mêmes : recherche indi­vi­duelle du pro­fit, pro­prié­té pri­vée, héri­tage, famille, capi­tal natio­nal, domi­na­tion des masses, à tous les niveaux, par une poi­gnée réduite de finan­ciers qui ne reculent devant aucun moyen — ce qui est logique — pour main­te­nir leurs pri­vi­lèges, leurs crimes, leurs pro­fits, aug­men­ter leur plus-value puisque c’est cette aug­men­ta­tion qui est la base éco­no­mique de leur puissance.

Alors, que l’on étu­die l’évolution du capi­ta­lisme, d’accord, que bien des affir­ma­tions de Marx soient deve­nues péri­mées, encore d’accord, mais… res­tons sérieux et minu­tieux dans nos ana­lyses. Où est le pou­voir actuel­le­ment ? Qu’y a‑t-il à faire pour qu’un jour nous puis­sions tous col­lec­ti­ve­ment l’avoir et déci­der de tout ce qui nous fait vivre ?

Non, « la socié­té bour­geoise » ne dés­in­tègre pas du tout « les classes sociales à qui elle devait sa sta­bi­li­té ». Elle les trans­forme, et très habi­le­ment, de façon à les domi­ner encore plus, les mani­pu­ler, les pres­ser comme des citrons.

Je ne consi­dère pas l’étude de Book­chin comme une cri­tique his­to­rique du mar­xisme. Il ne s’attaque qu’à l’utilisation qu’en ont fait les auto­ri­taires de tout poil et là-des­sus je suis par­fai­te­ment d’accord avec lui. Je ne vois pas en effet quelle autre socié­té peuvent nous appor­ter les « par­tis » diri­gistes, hié­rar­chi­sés, ayant prêtres et dogmes, diri­geants épris de puis­sance et pro­grammes réfor­mistes, si réfor­mistes que les capi­ta­listes eux-mêmes y trouvent des solu­tions à leurs problèmes.

Pour en reve­nir à l’analyse éco­no­mique de Book­chin, je pense qu’il fait erreur quand il parle de « capi­ta­lisme pla­ni­fié ». La pseu­do­pla­ni­fi­ca­tion n’empêche pas la concur­rence, au contraire, elle oppose les plus grands blocs d’entreprises, de trusts et de mono­poles. Les guerres dra­ma­tiques dans le tiers monde, actuel­le­ment, en sont les conséquences.

D’autre part, Book­chin ne conteste pas sérieu­se­ment l’affirmation fon­da­men­tale de Marx sur la contra­dic­tion prin­ci­pale entre les forces pro­duc­tives et les rap­ports de production.

Bien sûr qu’aux USA, il y a une cer­taine sur­abon­dance et même « super­flui­té maté­rielle sub­mer­geante », mais cela ne remet nul­le­ment en cause la néces­si­té pour le capi­ta­liste d’accumuler tou­jours plus de capi­tal, de deman­der à la tech­no­lo­gie et aux tra­vailleurs tou­jours plus de ren­de­ment, de ren­ta­bi­li­té, etc.

Oui, le mar­xisme a été uti­li­sé de façon à trom­per la masse des exploi­tés, mais ses fon­de­ments éco­no­miques ne sont pas obli­ga­toi­re­ment contes­tables, encore aujourd’hui. Aucune ana­lyse sérieuse n’a démon­tré cela pour l’instant. Bien au contraire, des gens comme Paul Mat­tick [[Entre autres « Marx et Keynes » (Gal­li­mard).]] ou Rosa Luxem­bourg sur le plan éco­no­mique, et Reich ou d’autres sur le plan idéo­lo­gique, ont réac­tua­li­sé cer­taines idées fon­da­men­tales. Il ne s’agit pas pour moi de faire l’apologie du mar­xisme, mais je crois qu’il faut recon­naître ce qui reste valable et sur­tout ne pas confondre la méthode et l’instrument qu’est le mar­xisme avec les uti­li­sa­tions aber­rantes qu’on en a fait. Je m’oppose encore moins à toutes les cri­tiques qui peuvent être por­tées sur cer­tains aspects des théo­ries de Marx et même sur ses inter­ven­tions poli­tiques dans l’AIT, mais il faut qu’elles soient fon­dées, pas super­fi­cielles. Dire par exemple que Marx a eu ten­dance à ne voir que le côté éco­no­mique de la socié­té de son époque, dire qu’il n’a pas assez tenu compte — de façon jus­te­ment dia­lec­tique — de la nature humaine et autre (si l’on peut faire la dis­so­cia­tion), les recherches depuis le début du siècle sur l’idée psy­cho­so­ma­tique nous enseignent énor­mé­ment de choses à ce sujet. Je pense effec­ti­ve­ment que Marx n’a consi­dé­ré comme besoins de l’homme que ceux pour la satis­fac­tion des­quels il doit pas­ser par une média­tion : celle de la pro­duc­tion des moyens per­met­tant cette satis­fac­tion. « Par là même il arrive à nier qu’il y ait des besoins humains qui peuvent être satis­faits direc­te­ment et immé­dia­te­ment. » [[« Idéo­lo­gie et Morale », Chris­tian Sal­le­nave, 45, rue Mou­ney­ra, 33-Bor­deaux.]] Les décou­vertes de Freud et de Reich sur la sexua­li­té, par exemple, bou­le­versent en effet toute une « façon de voir » mar­xiste, et l’analyse des fameux blo­cages psy­cho­so­ma­tiques reste à appro­fon­dir pour four­nir plus à fond une ana­lyse glo­bale de la socié­té. C’est aus­si très utile pour consta­ter dans quelle mesure le « mili­tant », le « révo­lu­tion­naire » ne peut rien faire d’autre que don­ner en modèle et impo­ser sa propre névrose, sa façon par­cel­laire et obli­ga­toi­re­ment faus­sée de voir les choses. Beau­coup de gens qui se disent liber­taires sont très idéa­listes, de telle façon, par exemple, qu’ils ne com­prennent pas pour­quoi et com­ment les oppri­més ren­forcent sou­vent eux-mêmes les struc­tures sociales (men­tales et poli­ti­co-éco­no­miques) qui les dominent. D’où les théo­ries absurdes de l’embourgeoisement des pro­lé­taires, de la dis­pa­ri­tion des classes sociales, etc.

Je ne pense pas comme Book­chin qu’il y ait une ligne entre la lutte des classes éco­no­mique et toute la contes­ta­tion cultu­relle et glo­bale d’une par­tie — mino­ri­taire — de la jeu­nesse. L’une et l’autre sont com­plé­men­taires et la vic­toire ne vien­dra que par leur union. Autre contra­dic­tion — trai­tée très jus­te­ment par Book­chin — à appro­fon­dir : Marx d’un côté affirme avec rai­son que la conscience naît du com­por­te­ment social et d’un autre côté il affirme la conscience révo­lu­tion­naire des tra­vailleurs. Mais ces tra­vailleurs, dans leur usine, leur quar­tier, leur famille, ou devant leur poste de télé­vi­sion ont une pra­tique sociale jus­te­ment alié­nante, engen­drant une conscience alié­née (éthique du tra­vail, morale sexuelle répres­sive, culte du sport, etc.). Cette contra­dic­tion reste aus­si à ana­ly­ser à fond, afin de voir dans quelle mesure elle peut être dépas­sée. Marx n’en a pas assez tenu compte et n’a pas pu pré­voir les dan­gers des orga­ni­sa­tions, les résis­tances internes du pro­lé­ta­riat, et fina­le­ment les dévia­tions des révoltes vers un capi­ta­lisme d’État encore plus opprimant.

Les idées de Book­chin (pp. 12, 20 et 21) me paraissent très justes et très lucides quant au com­por­te­ment du révo­lu­tion­naire. La parole, l’étiquette ou l’écrit ne sont pas un gage de conscience révo­lu­tion­naire, seuls la vie et le com­por­te­ment quo­ti­diens importent. Le pro­blème reste la géné­ra­li­sa­tion de ces com­por­te­ments, d’une part, et, d’autre part, son uti­li­sa­tion pro­pa­gan­diste par l’État qui fonde sa domi­na­tion idéo­lo­gique sur les blo­cages de la majo­ri­té des tra­vailleurs (che­veux longs = sale­té = drogue = immo­ra­li­té = « pas de couilles »).

La ques­tion des moyens est pré­sente dans tous les esprits, mais peu prise au sérieux bien sou­vent, que ce soit de la part des liber­taires ou des diri­gistes les plus auto­ri­taires. Voyons com­ment Book­chin l’aborde en pro­fon­deur dans sa par­tie « le Mythe du par­ti » (pp. 23 à 33). Je sous­cris plei­ne­ment aux com­men­taires sur mai 68 en France et sur les leçons tirées et en par­ti­cu­lier les expli­ca­tions sur les par­tis diri­gistes et leurs dan­gers ain­si que sur le bref his­to­rique de la révo­lu­tion russe.

Enfin, pour abor­der ce der­nier cha­pitre, je trouve que l’auteur fait un peu la même erreur que les mar­xistes « sclé­ro­sés » dans son ana­lyse des mou­ve­ments de masse, ne tenant pas assez compte, me semble-t-il, des limites mêmes des classes oppri­mées. Oui, la spon­ta­néi­té et le sou­lè­ve­ment de masse existent, mais ils ne balaient pas d’un seul coup des siècles de sou­mis­sion et de peur et laissent alors s’imposer les ten­dances diri­gistes, les grandes gueules, les gros bras, ceux que la nature et le pas­sé (édu­ca­tion, etc.) ont doté d’une cer­taine supé­rio­ri­té appa­rente. Même en mai 68 dans les assem­blées de tra­vailleurs ou d’étudiants ces gens-là sont appa­rus, impo­sants, mena­çants et sou­vent ils n’appartenaient pas non plus aux orga­ni­sa­tions tra­di­tion­nelles. À suivre. En tout cas l’explication des échecs des mou­ve­ments anars dans le pas­sé par la pénu­rie maté­rielle est loin de me suf­fire (p. 38). Les causes sont plus pro­fondes, plus humaines, plus complexes.

Tout cela deman­de­rait un long déve­lop­pe­ment que le temps ne me per­met pas de ter­mi­ner. Voi­là en tout cas quelques idées qui ne sont faites que pour mieux nous comprendre.

Un lec­teur dont le nom s’est éga­ré dans la correspondance…


Je com­mence cette lettre pour réagir à « Écoute cama­rade ! ». Tout d’abord, je me pré­sente. J’ai vingt-trois ans, je suis de milieu rural. Mes grands-parents étaient des « sei­gneurs » si l’on peut dire ; mon père est agri­cul­teur avec un ouvrier agri­cole sur 60 hec­tares. J’ai fait des études de mathé­ma­tiques puis un an de pro­fes­so­rat ; je devais faire ensuite mon ser­vice natio­nal comme objec­teur, mais ayant été réfor­mé, après avoir tra­vaillé deux mois comme manœuvre, je suis ren­tré dans un FPA de maçon­ne­rie. J’ai ter­mi­né fin juin, je tra­vaille en ce moment chez mon père et je vais bien­tôt entrer dans une impor­tante entre­prise de maçon­ne­rie. Ques­tion reli­gieuse et poli­tique, édu­qué dans la reli­gion catho­lique, je suis for­te­ment mar­qué par l’Évangile tout en ne croyant pas en Dieu. Je n’appartiens à aucun par­ti poli­tique, je suis mili­tant du Mou­ve­ment rural de la jeu­nesse chré­tienne, nous sommes en équipes spé­cia­li­sées (sui­vant le tra­vail) et nous essayons de mener une action là où nous sommes.

J’ai d’abord été content de voir un essai de réno­va­tion du mar­xisme (que je connais d’ailleurs très mal, je n’ai lu qu’un livre, le « Mani­feste du par­ti com­mu­niste »). Je pense en effet qu’il y a des théo­ries de Marx qui se sont révé­lées fausses comme la pau­pé­ri­sa­tion et l’idée du par­ti unique néces­saire à un chan­ge­ment de socié­té. D’autres théo­ries res­tent tou­jours vraies à savoir que nous nous diri­geons de plus en plus vers une socié­té à deux classes avec des nuances : le capi­tal peut com­por­ter des sala­riés comme les PDG. La sup­pres­sion du capi­tal ne résou­dra pas tout et les mass-média ont ten­dance à embour­geoi­ser (faire croire aux sala­riés et sur­tout aux plus défa­vo­ri­sés que tout le monde a le même genre de vie).

Pour nous, ce qui est en ques­tion ce sont les rela­tions des hommes entre eux à tous les niveaux, qui doivent être des rela­tions d’amour (tou­jours des grands mots), ce qui entraîne une action sur la digni­té et l’égalité des tra­vailleurs, la hié­rar­chie et le pou­voir (pou­voir dans l’entreprise et de déci­der de sa vie dans la socié­té). Tout ça pour vous dire que j’ai été drô­le­ment déçu par votre docu­ment. Ô élite ! je suis d’accord sur plu­sieurs points : action contre la hié­rar­chie, sur les condi­tions de tra­vail, etc., qu’il faille vivre déjà de façon révo­lu­tion­naire, c’est-à-dire faire ce qu’on dit dès main­te­nant autant que c’est pos­sible (cri­tique d’une cer­taine pra­tique gau­chiste). C’est pour cela que je ne suis pas d’accord avec la par­tie sur le mythe du prolétariat.

La drogue est une consé­quence de la socié­té capi­ta­liste, ce sont des jeunes qui n’arrivent pas à se situer dans la socié­té. Alors ! qu’on ne pré­tende pas que les gars qui fument du hasch se libèrent. Ah non ! que les gars qui volent et ne foutent rien se libèrent, non ! Ce qui me ras­sure, c’est qu’un gars est sau­vé quand il se bat avec ses copains pour ce que nous disions plus haut, qu’il leur fait prendre conscience et les pousse tou­jours à être plus exi­geants avec eux-mêmes. Car c’est une exi­gence, ce n’est pas drôle de ne pas dor­mir assez, de ris­quer de se faire foutre à la porte, d’aller voir un copain ou d’aller à une réunion plu­tôt qu’à un loi­sir facile comme le ciné­ma, ou bien même que de chan­ter avec ses petits copains l’amour et l’amitié sur une gui­tare, mais c’est ça qui fait chan­ger les situa­tions. Non pas qu’il faille vivre en ascète et ne jamais prendre de loi­sirs ou faire la fête ensemble, mais les loi­sirs avec les copains ne doivent pas nous faire oublier ce que l’on vit au bou­lot, mais nous per­mettre de vivre ensemble et d’avoir plus confiance en nous, en un mot nous per­mettre encore d’avancer.

J’ai l’impression que les cama­rades qui ont écrit ce texte sont de milieu bour­geois et qu’ils n’ont pas de contact facile avec les gars qui bossent en usine, alors ils se jus­ti­fient comme ça. Il y a des valeurs que les cama­rades ont l’air de renier qui sont l’effort et le tra­vail. Alors ça les gêne, mais effec­ti­ve­ment l’effort a une valeur, « il forme un homme » comme disent les vieux et même les moins vieux de chez nous. Il est cer­tain que dans notre socié­té pour atti­rer le client on uti­lise cette valeur (c’est une des contra­dic­tions de la socié­té capi­ta­liste), mais je prends un exemple qui m’est arri­vé hier en dis­cu­tant avec un pay­san : il n’était pas content parce que les élèves de la can­tine ne fai­saient plus la vais­selle et ne ser­vaient plus les plats. Je crois qu’il avait vache­ment rai­son et c’est très impor­tant. Ce n’était pas astrei­gnant, mais sim­ple­ment un petit temps pas­sé pour la com­mu­nau­té et en plus ça a bien d’autres avan­tages qu’il serait trop long d’évoquer ici. Voi­là pour l’effort.

Quel que soit le tra­vail il faut bien le faire (pour le cadre comme pour l’ouvrier); je m’explique : bien le faire non pas comme dirait le patron, mais pour le cadre réflé­chir le plus pos­sible à son rôle, per­mettre le plus pos­sible aux gars qu’il com­mande de prendre des ini­tia­tives, en un mot aller dans un sens socia­liste pour sa sup­pres­sion même ; pour l’ouvrier il est impor­tant de bien faire son tra­vail en réflé­chis­sant le plus pos­sible à la façon dont il le ferait dans une socié­té socia­liste, c’est-à-dire à une cadence rai­son­nable que les tra­vailleurs se fixe­ront eux-mêmes, pro­tes­ter parce que ce tra­vail est de plus en plus divi­sé et que jus­te­ment il est de moins en moins vivable.

Nous com­bat­tons la publi­ci­té et toutes les valeurs qu’elle crée parce qu’il n’y en aura plus dans un sys­tème socia­liste, mais nous ne com­bat­tons pas le tra­vail et les valeurs qu’il entraîne parce qu’il exis­te­ra tou­jours dans la socié­té socia­liste ; au contraire, ren­dons-le plus humain dans le sens dit plus haut. Autre chose qui me confirme ce que je disais pré­cé­dem­ment, c’est la néga­tion, par les cama­rades, de la classe ouvrière et sur­tout l’idée de la rem­pla­cer par les jeunes, c’est faux. Bien sûr, la classe ouvrière for­mée uni­que­ment de « bons » n’existe pas et il y a des exploi­teurs aus­si, des gars qui laissent faire plus de bou­lot à l’autre, des gars qui essayent de s’en tirer seuls, en un mot tout le monde n’est pas soli­daire, mais à cer­tains moments (dans les com­bats), par les condi­tions que nous vivons, nous sommes obli­gés de l’être plus (d’autant plus que les condi­tions sont plus dures) et c’est ain­si que nous avan­çons et c’est là notre rôle de mili­tants. La classe ouvrière a des valeurs (cf. « Mani­feste du par­ti com­mu­niste »): la soli­da­ri­té, une sim­pli­ci­té que nous devons faire croître, et qui en prennent un sacré coup, c’est sûr, par l’intermédiaire des mass-média. C’est cette sim­pli­ci­té qui se montre par­fois par des manières un peu rustres que les cama­rades appellent « néan­der­tha­liennes ». Ce n’est pas avec les jeunes uni­que­ment que l’on chan­ge­ra quelque chose, c’est sur notre lieu de tra­vail. Pour prou­ver ceci mai 68 est là : le mou­ve­ment étu­diant aurait été encore moins loin si les tra­vailleurs ne s’étaient pas mis en grève géné­rale le 13 mai. Mal­heu­reu­se­ment la CGT et le PC ont empê­ché d’aller plus loin, de faire conti­nuer le mou­ve­ment. Autre phrase rele­vée : « La condi­tion ouvrière est la mala­die dont souffre l’ouvrier. » C’est archi-faux, on peut être heu­reux au sens plein du terme (c’est-à-dire qu’il y a aus­si de la souf­france) en étant mili­tant. J’ai ren­con­tré plu­sieurs copains qui sont manœuvres et ont déci­dé de res­ter manœuvres toute leur vie pour être de meilleurs mili­tants (ils approchent de la qua­ran­taine), et croyez-moi quand on voit ces gars, ça nous donne envie de vivre. Autre dan­ger qu’il m’a sem­blé voir, bien qu’il ne soit pas expri­mé, c’est de dire reti­rons-nous de la vie du tra­vail, vivons entre nous en com­mu­nau­té. Ce n’est pas en vivant à part de la masse des gens que l’on chan­ge­ra quelque chose, mais en vivant les mêmes condi­tions qu’eux ; c’est là où on est qu’on pour­ra chan­ger quelque chose (le prof avec les profs, l’ouvrier avec les ouvriers en dis­cu­tant ensemble bien sûr et en véri­fiant que nous avons bien le même but). En sachant aus­si que même la socié­té socia­liste éta­blie (je l’espère) ça ne sera pas fini et qu’il fau­dra tou­jours être cri­tique. Non pas que je cri­tique les com­mu­nau­tés, bien au contraire, mais il faut des com­mu­nau­tés de mili­tants qui ne soient pas cou­pés de la vie.

Bien sûr on ne peut pas dire tout ce qu’on pense et res­sent dans un papier ; je doute aus­si de l’efficacité de cette lettre mais je tenais à le dire parce qu’il y a un dan­ger, ces ten­dances existent en France et par la pra­tique et celle de mili­tants que je connais, ça me paraît faux.

René de Froment 

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