Ce vieux rêve a été quelque peu rangé au magasin des accessoires depuis 1947, date où M. Ramadier et le Parti socialiste déclarèrent les ministres communistes indésirables au gouvernement. Une vague d’anticommunisme maladif s’abattit alors sur la « gauche ». C’était le moment où l’on parlait du « fascisme rouge » et où M. Kravchenko était devenu un héros international. Très vite, au Parti socialiste surtout, la lutte contre le Parti communiste tint lieu de programme. Les candidats socialistes aux élections ne manquaient pas une occasion de montrer à leurs électeurs la carte des camps de concentration soviétiques. Messieurs Guy Mollet et Daniel Mayer jouaient alors un jeu subtil passant de l’extrême gauche du parti à l’extrême droite, ceci, l’un et l’autre alternativement. Pendant ce temps et jusqu’à nos jours, le Parti communiste ne cessait d’agiter le mythe de l’Unité. Selon une tactique bien connue, on s’adressait au « travailleur socialiste » on lui disant que ses chefs le trahissaient, ce en quoi on ne se trompait guère. À d’autres moments ce sont les députés communistes qui apportaient leurs voix à Le Troquer pour la présidence de la Chambre. Cela devait conduire le P.C. à voter l’investiture de Guy Mollet et même à accorder les « Pouvoirs Spéciaux » en Algérie à condition que ce soit un gouvernement prétendu « de gauche » qui les sollicite. La fédération du Territoire de Belfort du P.C. envoya même une protestation au Comité Central qui répondit que les militants n’avaient pas du tout compris en quoi consiste « la lutte de classe au sein du Parlement ». (sic).
Cette tactique du P.C. peut, alors que le préfascisme est au pouvoir avec la complicité de la S.F.I.O., paraître avoir été juste aux yeux du militant de « gauche » électoraliste dont nous avons parlé. Le P.C. ne s’est pas fait faute de le dire lors de la campagne du référendum : il y avait une majorité de gauche aux élections de 1956, il fallait faire une politique de Gauche (c’est-à-dire : Paix en Algérie, Réformes sociales). Si nous en sommes là c’est parce que l’on a trop fait d’anticommunisme. Il faut se regrouper et malgré la victoire des « oui », parlementaristes incorrigibles, il faut préparer les élections…
Un autre aliment au mythe de l’Unité a été la LAÏCITÉ. Depuis la promulgation des « Lois Barangé et Marie » accordant des subsides aux écoles confessionnelles, il y eut, à n’en pas douter un sursaut d’anticléricalisme dans la « gauche ». On créa un peu partout des « Cartels d’action laïque » qui passèrent le plus clair de leur temps à envoyer des lettres aux candidats aux élections leur demandant une prise de position en faveur de la laïcité de l’École. La plupart répondaient affirmativement, à l’exception du candidat M.R.P. ou « droitier » et nos comités d’éditer alors des affiches et des tracts appelant à voter pour les candidats laïques. Il y eut une majorité laïque aux élections du 2 janvier 1956 : on sait ce qu’il advint depuis ! Le seul point à retenir de cette aventure, c’est qu’il ne fut pas possible d’éliminer les communistes de ces campagnes et l’on revit des réunions où militants P.C. et militants S.F.I.O. siégeaient ensemble. Le rêve du vieux militant reprenait corps. On évoquait même avec nostalgie le temps où il y avait à la Chambre un groupe parlementaire de la « Libre Pensée », groupe qui fut balayé par la guerre…
Il faut enfin dire qu’il y avait un précédent à tout cela : Le Front Populaire de 1936 qui reste profondément vivant surtout dans nos campagnes.
Si nous avons estimé nécessaire de faire ce long rappel, c’est qu’il est impossible de comprendre l’esprit de la gauche actuelle et les raisons de son échec si l’on n’analyse pas ces faits. Car il ne semble pas encore que les partis aient voulu se livrer à une recherche sérieuse. Le but qui était posé souvent avant le référendum était : un « gouvernement des forces de gauche ». On a crié : « Front:Populaire » dans les manifestations. Mais, enfin, le Front Populaire ne fut tout de même pas seulement l’alliance du Parti communiste avec deux autres partis réformistes, ce fut la poussée de la classe ouvrière, l’occupation des usines. Mais de cela, personne ne parle. Il est absolument significatif qu’il fût très peu question des travailleurs dans la campagne contre la Constitution gaulliste. On parle certes du « Peuple » en général, car c’est encore un autre mythe entretenu dans la « gauche » selon lequel elle représente le Peuple, la classe ouvrière.
Quant au P.C. il parle volontiers des travailleurs, mais c’est pour s’identifier à eux. Il faudrait analyser complètement l’intervention de Roger Garaudy aux Sociétés Savantes le 23 septembre (semaine qui précéda le référendum): « La classe ouvrière doit s’allier aux classes moyennes pour la défense de la République ». Et de citer Marx. Il y a vingt ans, « les communistes ont su prouver que le Front Populaire n’était pas pour eux une ruse ou un calcul électoral, mais un élément de leur politique fondamentale, une application des principes de Marx et de Lénine sur l’alliance nécessaire jusqu’au bout, de la classe ouvrière et des classes moyennes, non seulement pour vaincre le fascisme, mais pour mettre un terne à l’exploitation du Capital. » On remarquera que Garaudy emploie indistinctement les termes « classe ouvrière » et « communistes ». L’action du P.C est considérée comme celle de la classe ouvrière dans sa totalité et ledit P.C. la représente dans la « gauche » dont les autres partis représentent les classes moyennes. Il n’est pas douteux que les fluctuations de la politique et les positions des partis représentent sauvent les antagonismes et les contradictions du régime économique ; encore faut-il savoir s’il est possible de représenter le peuple au sein du Parlement bourgeois. Nous avons parlé des positions anticommunistes des « socialistes » au sein du Parlement. Garaudy le sait bien, l’exclusive lancée contre les communistes a rendu leurs députés absolument impuissants. Pflimin, lors des évènements du 13 mai n’a pas du tout apprécié cette « alliance de la classe ouvrière et des classes moyennes » et il déclara tout net que, pour l’obtention des pleins pouvoirs, « il ne serait pas tenu compte des voix communistes ». Et nous savons bien qu’en fait, ces autres députés de « gauche », Mendès y compris ne représentent que les intérêts du gros capital et que leurs positions « gauchistes » ne s’expliquent la plupart du temps que par des intérêts financiers divergents.
Mais, nous dira-t-on, il reste les électeurs ! Oui, les électeurs radicaux ou socialistes appartiennent aux petites classes « moyennes » ou même à la classe ouvrière, oui, ils possèdent souvent cet esprit de « gauche » dont nous avons parlé, reste à savoir si l’alliance de leurs députés a un quelconque rapport avec une véritable union de la gauche ! Car c’est bien là que l’on veut nous conduire. Garaudy ajoute : « Aujourd’hui, des possibilités nouvelles existent… qui permettent de concevoir une voie parlementaire au socialisme ». On aimerait savoir ce que pense Garaudy au lendemain du référendum qui a montré que ce qui pouvait se passer sur le plan parlementaire ou à l’échelle des directions des partis ne correspondait pas du tout à ce qui se passe dans la masse. Et ce n’est pas la moindre contradiction de la « Gauche ». Alors que le mythe de l’Unité passe par les alliances électorales le plus souvent, la transposition sur le plan parlementaire n’a aucune base réelle dans la masse.
Quant à nous anarchistes, il est inutile de dire que seule l’Unité et les rencontres des militants à LA BASE a pour nous une quelconque valeur.
Cette croyance que rien ne peut se faire hors du Parlement et que C’EST LA CLASSE OUVRIÈRE QUI LE FAIT par l’intermédiaire du Parti QUI EN EST L’INCARNATION conduit Garaudy a dire que le Socialisme naîtra « dans le développement même des luttes pour la Démocratie ». Il ajoute : « La Démocratie est une création continue ».
C’est peut-être ainsi qu’une certaine unité idéologique de la « gauche » est réalisée, mais cela signifia que le P.C. se calque entièrement sur l’idéologie de la social-démocratie. Cela signifie qu’actuellement, tous les partis de « gauche » classiques sont partisans du réformisme et que les anarchistes seront encore longtemps les seuls avec quelques autres petites formations à prôner l’idéal révolutionnaire.
Et pourtant ? Au cours des événements du 13 mai dernier, les militants ont constaté que le Parti socialiste était absent. Ils savent que la sociale démocratie a trahi une fois de plus : que Guy Mollet est membre du gouvernement préfasciste. Il serait peut-être temps de se demander pourquoi ! Une certaine « gauche » de Mendès à l’U.G.S. et qui a vu grossir ses rangs par les minoritaires S.F.I.O. se regroupe au sein d’une Union des Forces démocratiques : tout cela n’aura eu pour but qu’un rassemblement circonstancié en vue des élections. Qu’ont-ils compris ? Qu’il faut que la « Gauche » traite, unie, avec le Parti communiste, que c’est l’anticommunisme dont nous parlions au début qui nous a menés là. Mais les masses grisées par la personne du Général vont un jour se réveiller. Il faudra un jour poser le problème de fond. Le moment viendra où l’explication du comportement de Guy Mollet par des raisons psychopathologiques sera absolument insuffisante : la social-démocratie n’a pas trahi uniquement parce qu’un homme a eu peur d’une lancée de tomates un beau jour de février 56. C’est pourtant presque tout ce que l’on nous dit. Lacoste a amorce la « pacification » en Algérie de triste mémoire et n’a pas dénoncé le complot : Pourquoi ? « C’est un traître et un point c’est tout ». Nous avons à faire ici à d’étranges matérialistes qui s’avèrent incapables d’expliquer les faits. Le militant moyen ne manque pas de faire la remarque que Parti radical de 1920 était plus avancé que celui d’aujourd’hui. Que le Parti socialiste est devenu franchement nationaliste : en un mot que l’on observe un glissement à droite de toutes les formations politiques de « gauche » tandis que les partis de droite s’emparent de plus en plus de leur phraséologie. Car si personne ne gouverne à gauche, tout le monde est « social » et défenseur des classes laborieuses au moment de la campagne électorale.
Nous avons interrogé un bon militant de « gauche » sur ce qu’il pensait de cette situation. Il nous a été répondu que le « glissement à droite » s’explique par le vieillissement des cadres des partis classiques. Il n’est pas douteux que le recrutement de jeunes « gauchistes » est de plus en plus difficile. Certes, il existe des « jeunesses radicales » et des « jeunesses socialistes » : pourtant, l’âge moyen des militants est au moins de quarante ans. C’est un lieu commun que de constater qu’on devient plus conservateur quand on prend de l’âge. Mais c’est encore une explication psychologique. Ceci nous amène à constater l’extrême faiblesse idéologique de la plupart des membres de la « gauche ». L’infantilisme de la plupart des interventions que nous avons entendues au sein des Comités antifascistes en est une preuve. L’engouement pour l’U.G.S. qui part à la bataille sans doctrine en est une autre. C’est sur ce terrain que nous voulons amener nos lecteurs de « gauche ». C’est finalement sur ce terrain qu’il faudra un jour discuter : il n’y aura jamais qu’une Unité circonstanciée tant que les confrontations ne se feront pas à ce stade.
Si une certaine unité se réalise sur le plan du réformisme, cela signifie que la « Gauche » dont l’esprit est basé sur un REFUS de certaines valeurs réactionnaires, n’ira jamais jusqu’à refuser le cadre de la société. Le Réformisme des partis de « gauche » les conduit à participer au Pouvoir, tout au moins sous la forme du parlementarisme.
Quelle est donc leur justification ? Où les anarchistes se placent-ils au regard de cette justification ?
Il est absolument nécessaire de dire que la base des idées de « gauche » s’est placée longtemps dans le républicanisme et que cela est normal dans l’évolution historique. C’est un fait que même les points éthiques communs des anarchistes et de la « gauche » se sont placés dans le républicanisme, nous devrions dire plutôt, se sont épanouis. Il y a, bien sûr les idées du XVIIIe siècle citées dans une étude précédente. Il y a aussi le fait que la Troisième République est née de la guerre de 1870 avec une prédominance totale des éléments réactionnaires et monarchistes au sein du Parlement. L’affirmation de la liberté partait alors de luttes communes et c’est ainsi que nombre de militants anarchistes dont Louise Michel et Élisée reclus appartenaient à la Franc-maçonnerie de l’époque. Il y eut l’affaire Dreyfus qui regroupa toute la « gauche » sur une véritable défense des valeurs communes et les anarchistes ne pouvaient pas non plus se désolidariser de cette lutte. La lutte pour la laïcité prit dans les années 1900 la forme d’une revendication pour la « Séparation des Églises et de l’État ». Les idées antiétatiques des anarchistes pouvaient sembler réalisables dans un second stade. C’est bien sans doute la raison pour laquelle nombre d’anarchistes de cette époque entrèrent dans les partis socialistes ; nous y reviendrons. Mais alors que la « Gauche » est l’ultime revendication des partis, il semble bien qu’elle ne saurait être pour les anarchistes qu’un point de repli ; point de repli que sentirent intuitivement, à tort ou à raison nos camarades Espagnols en 1936, et que nous avons senti nous-mêmes quelques fois avec déchirement lors des récents événements du 13 mai.
Bien qu’il ait très vite rejeté toute participation à des organismes bourgeois, Bakounine avait senti ce repli comme un pis allé peut-être, mais absolument lorsque la « gauche » exprime une revendication. C’est le cas lorsqu’il s’affirme républicain dans le sens d’une lutte contre les monarchies réactionnaires de l’Europe :
« Il est évident — affirme-t-il — que la démocratie sans liberté ne peut nous servir de drapeau. Mais qu’est-ce que la démocratie fondée sur la liberté si ce n’est la République ? L’alliance de la liberté avec le privilège crée le régime monarchique constitutionnel mais son alliance avec la démocratie ne peut se réaliser que dans la République… Et nous pensons, messieurs, que nous sommes tous ici républicains dans ce sens, que poussés par les conséquences d’une inexorable logique, avertis par les leçons salutaires et si dures de l’histoire, nous sommes également arrivés à cette conviction : que les institutions monarchistes sont incompatibles avec le règne de la paix, de la justice et de la liberté. Quant à nous messieurs comme socialistes russes et comme Slaves, nous croyons devoir franchement déclarer, que, pour nous, ce mot de république n’a d’autre valeur QUE CETTE VALEUR TOUTE NÉGATIVE : celle d’être le renversement ou l’élimination de la monarchie ; et que, non seulement il n’est pas capable de nous exalter, mais qu’au contraire, toutes les fois qu’on nous présente la République comme une solution positive et sérieuse de toutes les questions du jour, comme le but suprême vers lequel doivent tendre nos efforts, nous éprouvons le besoin de protester ».
On ne saurait mieux de nos jours situer les révolutionnaires par rapport à la « Gauche ». Il ne saurait en être ainsi, bien sûr, du parti radical qui a été pendant des décades, le parti républicain par excellence. Édouard Herriot définissait assez bien ses perspectives au cours du Congrès Radical de 1923 :
« Au sain des troupes républicaines, il faut marquer plus fortement que jamais la volonté et le programme de notre parti, de ce parti : Intermédiaire entre la stagnation et l’opportunisme qui ne sont que des formes de réaction et la révolution qui, elle aussi, comme je viens de le voir — Herriot revenait d’U.R.S.S. (NDLR) — conduit à la conservation sociale, pour faire prévaloir la doctrine du progrès continu dans la loi et par la Raison !
Le Parti radical se réclame économiquement toujours aujourd’hui d’un certain capitalisme libéral, bien que certains mendésistes parlent maintenant de socialisme. Le Parti socialiste autonome et l’U.G.S. se réclament d’un socialisme progressif. Il semble bien que la clé de voûte, et le point commun se trouve dans cette croyance au « progrès continu dans la Loi » dont parle Herriot. Garaudy dit-il, au fond, autre chose en affirmant que la démocratie est « une création continue » ? Sans cesse la « Gauche » est condamnée à revendiquer le Pouvoir au sein du régime qu’elle voudrait détruire. Elle est condamnée à le défendre quand elle a obtenu ce Pouvoir et à trahir en permanence ses propres idées. Guy Mollet ne croit-il pas lui aussi au « progrès continu dans la Loi » ? La « gauche » en critiquant et en condamnant Guy Mollet. ne remet à aucun moment son IDÉOLOGIE en question. Nous ne pensons pas, quant à nous, que l’on puisse arriver à longue échéance à d’autres résultats que le sien quand on reprend contre lui et comme principe de rénovation des idées identiques à celles qui l’ont conduit à sa perte. Mais tout cela n’est pas nouveau.
Jean Grave, dès 1902 parlait de ceux qui « ont débuté dans l’opposition la plus irréductible » et « ont dû, une fois arrivés au pouvoir, renier leurs affirmations d’antan pour se dévouer à la défense de ce qu’ils avaient tant attaqué ». Et, bien avant Guy Mollet un socialiste nommé Sarraute avait écrit une étude intitulée « Socialisme d’opposition et Socialisme de Gouvernement » où il explique — nous dit Jean Grave —: « qu’un socialiste au pouvoir ne peut pas professer les mêmes théories que lorsqu’il était opposant, démontrant que toutes les violences de critique son permises contre l’ordre social qu’il s’agit de détruire, que l’on peut bien, par exemple proclamer l’antinomie du Capital et du Travail, mais, une fois au pouvoir, la question change de face : “Le problème de la vie primera toujours le problème de la démocratie”.
Mais il serait injuste de ne pas mentionner une toute petite lueur qui semble poindre à l’horizon par la personne de Depreux qui parle dans un récent article de « France Observateur » de socialisation, de société sans classe et de destruction progressive de l’État. Tout cela est bon car il y a des décades que les « hommes de gauche » ne critiquent plus l’état social et ne lui opposent rien. Et Depreux d’ajouter :
« Socialistes et républicains non intégralement socialistes peuvent élaborer la Charte de l’Opposition de demain, qui sera, si elle est à la hauteur de sa tache, la majorité d’après-demain lorsqu’après des inévitables déceptions se produira la non moins inévitable oscillation du pendule. »
Que feront Depreux et ses amis, lorsqu’ils auront la majorité ? Ils revendiqueront le Pouvoir et créeront un Front Populaire qui ne sera même pas, comme celui de 1936, appuyé par un mouvement ouvrier. À notre avis, radicaux, socialistes, U.G.S. et communistes gouverneront dans un régime de classe, simples otages du Capital sans même compter sur les moyens de lutte des travailleurs qui sont actuellement apathiques, divisés et souvent inorganisés : Depreux le sait sans doute comme nous. C’est encore ici que la croyance au fait que tout est réalisé sur la base des partis et au sein des alliances électorales et QUE C’EST AU NOM DU PEUPLE que l’on agit, conduit à de dangereuses utopies et prépare encore les « inévitables déceptions » !
Le camarade Naidan Pachitch fait remarquer dans la revue yougoslave « Questions actuelles du Socialisme » qu’au moment où le Parlement commence à jouer un rôle de moins en moins important — et nous le constatons avec la Constitution gaulliste — « la théorie politique bourgeoise commence à l’idéaliser et à en faire l’apologie ». « Au lieu d’estimer la valeur du parlementarisme selon les critères de la lutte pour le Socialisme, certains dirigeants de la Deuxième Internationale se déclarent disposés à renoncer au socialisme si celui-ci doit signifier le renoncement au parlementarisme bourgeois…» — Les communistes français n’ont pas fait autre chose depuis le 13 mai lorsqu’ils défendirent des slogans comme : « Défendons la République telle qu’elle est » et quand ils affirmèrent qu’il n’était nullement question du Socialisme mais seulement d’un choix entre la Démocratie et le Fascisme. À ce compte, les socialistes minoritaires et l’UGS n’avaient pas été aussi loin, car ils ne cessèrent de parler du socialisme. Il reste à savoir si, comme le déclare Pachitch, le Parlement a une valeur selon les critères de la lutte socialiste :
Lénine écrit dans « La Maladie Infantile du Communisme » : « La participation à un parlement démocratique, loin de nuire au prolétariat révolutionnaire, lui permet de démontrer plus facilement aux masses retardataires pourquoi ces parlements méritent d’être dissous, facilite le succès de cette dissolution, facilite l’élimination politique du parlementarisme bourgeois ».
L’histoire a fait justice de cette affirmation : non seulement les partis ouvriers n’ont pas liquidé la société. bourgeoise et le parlementarisme qui est son image, mais ils ne sont même pas parvenu à démontrer sa nécessaire dissolution : C’est le contraire qu’ils ont fait. Garaudy que nous citions plus haut reprend même des thèses combattues par Lénine lorsqu’il préconise « la voie parlementaire » pour parvenir au socialisme. Citons encore Jean Grave : « Le Parti Socialiste, révolutionnaire lorsqu’il débuta, après la Commune, se lança dans la lutte électorale sous prétexte de propagande à faire, se croyant sauvegardé par les considérants révolutionnaires de son programme où il était dit que la lutte électorale n’était qu’un moyen d’agitation, la révolution restant le seul moyen d’émancipation du prolétariat. On sait ce qu’il est advenu. Pris par la lutte électorale, les considérants révolutionnaires se sont égarés en cours de route, il n’est resté révolutionnaire que l’étiquette, la conquête des pouvoirs politiques est devenue le vrai credo et l’on fait espérer aux travailleurs leur affranchissement par des lois protectrices…»
Souhaitons qu’il soit un jour sérieusement question dans les milieux de « Gauche » de ce problème de la « prise du pouvoir ». Il appartenait aux anarchistes révolutionnaires de poser la question.
Si les anarchistes ont des « valeurs communes » à défendre avec une certaine gauche, c’est sur un tout autre terrain que le terrain électoral qu’ils conçoivent une rencontre possible.
Guy