La Presse Anarchiste

Irrationalismes

Constantes de Droite

Tout ce qui pros­père sur le mys­ti­cisme humain s’ac­croche à la névrose, et tout ce que domine la névrose devient la proie facile des pirates poli­tiques et religieux.

Qu’est-ce que la névrose ? En termes larges, une mala­die men­tale déclen­chée par l’an­goisse. Com­ment l’an­goisse vient-elle nous étreindre ? par l’in­quié­tude, le sen­ti­ment per­sis­tant « qu’il n’est pas pos­sible de sor­tir d’une situa­tion don­née », en bref par l’ob­ses­sion, par tout méca­nisme inhibiteur.

Or le mys­ti­cisme est l’in­hi­bi­tion des besoins vitaux. L’homme enfer­mé dans un cer­tain nombre de struc­tures qu’on lui montre comme rigides et immuables tend à renon­cer aux besoins qui le pous­se­raient à aller au-delà donc à faire écla­ter ces struc­tures soi-disant fixes.

Mais cette renon­cia­tion à la longue par­vien­drait à s’ac­cu­mu­ler et quand même à deve­nir un dan­ge­reux explo­sif social. Aus­si bien faut-il en trou­ver une déri­va­tion, voire une utilisation.

La DROITE consciente et déci­dée à défendre ses pri­vi­lèges, a par­fai­te­ment com­pris ce pro­blème. Elle l’a réso­lu dans le cadre de sa propre névrose en ayant recours à une phra­séo­lo­gie qui convient à la fois au vide de sa propre pen­sée et à cette ten­dance irra­tion­nelle — fond de toute pas­sion — qui pousse les indi­vi­dus comme les masses à recher­cher un ABSOLU en tout, et de le fixer dans une Idée ou un Homme. (Mais, disons aus­si que cette ten­dance est déter­mi­née par l’im­pos­si­bi­li­té de satis­faire les besoins vitaux nor­ma­le­ment dans la réalité.)

Ain­si le cercle inhi­bi­teur se ferme-t-il ; on démontre que les aspi­ra­tions natu­relles ne peuvent être satis­faites (les choses et l’u­ni­vers sont ain­si faits), et la gran­dis­sime Morale chré­tienne venant à point nom­mé, on les dérive dans le domaine de l’abs­trac­tion qu’aux grands moments cri­tiques il suf­fi­ra de cris­tal­li­ser dans un « Sau­veur » quel­conque de la patrie ou de la civi­li­sa­tion (véri­table com­plexe de l’In­car­na­tion). Il s’a­git en bref de cana­li­ser, de détour­ner toute aspi­ra­tion vitale de façon à l’en­fer­mer dans l’abs­trait, la métaphysique.

C’est pour­quoi dans le domaine des struc­tures sociales et men­tales il est si aisé de consta­ter la pro­fonde iden­ti­té de vues et de com­por­te­ment entre les tota­li­ta­rismes poli­tiques et reli­gieux, les­quels ont deux recours, au pro­fit de leurs élites (pri­vi­lé­giés), à une mys­tique : le recours à l’AB­SO­LU, l’exal­ta­tion de l’ABSTRAIT.

La Droite aliène l’homme concret à des abstractions

Toute idéo­lo­gie de Droite exprime dans ses constantes cette sou­mis­sion à l’abstrait.

Dans sa forme aiguë repré­sen­tée par le FASCISME, par exemple, les aspi­ra­tions de liber­té indi­vi­duelle — que tout homme sain tra­duit concrè­te­ment par la pos­si­bi­li­té de satis­faire ses besoins vitaux, ce qui implique une libé­ra­tion d’un cer­tain nombre de contraintes éco­no­miques et morales — s’é­changent contre une liber­té d’illu­sion (La Liber­té) c’est-à-dire une liber­té par iden­ti­fi­ca­tion avec une idée.

C’est ce que démontre l’a­na­lyse de tout son voca­bu­laire, son goût pour la céré­mo­nie et le tra­ves­ti, ce trans­fert par­fait et spec­ta­cu­laire du concret à l’abs­trait dont le fas­cisme nous a four­ni tant d’exemples.

Son propre goût pour cette espèce de féti­chisme l’en­ferme tout entier dans le domaine de la patho­lo­gie men­tale. C’est la sur­vi­vance du signe (et son action) à la chose signifiée.

On ne s’é­ton­ne­ra plus, cette consi­dé­ra­tion étant faite, que toute idéo­lo­gie de droite pous­sée dans la pra­tique, et basée néces­sai­re­ment comme nous venons de le dire, sur le REFOULEMENT des besoins vitaux de l’homme, conduise à ce monde inhu­main, à cette morale désaxée où pas­sion et rai­son se per­ver­tissent et mènent aux actes de sadisme.

Si la névrose est deve­nue le plus grand fléau de l’Oc­ci­dent elle le doit à une idéo­lo­gie contrai­gnante et « refou­lante » qui est la base du chris­tia­nisme lequel, socia­le­ment, s’ex­prime dans la pen­sée de la Droite.

Que cette pen­sée soit STATIQUE, on en convient aisé­ment. Ce que l’on recon­naît moins c’est qu’elle ne peut être autre. Tout l’im­mo­bi­lise. Pour elle il n’y a pas de deve­nir humain. L’his­toire n’a aucune signi­fi­ca­tion. L’homme n’est pas per­fec­tible. La seule issue, le seul refuge est l’abs­trait. Son CONSERVATISME tra­di­tion­nel, la défense de l’ac­quis (ses pri­vi­lèges) se jus­ti­fient par des mots sta­tiques, néga­tifs, eux-mêmes. C’est un refus des pul­sions vitales consi­dé­rées comme ins­tincts mau­vais. Ces pul­sions doivent être refou­lées à la fois pour main­te­nir l’Ordre des choses intact, et pour déve­lop­per l’es­prit de sou­mis­sion à un pré­ten­du fata­lisme uni­ver­sel, qui n’est autre, on s’en rend compte déjà, que la Struc­ture Sociale établie.

Cepen­dant si ces cri­tères constants de la Droite sai­sie en son méca­nisme nous sont utiles en cela qu’ils nous per­mettent de déca­ler ce qui dans TOUTE AUTRE IDÉOLOGIE la condam­ne­ra par avance — et nous ne man­que­rons pas d’en situer quelques points à notre pro­pos (La Gauche et ses Par­tis) — nous n’au­rons encore très peu appris tant que la racine. même de cette pen­sée « droite » n’au­ra pas elle-même été mise à nue.

Et cette racine, ce véri­table « NOYAU IDÉOLOGIQUE » de la Droite c’est le DUALISME.

On sait que cette doc­trine explique l’u­ni­vers par le concours de deux prin­cipes ou puis­sances anta­go­nistes, éter­nel­le­ment oppo­sés dont l’un est BON l’autre MAUVAIS par essence, ce qui explique toutes les oppo­si­tions qui existent dans le monde : bien et mal, Dieu et monde, Esprit et matière, Âme et corps.

Le domaine de la matière qui est le règne de la nature est, dans cette inter­pré­ta­tion celui du péris­sable, du limi­té, de l’im­par­fait, du déter­mi­né par la néces­si­té, et du non per­fec­tible, c’est le MAL. Celui de l’âme ou de l’es­prit est celui de l’im­ma­té­riel, de l’im­mor­tel, ten­dant vers l’in­fi­ni, le par­fait, la liber­té, c’est le BIEN.

Ce « noyau », qui est celui de l’É­glise chré­tienne a pu sans grand dom­mage résis­ter à plus de 20 siècles de muta­tions sociales et s’é­tendre à des peuples aus­si nom­breux que dif­fé­rents. Le chris­tia­nisme, plas­ti­forme par excel­lence, a en effet sup­por­té des formes sociales très diverses depuis l’Em­pire Romain jus­qu’à nos répu­bliques bour­geoises en pas­sant par la féo­da­li­té et la royau­té absolue.

Il sur­vit dans les phi­lo­so­phies dites laïques ou athées par­fois même maté­ria­listes. Et la prin­ci­pale inquié­tude de l’É­glise est de loger à tout prix ce « noyau » au sein de toute idéo­lo­gie nou­velle qui ten­drait à s’en évader.

Nous l”avons déjà dit au sujet de la Franc-Maçon­ne­rie (voir nº spé­cial ) il faut le rappeler.

Aus­si bien nous pour­rions appré­hen­der cor­rec­te­ment le solide lien interne qui relie les constantes de DROITE en igno­rant la pré­sence de ce noyau qui a fini — tel un aimant — par orien­ter la plu­part des réflexes psy­cho­lo­giques et les com­por­te­ments de l’homme occidental.

Toutes les dif­fi­cul­tés aux­quelles se heurtent les réformes ou les révo­lu­tions pour s’ins­crire dans la réa­li­té et demeu­rer plei­ne­ment effi­caces pro­viennent de cet « œuf de mort ».

Une enquête publique menée par l’I.F.O.P. en 1955 à la demande des « Temps Modernes » sur le sujet : « Qu’est-ce qu’un homme de gauche ? », situait éga­le­ment dans la série de ses ques­tions, ce que pou­vait être un homme de Droite.

Il est par­ti­cu­liè­re­ment utile de rap­pe­ler à cet endroit l’es­sen­tiel des réponses de cet homme de droite, car il confirme sin­gu­liè­re­ment notre ana­lyse. Nous en don­nons ci-des­sous quelques points :

— La nature humaine est mau­vaise et immuable.

— Aucune évo­lu­tion sociale ne sau­rait amé­lio­rer le sort de l’Homme qui est loup pour l’homme.

— C’est une mys­ti­fi­ca­tion de pré­tendre le déli­vrer du besoin.

— La révo­lu­tion n’est qu’un dépla­ce­ment du per­son­nel diri­geant, c’est aus­si la liqui­da­tion des « Élites ».

— La seule digni­té : main­te­nir son rang. Res­ter « propre ». Cher­cher à « s’élever ».

— La masse c’est l’in­forme, l’i­gno­rante, ani­mée de haine et d’en­vie qui s’at­taque pour les détruire à toutes les valeurs sacrées (ces valeurs : l’Ordre, le Rang, la Pro­prié­té, le Savoir, le Devoir, la Patrie, la Religion…).

— Ceux qui réclament sont des « maté­ria­listes sor­dides », il faut les brider.

Nous en pas­se­rons et des meilleures.

Pra­ti­que­ment un tel état d’es­prit PESSIMISTE vise à l’IM­MO­BI­LISME. C’est, comme nous l’a­vons dit déjà, le reflet d’une forme de pen­sée qui est la néga­tion même de la vie, et ce qui est contre la vie ne peut être que pathologique.

DUALISME MORAL, STATISME SOCIAL, COMPLEXE DE L’INCARNATION, FÉTICHISME, EXALTATION DE L’ABSOLU, tels sont les traits qui sin­gu­la­risent cette civi­li­sa­tion de Droite.

Tels sont aus­si les traits qui, pour nous, ont INFECTÉ et condam­né la Révo­lu­tion d’Oc­tobre, tels sont les traits qui, à per­sis­ter dans la pen­sée et le com­por­te­ment des hommes de Gauche, condamnent par avance TOUTE AUTRE RÉVOLUTION.

Tout tota­li­ta­risme est issu d’une pro­jec­tion vers l’Ab­so­lu, c’est-à-dire dans l’Abs­trait. Ce qui signi­fie l’a­ban­don de l’hu­main concret au pro­fit de l’I­dée, la sou­mis­sion au Signe au détri­ment de la chose signi­fiée, le refou­le­ment des pul­sions vitales au ser­vice de l’an­goisse, de l’ob­ses­sion, de la sou­mis­sion et de l’immobilisme.

Jacques

La Presse Anarchiste