1° Que le mot d’ordre de « grève générale » de vingt-quatre heures de la C.G.T pas été organisé comme il aurait dû l’être par ses initiateurs.
Les dirigeants de la C.G.T. n’ont pas mis tout en œuvre pour réussir une véritable grève de vingt-quatre heures, qui aurait dû être le point de départ d’une riposte généralisée de la classe ouvrière à politique anti-ouvrière du patronat et de l’État.
C’est ainsi que dans plusieurs régions et secteurs industriels importants, les responsables C.G.T. se sont évertués à limiter la durée de l’arrêt de travail. À l’E.D.F., pas de coupure généralisée du courant ; chez Renault, à Billancourt, pas d’appel à la grève ; dans les entreprises importantes, selon les conseils de dirigeants de Fédération, la grève générale s’est transformée en arrêt limité à une ou deux heures.
Cette attitude n’est pas pour surprendre : la bureaucratie qui dirige la C.G.T. n’a nullement l’intention d’organiser des actions d’envergure et généralisées. Les périodes électorales et pré-électorales doivent se dérouler dans le « calme, l’ordre, et la dignité ». C’est une nécessité pour les politiciens, de droite comme de gauche, qu’il en soit ainsi. Sans compter que la doctrine de la coexistence pacifique se traduit par la volonté de l’appareil du P.C.F. d’empêcher que l’action ouvrière débouche sur de puissants mouvements d’ensemble risquant de remettre en cause le maintien de l’équilibre décidé par les dirigeants de l’Est et l’Ouest. S’il arrive, comme en mai 1968, que la classe ouvrière, par son irruption, dérange les plans arrêtés, toute la tactique du P.C.F. consiste à canaliser le mouvement, à le récupérer pour le dévoyer dans la voie électorale qui ne peut que perpétuer le régime capitaliste.
2° Les dirigeants de la C.F.D.T., quant eux, préconisent des formes de lutte, qui conduisent inévitablement au morcellement, voire à la dispersion de l’action du mouvement ouvrier organisé.
Les dirigeants de la C.F.D.T. s’en tiennent aux conflits d’entreprises. Or les actions d’entreprises, aussi dures et exemplaires soient-t-elles – et qui ont besoin de toute notre solidarité agissante – peuvent, à la rigueur et difficilement, régler des problèmes de salaire, de classification, de conditions de travail concernant l’entreprise.
Difficilement, disons-nous, en effet. Pour leur politique salariale, les patrons s’en tiennent généralement, et fermement, aux consignes du gouvernement et du C.N.P.F., qui ont, de fait, bloqué la progression des salaires entre 5 et 6% en 1972.
Il est évident que ces actions localisées sont inadaptées pour les revendications générales des travailleurs, telles que les quarante heures et la retraite à 60 ans.
Ainsi, quand la C.F.D.T. préconise dans son texte la forme d’action suivante :
« Nous sommes persuadés qu’une grève tournante au niveau national désorganiserait l’économie et contraindrait nos adversaires à céder aux revendications des travailleurs. C’est pour cela que nous proposons, par roulement. des grèves professionnelles (métaux, bâtiment, chimie) intercalées de grèves interprofessionnelles régionales, l’Ouest, le Midi, etc., se relayant les unes les autres », elle reprend à son compte la tactique la plus désastreuse, la plus démobilisatrice : celle qui consiste à fragmenter l’action des travailleurs ; les uns après les autres, jamais ensemble, permettant ainsi au patronat et à l’État d’organiser leur résistance.
Si une partie de la classe ouvrière a débrayé sans illusion, « parce qu’il faut quand même faire quelque chose », une partie importante de celle-ci a refusé de s’associer aux manœuvres des 7 et 23 juin 1972. Nombreux sont les militants qui ont ainsi, consciemment, clairement montré qu’ils n’entendent plus être des pions dociles qu’on manipule au gré d’intérêts politico-électoraux qui n’ont rien à voir avec la défense des revendications.
3° Quant à la C.G.T.-F.O., le refus d’engager l’action générale, l’immobilisme du bureau confédéral face à l’offensive du patronat et du gouvernement accentuent le glissement de cette organisation vers un conservatisme social étroit qui a de moins en moins de rapports avec le réformisme traditionnel.
L’affirmation du principe de l’indépendance syndicale contre toutes les tentatives d’intégration du syndicalisme n’est qu’une formule théorique et abstraite largement insuffisante, si elle n’est pas accompagnée d’une action décidée pour les revendications des travailleurs, ce qui est loin d’être le cas.
L’autosatisfaction affichée publiquement par les responsables de la C.G.T.-F.O., leurs appréciations quant aux résultats de la politique contractuelle pour 1972 deviennent de plus en plus insupportables. Rappeler, comme vient de le faire son secrétaire général, que la C.G.T.-F.O. a eu quelquefois l’initiative d’actions nationales importantes est conforme à là vérité historique ; mais nous sommes en 1972 et le combat ouvrier ne se nourrit pas uniquement de souvenirs.
Alors que toute la politique économique et sociale du patronat et de l’État est parfaitement synchronisée à partir des options du VIe Plan, la théorie avancée par le bureau confédéral F.O., selon lequel il ne « faut pas globaliser » les revendications, donc les actions, correspond en fait à un refus d’affronter les réalités les plus élémentaires.
Ces constatations sur les positions des bureaucraties syndicales ne nous amènent pas pour autant à conclure qu’elles sont le seul frein au développement de la lutte des travailleurs, qui seraient prêts, à en croire certaines théories, à aller beaucoup plus loin. Les militants de l’Alliance savent que toutes les conditions pour une transformation radicale de la société sont loin d’être réunies. Ils savent aussi que la satisfaction des revendications sur le pouvoir d’achat, les quarante heures, la retraite ne remettent pas en cause fondamentalement le régime capitaliste.
Mais parce qu’ils sont quotidiennement confrontés aux réalités, ils savent que la lutte pour obtenir les revendications est en permanence indispensable, pour conquérir de nouveaux droits et avantages, ce qui est la tâche première du syndicalisme.
C’est par l’action de classe contre le patronat, le gouvernement, pour l’extension de leurs acquis que se forgera chez les travailleurs la claire conscience de leur situation d’exploités et de la nécessité de la destruction du régime capitaliste et de l’État.
Dès lors, le rôle des militants syndicalistes révolutionnaires et anarcho-syndicalistes consiste essentiellement, pour la période qui vient, partout où ils sont présents, assemblées de travailleurs, assemblées et congrès syndicaux, à proposer l’élargissement de l’action pour les revendications communes ; à expliquer que les mouvements sporadiques, disparates, tournants non seulement sont inefficaces mais se révèlent démobilisateurs et dangereux ; à leur opposer le « tous ensemble », la généralisation des luttes et à préciser qu’il ne faudra pas s’arrêter en chemin comme en mai 1968 et se contenter des accords de Grenelle ; à rappeler avec force que les conquêtes sociales arrachées au patronat ont toujours été acquises par l’action directe de classe, et non par le bulletin de vote.
Dans les mois qui viennent, la situation sera dominée par les préoccupations électorales des partis de gauche et de droite.
Les camarades de l’A.S.R.A.S. militeront pour expliquer qu’avec ou sans gouvernement d’union de la gauche, il est possible d’obtenir :
– L’augmentation uniforme des salaires et l’échelle mobile,
– La retraite à soixante ans de suite,
– Le retour aux quarante heures immédiatement ;
sur ces bases minimales, qui concernent des millions de salariés, face à la coalition patronat-État, opposons la coalition ouvrière.
En même temps qu’ils agissent inlassablement pour que l’organisation syndicale soit sous le contrôle permanent des syndiqués, pour que les structures fédéralistes du syndicalisme soient préservées, pour que les syndicats – groupement essentiel et seul fondé sur un critère de classe – luttent contre l’intégration sous toutes ses formes, les militants de l’Alliance agiront pour que l’action ouvrière soit portée au plus haut niveau possible.
Le 28 juin 1972