La Presse Anarchiste

Autonomie ouvrière

L’autonomie de la classe ouvrière est l’action concer­tée, dans l’organisation qui leur est propre, de l’ensemble des tra­vailleurs exploi­tés. Exploi­tés et exploi­teurs n’ont pas les mêmes inté­rêts. Les exploi­tés ne peuvent lut­ter avec les mêmes armes que les exploi­teurs. La lutte de la classe ouvrière doit s’exercer non au Par­le­ment, mais direc­te­ment contre le patro­nat, sur le lieu même où les tra­vailleurs sont exploi­tés : l’entreprise. L’organisation de cette lutte ne peut se faire que par le syndicat. 

Mais, pour être effi­cace, la lutte de la classe ouvrière ne peut se limi­ter à des pers­pec­tives à court terme. L’autonomie ouvrière ne se limite pas au plan reven­di­ca­tif. Elle doit être poli­tique. Si la classe ouvrière ne fait pas elle-même sa propre poli­tique, d’autres la feront à sa place. La poli­tique de la classe ouvrière doit s’élaborer là où la classe ouvrière est orga­ni­sée en tant que classe exploi­tée, non dans des grou­pe­ments inter­classes. Cette orga­ni­sa­tion auto­nome de la classe ouvrière est le syndicat. 

Orga­ni­sa­tion auto­nome, poli­tique auto­nome. Cela veut dire que la classe ouvrière doit pui­ser dans son propre sein les forces pour lut­ter et la capa­ci­té pour déci­der. Mais, sur­tout, cela signi­fie que la classe ouvrière doit être consciente qu’il lui fau­dra, un jour, assu­mer seule ou presque, contre toutes les autres classes, l’organisation hégé­mo­nique de la poli­tique et de l’économie socia­listes, ain­si que la défense armée contre la réaction. 

La restruc­tu­ra­tion, le rééqui­li­brage des forces du capi­ta­lisme au niveau mon­dial ont conduit depuis quelques années le patro­nat de ce pays à sacri­fier des sec­teurs peu ren­tables ou mal équi­pés. Ces sec­teurs sont aujourd’hui les plus tou­chés par la crise. On les trouve dans plu­sieurs branches : habille­ment-cuir-tex­tile, sidé­rur­gie, impri­me­rie, etc. Mais des sec­teurs de pointe, comme l’informatique, l’électronique, le nucléaire sont éga­le­ment vic­times des regrou­pe­ments (liqui­da­tion de la C.I.I., déman­tè­le­ment du C.E.A.).

Pour les tra­vailleurs, cela ne se tra­duit pas seule­ment par des licen­cie­ments, mais aus­si par une aggra­va­tion des condi­tions de tra­vail – aug­men­ta­tion des cadences, heures sup­plé­men­taires, hygiène et sécu­ri­té négli­gées –, et un frein sur les salaires. Cette poli­tique est menée grâce au chan­tage à l’emploi.

Femmes, jeunes, immi­grés, tra­vailleurs de plus de soixante ans font une fois de plus les frais de l’affaire.

Cepen­dant, on voit de plus en plus ces caté­go­ries de tra­vailleurs s’adresser aux per­ma­nences juri­diques tenues le plus sou­vent dans les unions locales. Tant pour un pro­blème indi­vi­duel que pour une créa­tion de sec­tion, ils ont ten­dance à tout attendre du « syn­di­cat ». Les struc­tures inter­pro­fes­sion­nelles sont-elles capables de faire face à cette situation ? 

Dans la plu­part des cas, les unions locales C.G.T., voire les syn­di­cats, refusent de s’occuper des cas indi­vi­duels. La C.F.D.T. a décou­vert l’organisation hori­zon­tale après 1968. Ceci explique les faibles moyens des unions locales C.F.D.T., par­ti­cu­liè­re­ment dans la région parisienne. 

Donc, au plan de l’action immé­diate, il est néces­saire de déve­lop­per les struc­tures inter­pro­fes­sion­nelles. Pour cela, il est vital que les unions locales soient com­po­sées du maxi­mum de sec­tions du sec­teur ou de la loca­li­té ; ce qui implique que les sec­tions man­datent et délèguent des mili­tants pour l’action quo­ti­dienne, qu’elles se pré­oc­cupent de la défi­ni­tion de la poli­tique syn­di­cale au niveau local. 

Les mili­tants des unions locales savent qu’il n’est pas facile de faire par­ti­ci­per les sec­tions. Il leur faut trou­ver des moyens pra­tiques pour les faire venir à l’interprofessionnelle. La plu­part du temps, les sec­tions ne s’adressent aux unions locales que pour résoudre un pro­blème tech­nique immé­diat (tirage, frappe, salle de réunions). La pre­mière tâche des unions locales est donc de ren­for­cer leur équi­pe­ment. Or, à la C.F.D.T., le plus sou­vent, les régions versent l’argent aux U.D. Celles-ci ne pra­tiquent qu’une aide au coup par coup, plus ou moins effi­cace. Cela impose aux unions locales une prise en charge réelle de la tré­so­re­rie (vente de maté­riel de pro­pa­gande, vente de la presse syn­di­cale, etc.). Cette pre­mière étape étant fran­chie, on peut inté­res­ser les sec­tions à la vie de l’U.L. en les tenant régu­liè­re­ment infor­mées (comptes-ren­dus, jour­nal de sec­teurs, etc.) 

Afin d’élargir encore la par­ti­ci­pa­tion des sec­tions, il est impor­tant qu’une par­tie de la for­ma­tion syn­di­cale soit prise en charge par une U.L. ou un sec­teur géo­gra­phique, par­ti­cu­liè­re­ment pour les nou­veaux mili­tants ou les nou­velles sec­tions. Au bout d’un cer­tain temps, les sec­tions accep­te­ront qu’une par­tie des heures de délé­ga­tion soit uti­li­sée pour assu­rer la vie de l’union locale – per­ma­nence, aide aux sec­tions nou­velles ou en dif­fi­cul­té, etc. Avec ce maté­riel mili­tant, les unions locales pour­ront lan­cer elles-mêmes des cam­pagnes d’implantation là où le syn­di­cat n’est pas pré­sent. Dans la période actuelle par­ti­cu­liè­re­ment, il est pos­sible de redon­ner aux U.L. leur rôle de bourses du tra­vail : infor­ma­tions par les sec­tions sur d’éventuelles embauches, aide au reclas­se­ment, etc. 

Les caté­go­ries les plus tou­chées par la crise trou­ve­ront leur place natu­relle dans cette forme d’organisation. Même si ce n’est qu’un début, ne com­mence-t-on pas à voir des chô­meurs se syn­di­quer dans les unions locales, des élèves de C.E.T. deman­der à se syn­di­quer dans les unions locales ? Des femmes de sala­riés, leurs maris menant une lutte contre les licen­cie­ments, n’ont-elles pas deman­dé à s’organiser dans l’union locale ? 

Une telle démarche pié­tine les plates-bandes des orga­ni­sa­tions « poli­tiques » et coupe l’herbe sous le pied de leurs comi­tés d’accueil en tous genres, qui ne sont que des moyens de divi­sion au ser­vice d’autres classes sociales. 

Elle est l’amorce de la défi­ni­tion d’une véri­table poli­tique ouvrière et de l’organisation réelle de la classe ouvrière sur la base de ses seuls intérêts. 

La Presse Anarchiste