La Presse Anarchiste

Anarcho-syndicalisme

Par défi­ni­tion, la démo­cra­tie syn­di­cale est la démo­cra­tie à l’intérieur du syn­di­cat, c’est-à-dire dans une orga­ni­sa­tion per­ma­nente des tra­vailleurs, et qui exclut donc cette majo­ri­té de tra­vailleurs qui n’est pas syndiquée. 

La démo­cra­tie ouvrière sort des limites du syn­di­cat et s’étend à l’ensemble de la classe. Dans le cadre d’une entre­prise, elle s’applique à l’ensemble des tra­vailleurs de l’entreprise.

Cer­tains mili­tants opposent ces deux formes de démo­cra­tie en pré­sen­tant l’une comme « supé­rieure » à l’autre. Nous aurons l’occasion de voir quel est le conte­nu réel de leurs préférences. 

Démo­cra­tie est un mot magique. « Qui décide ? », « Com­ment décident-ils ? » mais aus­si « Que décident-ils ? ». Un débat démo­cra­tique, c’est celui dont on a le droit de déter­mi­ner le sujet, et dans lequel on n’est pas bor­né à se déter­mi­ner sur des déci­sions prises « au-dessus ». 

Nous connais­sons trop bien ces assem­blées géné­rales de tra­vailleurs faites dans la cour, avec quelques cen­taines. voire quelques mil­liers de tra­vailleurs debout, écou­tant des chefs qui nous informent de ce qu’ils ont déci­dé. Quand on arrive, après une suc­ces­sion d’orateurs savam­ment agen­cée, au : « Bon, il y a des ques­tions ? », seuls quelques indi­vi­dus for­te­ment moti­vés parlent, ils sont liqui­dés en vitesse et on en vient au : « Main­te­nant on passe au vote ». 

Nous connais­sons aus­si ces réunions de syn­di­qués prises sur le temps de tra­vail, donc pas payées, où les diri­geants syn­di­caux parlent pen­dant trois quarts d’heure, et qui sont vite bâclées dans le quart d’heure qui suit parce que les tra­vailleurs n’ont pas envie de perdre trop d’argent. Et on s’étonne d’apprendre le len­de­main qu’une motion a été votée… 

Il est confor­table de consi­dé­rer que ces pra­tiques sont employées consciem­ment par de « méchants bureau­crates » qui le matin en se levant se réjoui­raient à l’idée qu’ils vont tra­hir la classe ouvrière toute la jour­née. Il arrive sou­vent qu’un mili­tant ou une sec­tion entière soient exclus de manière par­fai­te­ment bureau­cra­tique. Il arrive qu’un tra­vailleur ou qu’un délé­gué soient licen­ciés par le patron à la satis­fac­tion non dégui­sée des res­pon­sables syn­di­caux de l’entreprise sous pré­texte que cela fait « un emmer­deur de moins ». 

De telles méthodes ne sont en elles-mêmes impu­tables ni aux réfor­mistes, ni aux sta­li­niens. Elles sont la consé­quence logique de la concur­rence que se font des grou­pe­ments inter­classes exté­rieurs au syn­di­cat pour en prendre ou en conser­ver la direc­tion. Ces méthodes sont le lot com­mun de toutes les frac­tions diri­geantes qui s’efforcent de conser­ver leur position. 

Actuel­le­ment, les frac­tions « révo­lu­tion­naires » sont mino­ri­taires. Elles font donc de la démo­cra­tie ouvrière et syn­di­cale un che­val de bataille. Mais l’histoire atteste qu’au pou­voir les pra­tiques démo­cra­tiques s’évanouissent mira­cu­leu­se­ment en faveur des manœuvres pour éli­mi­ner la concur­rence. Cela s’explique par­fai­te­ment. Les orga­nismes inter­classes (par­tis) se réservent en tant que grou­pe­ment sépa­ré l’action poli­tique. Les orga­nismes de classe du pro­lé­ta­riat ne sont pas conçus à leurs yeux comme des orga­nismes auto­nomes de lutte du pro­lé­ta­riat. Ils créent les condi­tions qui rendent néces­saires les luttes de frac­tions pour arri­ver à la direc­tion des orga­nismes de classe. Dans ces luttes, il n’y a pas de démo­cra­tie qui tienne. On éli­mine le concur­rent par n’importe quel moyen, d’autant plus expé­di­tif que le rap­port de force est favorable. 

L’âpreté des luttes de frac­tions s’explique par le simple fait que la direc­tion des groupes inter­classes sur les orga­nismes de lutte éco­no­mique du pro­lé­ta­riat est pour eux une condi­tion indis­pen­sable à la mise en œuvre d’une poli­tique de quelque ampleur dans le mou­ve­ment ouvrier. 

Ces luttes de frac­tions prouvent l’insuffisance des concep­tions orga­ni­sa­tion­nelles de ces groupes qui en res­tent aux pra­tiques de divi­sion du tra­vail : orga­ni­sa­tion de lutte éco­no­mique et de lutte poli­tique typiques du XIXe siècle, de la période d’enfance du prolétariat. 

Les bureau­crates des struc­tures de base des syn­di­cats – rom­pus aux trucs du métier, mais naïfs com­pa­rés à leurs cama­rades fédé­raux ou confé­dé­raux – ne se livrent pas consciem­ment à des cra­pu­le­ries. Ils sont des ins­tru­ments d’une concep­tion du syn­di­ca­lisme à une époque don­née et dans des cir­cons­tances don­nées, les ins­tru­ments d’un modèle syn­di­cal, celui des réfor­mistes et des mar­xistes révo­lu­tion­naires. En effet, l’autre terme de l’alternative pro­po­sée par les mar­xistes révo­lu­tion­naires consiste à se pré­sen­ter comme une direc­tion de rechange, stric­te­ment sur les mêmes bases que les « direc­tions en sur­sis » actuelles. 

Sor­tir de l’impasse, enga­ger les tra­vailleurs dans la lutte pour la démo­cra­tie syn­di­cale et ouvrière, oppo­ser des bases et des pra­tiques entiè­re­ment dif­fé­rentes aux bureau­crates, c’est déve­lop­per les prin­cipes d’organisation du syn­di­ca­lisme révolutionnaire. 

On pour­rait défi­nir la démo­cra­tie ouvrière par les cri­tères suivants : 

  1. Les repré­sen­tants des tra­vailleurs sont élus direc­te­ment par les ouvriers et employés sur le lieu de travail ; 
  2. Les repré­sen­tants sont contrô­lés et révo­cables par les tra­vailleurs qui les élisent ; 
  3. La démo­cra­tie ouvrière englobe tous les tra­vailleurs sans distinction ; 
  4. Elle brise la frag­men­ta­tion des tra­vailleurs en caté­go­ries pro­fes­sion­nelles en les unis­sant sur les pro­blèmes d’intérêt géné­ral de la classe ouvrière ; 
  5. Les déci­sions prises s’étendent au-delà des pro­blèmes de reven­di­ca­tion immédiate ; 
  6. Tout repré­sen­tant non pro­lé­taire et toute direc­tion exté­rieure sont exclus. 

Ces six points résument toute l’expérience his­to­rique du pro­lé­ta­riat en matière de démo­cra­tie. C’est un objec­tif pour lequel tout anar­cho-syn­di­ca­liste milite. Mais on ne peut l’atteindre que si on prend conscience de la nature des obs­tacles qui s’opposent à sa réalisation. 

Contenu de la démocratie ouvrière et syndicale

De nom­breux obs­tacles s’opposent à la pra­tique de la démo­cra­tie syn­di­cale et ouvrière. Les plus impor­tants sont le fait du patro­nat et de l’État. Les divi­sions faites chez les tra­vailleurs par les mul­tiples clas­si­fi­ca­tions, la hié­rar­chie des salaires, les illu­sions sus­ci­tées par la radio, la télé, la presse tendent à bri­ser la soli­da­ri­té de classe du prolétariat. 

Mais il y a d’autres obs­tacles à la démo­cra­tie dans le mou­ve­ment ouvrier. Ils se trouvent dans le mou­ve­ment ouvrier lui-même. Ils sont liés à ses contra­dic­tions internes et aux luttes d’influence de cer­taines couches sociales pour s’approprier la direc­tion de ses orga­ni­sa­tions de masse. 

Nous avons eu l’occasion d’évoquer l’importance poli­tique et stra­té­gique du mou­ve­ment syn­di­cal pour les mul­tiples frac­tions poli­tiques can­di­dates à la direc­tion de la classe ouvrière. Cela tient à de mul­tiples fac­teurs dont le plus impor­tant est celui-ci : 20 % de tra­vailleurs orga­ni­sés ont un poids poli­tique qui dépasse de très loin leur nombre ; diri­ger ces 20 %-là, c’est diri­ger le mou­ve­ment ouvrier. 

L’accent mis sur les deux formes de démo­cra­tie, ouvrière ou syn­di­cale, tra­duit en géné­ral la situa­tion des dif­fé­rents grou­pe­ments par rap­port à la direc­tion des orga­ni­sa­tions de classe du mou­ve­ment ouvrier. Quand on est à la direc­tion, on parle de démo­cra­tie syn­di­cale, de dis­ci­pline syn­di­cale, et on montre des réti­cences envers les struc­tures de « démo­cra­tie ouvrière », comi­tés de grève, de sou­tien, etc. 

Quand on n’est pas à la direc­tion, on tend à prio­ri­ser la démo­cra­tie ouvrière et ses struc­tures par rap­port à la démo­cra­tie syn­di­cale. Cette situa­tion ne date pas d’aujourd’hui. Avant d’avoir le contrôle total sur tous les orga­nismes de classe du pro­lé­ta­riat russe, le par­ti bol­che­vik, pen­dant la Révo­lu­tion, dut jouer ser­ré pour prendre le contrôle des syn­di­cats et des comi­tés d’usine.

« Les bol­che­viks jouaient alors sur les deux tableaux, cher­chant à étendre leur influence et dans les syn­di­cats et dans les comi­tés ; et quand l’a pour­suite de ce double objec­tif exi­geait qu’ils tiennent deux lan­gages dif­fé­rents, ils n’hésitaient pas à le faire. Dans les syn­di­cats étroi­te­ment contrô­lés par les men­che­viks, les bol­che­viks deman­daient une large auto­no­mie pour les comi­tés d’usine, dans les syn­di­cats qu’ils contrô­laient eux-mêmes, ils mon­traient infi­ni­ment moins d’intérêt pour la chose. » (Mau­rice Brin­ton, « Les bol­che­viks et le contrôle ouvrier » in Auto­ges­tion et socia­lisme n° 24 – 25.)

Le terme « démo­cra­tie ouvrière suf­fit main­te­nant à tout pour cer­tains. On pra­tique la démo­cra­tie ouvrière comme on allait à la messe. On peut voir des assem­blées d’étudiants dans les uni­ver­si­tés pra­ti­quer la démo­cra­tie ouvrière de manière d’autant plus poin­tilleuse que les gens ras­sem­blés n’ont rien d’ouvriers. C’est que « démo­cra­tie ouvrière » ne signi­fie plus « ouvriers pra­ti­quant entre eux la démo­cra­tie » mais « indi­vi­dus de toutes classes se récla­mant du mou­ve­ment ouvrier et cau­sant librement ». 

Cette démo­cra­tie ouvrière-là est sim­ple­ment le mot d’ordre des couches de l’intelligentsia radi­ca­li­sée qui cherchent à déta­cher les tra­vailleurs de l’influence des bureau­cra­ties ouvrières actuelles pour les sou­mettre à leurs intérêts. 

Démocratie ouvrière et conscience de classe

Pour ter­mi­ner notre cri­tique des fausses concep­tions de la démo­cra­tie ouvrière, sou­le­vons une contra­dic­tion carac­té­ris­tique de la concep­tion social-démo­crate de la conscience ouvrière com­mune aux mar­xistes révo­lu­tion­naires et aux sta­li­niens. Selon cette concep­tion, la conscience poli­tique vient aux tra­vailleurs par l’entremise d’une mino­ri­té qui pos­sède la science du pro­lé­ta­riat. Ins­truite, cette mino­ri­té est, donc issue de la bour­geoi­sie, d’où la construc­tion d’organisations inter­classes qui vont déter­mi­ner la marche à suivre pour le prolétariat. 

Le pro­gramme du par­ti, sa stra­té­gie poli­tique ne sont pas le résul­tat d’un vote. Ils ne sont pas démo­cra­tiques, mais scien­ti­fiques. Ils sont déter­mi­nés par réfé­rence au mar­xisme, science du prolétariat.

« La théo­rie de Marx est la véri­té objec­tive. En sui­vant cette théo­rie, on se rap­proche de plus en plus de la véri­té objec­tive alors qu’en sui­vant n’importe quelle autre voie on ne peut arri­ver qu’à la confu­sion ou à l’erreur. La phi­lo­so­phie du mar­xisme est un bloc d’acier et il est impos­sible de mettre en doute une seule de ses hypo­thèses, une seule par­tie essen­tielle sans s’écarter de la véri­té objec­tive, sans tom­ber dans le men­songe réac­tion­naire et bour­geois… Vou­loir décou­vrir une nou­veau­té en phi­lo­so­phie relève de la même pau­vre­té d’esprit qu’il y a à vou­loir créer une nou­velle loi de la valeur ou une nou­velle théo­rie de la rente fon­cière. » (Lénine, Maté­ria­lisme et empi­rio­cri­ti­cisme.)

« Le mar­xisme ortho­doxe, disait encore Lénine, n’a besoin d’aucune modi­fi­ca­tion, ni dans sa phi­lo­so­phie, ni dans sa théo­rie de l’économie poli­tique, ni dans ses consé­quences poli­tiques. » (N. Valen­ti­nov, My talks with Lenin.)

La ques­tion de la démo­cra­tie dans le par­ti est par­fai­te­ment secon­daire, et même à plus forte rai­son la démo­cra­tie de la classe ouvrière elle-même. La classe ouvrière recon­naît le mar­xisme comme sa théo­rie, et elle ne pour­ra se trom­per. Le seul pro­blème, l’interprétation des évé­ne­ments selon la théo­rie mar­xiste, est aisé­ment réso­lu puisque 

« Les classes sont diri­gées par les par­tis, et les par­tis sont diri­gés par des indi­vi­dus, qu’on nomme des chefs… c’est l’ABC, la volon­té d’une classe peut être accom­plie, par une dic­ta­ture, la démo­cra­tie sovié­tique n’est nul­le­ment incom­pa­tible avec la dic­ta­ture d’un indi­vi­du… Ce qui importe, c’est une direc­tion unique, l’acceptation du pou­voir dic­ta­to­rial d’un seul homme… Toutes les phrases à pro­pos de l’égalité des droits ne sont que sot­tises. » (Lénine, Œuvres com­plètes, t. 17.)

Démocratie ouvrière et autonomie du prolétariat

Toutes décla­ra­tions lyriques sur la démo­cra­tie mises à part, la reven­di­ca­tion de démo­cra­tie ouvrière se ramène à peu de choses : 

  1. Pour les frac­tions diri­geantes, démo­cra­tie au sein d’éventuelles struc­tures ouvrières « élar­gies » par rap­port au syn­di­cat, sur des ques­tions de reven­di­ca­tion économique ; 
  2. Pour les frac­tions mino­ri­taires, pos­si­bi­li­té au sein de ces struc­tures de pro­po­ser aux tra­vailleurs des orien­ta­tions éla­bo­rées en dehors d’eux. Liber­té pour les tra­vailleurs de choi­sir entre plu­sieurs poli­tiques qu’ils n’ont pas éla­bo­rées. C’est du parlementarisme. 

L’action poli­tique du pro­lé­ta­riat n’est pas appré­ciée comme créa­tion per­ma­nente et col­lec­tive due à la pra­tique de la lutte des classes. Elle est jugée sur l’ampleur de son adhé­sion au pro­gramme d’un par­ti. C’est cette ampleur qui déter­mine les tac­tiques et les mots d’ordre. Par exemple, en avril 1917, Lénine impose au par­ti bol­che­vik le mot d’ordre « tout le pou­voir aux soviets », celui des liber­taires russes. Au pou­voir, les bol­che­viks sub­sti­tuent aux élus des soviets des fonc­tion­naires nom­més par l’État.

Comme dit Trots­ki au congrès sui­vant : « Le par­ti est obli­gé de main­te­nir sa direc­tion quelles que soient les hési­ta­tions tem­po­raires mêmes de la classe ouvrière. La dic­ta­ture n’est pas fon­dée à chaque ins­tant sur le prin­cipe for­mel de démo­cra­tie ouvrière. » Ce qui jus­ti­fie le débat démo­cra­tie ouvrière-démo­cra­tie syn­di­cale est l’existence d’organisations per­ma­nentes des tra­vailleurs et l’apparition occa­sion­nelle de struc­tures pro­vi­soires. Choi­sir l’une, c’est choi­sir une forme d’organisation (et si les struc­tures pro­vi­soires deviennent per­ma­nentes, le pro­blème est posé de nouveau). 

Si l’objectif à atteindre est la démo­cra­tie ouvrière la plus large, telle que nous l’avons défi­nie, les condi­tions actuelles de la lutte des classes, l’importance poli­tique et stra­té­gique du mou­ve­ment syn­di­cal nous obligent à consta­ter que le prin­ci­pal obs­tacle à la démo­cra­tie ouvrière au sein du mou­ve­ment ouvrier est l’absence de démo­cra­tie syndicale. 

Par leur puis­sance et leur exten­sion, les appa­reils syn­di­caux, s’ils y sont déci­dés, peuvent rendre illu­soire toute ten­ta­tive de démo­cra­tie ouvrière. Même si cer­taines cra­pu­le­ries bureau­cra­tiques détournent des tra­vailleurs de leur syn­di­cat, ou du syn­di­ca­lisme en géné­ral, de nou­velles couches de la popu­la­tion sont constam­ment jetées sur le mar­ché de l’emploi : jeunes, femmes, pay­sans, immi­grés, qui sont sus­cep­tibles de consti­tuer des masses de manœuvre pour les bureau­crates. Ces couches pré­sentent un double avan­tage pour les direc­tions syn­di­cales réfor­mistes : leur plus grande faci­li­té à se révol­ter devant des condi­tions de tra­vail qui leur paraissent avec beau­coup plus d’évidence « anor­males », ensuite leur absence de tra­di­tions et de connais­sance du mou­ve­ment ouvrier qui leur font paraître les pra­tiques syn­di­cales actuelles comme immuables. 

Cer­tains grou­pe­ments ultra­gau­chistes, dont les membres n’auront cepen­dant pour la plu­part jamais l’occasion de consta­ter par la pra­tique « l’anormalité » du tra­vail à la chaîne, tablent sur la désaf­fec­tion du syn­di­ca­lisme par les tra­vailleurs : « Un jour, les ouvriers se ren­dront compte que le syn­di­cat est un organe de la bour­geoi­sie, et alors ils feront la révo­lu­tion ». D’accord avec nous sur le fait que c’est la bureau­cra­tie syn­di­cale qui entrave la démo­cra­tie ouvrière, ils pré­co­nisent d’attendre que le syn­di­cat soit bureau­cra­ti­sé à fond et fina­le­ment débordé. 

L’immédiatisme se fond ici avec le fata­lisme le plus abso­lu, le « tout, tout de suite » avec le « jamais ». Les posi­tions atten­tistes des ultra­gau­chistes rejoignent celles des réfor­mistes à la Bern­stein. Aujourd’hui, la lutte pour la démo­cra­tie ouvrière passe d’abord par la lutte pour la démo­cra­tie syndicale. 

Conclusion

Les mili­tants anar­cho-syn­di­ca­listes doivent-ils, cette ana­lyse étant faite, déve­lop­per leur action dans les struc­tures per­ma­nentes ou dans les struc­tures provisoires ? 

Les mili­tants anar­cho-syn­di­ca­listes se trouvent là où les tra­vailleurs sont le plus en mesure de pra­ti­quer la lutte des classes. Les mili­tants anar­cho-syn­di­ca­listes s’organisent rigou­reu­se­ment pour dépas­ser le réfor­misme et l’électoralisme de la social-démo­cra­tie et du sta­li­nisme. Les anar­cho-syn­di­ca­listes, là où se trouvent les tra­vailleurs en lutte, luttent éga­le­ment pour déve­lop­per les prin­cipes d’organisation auto­nome du pro­lé­ta­riat, les voies du syn­di­ca­lisme révolutionnaire. 

Mal­gré la diver­si­té des pra­tiques impo­sées par les situa­tions dif­fé­rentes, le mou­ve­ment anar­cho-syn­di­ca­liste a un objec­tif constant : la créa­tion d’une orga­ni­sa­tion per­ma­nente du pro­lé­ta­riat sur des bases de classe, qui lie­rait la lutte éco­no­mique et la lutte poli­tique et dans laquelle la classe ouvrière déve­lop­pe­rait elle-même par la pra­tique quo­ti­dienne de la lutte des classes sa stra­té­gie révo­lu­tion­naire et son pro­gramme politique. 

Il est illu­soire d’espérer que la classe ouvrière dans sa tota­li­té rejoigne avant long­temps les rangs du pro­lé­ta­riat orga­ni­sé. Mais que ce soit dans les syn­di­cats ou hors des syn­di­cats, notre tâche est de déve­lop­per la démo­cra­tie directe, la déci­sion par les tra­vailleurs eux-mêmes à tous les niveaux, la déci­sion par les seuls tra­vailleurs sur tous les pro­blèmes de leur action reven­di­ca­tive et politique. 

Si le socia­lisme est un pro­blème de direc­tion, alors c’est un pro­blème de dic­ta­ture, donc de non-démo­cra­tie ; au contraire et si, comme nous le savons, le socia­lisme est un pro­blème de conscience, alors la démo­cra­tie est indispensable . 

En der­nière ana­lyse, la démo­cra­tie n’est pas seule­ment un mode de fonc­tion­ne­ment ; elle n’est pas une ques­tion de choix. La démo­cra­tie est un moyen indis­pen­sable à l’auto-éducation des tra­vailleurs, et pour cela elle est une condi­tion à la construc­tion du socialisme.

La Presse Anarchiste