Qu’on ne nous berce pas de grands mots sur la paix en nous disant que celle-ci est chose faite ! La guerre d’Orient va entrer dans sa phase la plus meurtrière alors que celle d’Europe, commencée en 1914, interrompue en 1918 et reprise en 1939, connaît à nouveau un arrêt dont nul ne saurait prédire la durée.
Nous n’avons pas pavoisé pour l’armistice. Non que nous ne partagions la joie commune et naturelle due à un tel événement. Mais nous ne pouvions oublier que le patriotisme et les défilés militaires, loin de contribuer à la construction de la paix universelle, ont constitué les matériaux de départ du national-socialisme allemand auquel ils permirent d’abord de s’imposer à tout un peuple, puis d’être pour le moins partiellement accepté par lui.
Aujourd’hui le militarisme prussien est vaincu. L’hitlérisme. qui s’est distingué dans l’art du crime, est abattu. Cependant le problème de la paix n’est pas résolu.
Alors qu’un impérialisme disparaît de la scène, deux autres subsistent, qui ne manquent ni de puissance ni d’appétit. D’une part, l’impérialisme anglo-américain, qui n’est pas nouveau et traîne à sa remorque, avec la France, toutes les nations occidentales. D’autre part, l’impérialisme russe, qui refleurit comme au plus beau temps des Romanoff et se pose en protecteur de toutes ses « sœurs »
slaves que sont les nations de l’Europe orientale.
Chez ceux qui se disent les continuateurs de l’œuvre de Lénine, il était admis autrefois que la guerre impérialiste devrait aboutir à une révolution mondiale d’autant plus certaine si l’U.R.S.S. « patrie du socialisme » entrait dans le conflit. Or, la Russie soviétique a fait la guerre comme toutes les autres nations et, alors qu’elle n’a pas instauré le socialisme dans les territoires qu’elle a conquis, elle paraît avide de nouvelles conquêtes territoriales. Elle semble plus soucieuse de restaurer l’empire des tzars tel qu’il était avant 1905 que de détruire le capitalisme.
Par ailleurs, au moment où de tous côtés on veut faire de la « victoire » et de la paix une seule et même chose, nous tenons à affirmer hautement à quel point de semblables élucubrations ne peuvent être que le fruit du mensonge le plus éhonté ou de l’erreur la plus coupable.
Est-ce une victoire, pour le prolétariat, pour le genre humain, d’avoir perdu sur les champs de bataille, dans les bombardements et dans les camps une grande partie de ses effectifs ? Et cela pour en arriver au statu quo économico-social de la bourgeoisie ? Pour voir l’armature capitaliste renforcée par un étatisme contre lequel on a prétendu lutter ?
Est-il sérieux de dire que la paix est revenue, alors que la guerre sociale revêt, par la force des choses, une ampleur qu’elle n’avait pas connue depuis longtemps ? La multiplicité des conflits sociaux est là pour nous prouver que la lutte de classes continue et que le régime actuel, chancelant, est incapable de solutionner le problème social.
Aussi, au moment où les travailleurs, dans un élan méritoire, luttent énergiquement contre le patronat, est-il opportun de rappeler que cette paix véritable, à laquelle ils aspirent, ne peut être que le résultat d’une sécurité économique assurée dans la liberté et qu’il ne tient qu’à eux de l’obtenir. Pour cela la grève n’est pas suffisante. C’est la prise en charge par les syndicats ouvriers — techniciens compris — de toute la production qui s’impose, ce qui suppose la disparition de la fonction patronale et de l’État. C’est aussi une répartition, une distribution, contrôlée par les consommateurs, qui est indispensable.
C’est, en un mot, la révolution qui est nécessaire. Non seulement dans les discours, mais dans les faits.
Sans de telles réalisations, toutes les victoires sont éphémères, et la paix tant prêchée ne peut être qu’une suspension d’armes.