La Presse Anarchiste

Dans la caverne d’Ali-Baba

Ils étaient qua­rante dans le conte mer­veilleux. Ils sont qua­rante-six à San-Fran­cis­co. Qua­rante-six États, les uns forts, les autres faibles, mais tous plus ou moins mar­qués des hideux stig­mates de l’hy­po­cri­sie bourgeoise.

La bour­geoi­sie a peur. Gou­ver­nants et capi­ta­listes de tous les États bel­li­gé­rants sont obsé­dés par le sen­ti­ment redou­table de leur res­pon­sa­bi­li­té com­mune dans le crime de la guerre et aus­si par celui de leur impuis­sance mor­telle face aux pro­blèmes de la paix. Mais ils sont sur­tout han­tés par la crainte d’un règle­ment de compte entre eux et les peuples mar­ty­ri­sés. Ain­si, comme en 1918, la fic­tion de la res­pon­sa­bi­li­té uni­la­té­rale de l’Al­le­magne appa­raît comme le seul moyen de détour­ner la fureur popu­laire et d’é­loi­gner la tem­pête qui menace d’en­glou­tir une civi­li­sa­tion dia­bo­lique. Et c’est ce qui explique la téna­ci­té avec laquelle ils tentent de faire de tout le peuple alle­mand — et de lui seul — le com­plice des tor­tion­naires de Dachau et de Buchenwald.

Révo­lu­tion­naires fran­çais nous ne mar­chons pas dans cette sale com­bine et nous nous refu­sons à accep­ter les yeux fer­més cette mons­trueuse fal­si­fi­ca­tion his­to­rique dont nous devi­nons trop bien les motifs, cela parce qu’il est pour nous une véri­té indis­cu­table comme un axiome : le nazisme est une consé­quence fatale du régime capi­ta­liste au stade actuel de son évo­lu­tion.

Qu’est-ce à dire ? Et quels étaient donc vos buts de guerre, nations de l’Axe et Nations unies ? Gou­ver­nants cri­mi­nels et tar­tufes, vous avez gar­dé jus­qu’à ce jour un pru­dent et trop com­pré­hen­sible silence : nous par­le­rons pour vous et vous nous excu­se­rez si nous ne pre­nons pas de gants. Les voi­ci, vos buts de guerre aux uns et aux autres :

Guerre pour le pétrole. — Les Nations unies contrôlent toutes les sources de car­bu­rant liquide du globe. Or, pas d’in­dus­trie moderne, et sur­tout pas d’ar­mée moto­ri­sée sans pétrole ; les nations de l’Axe reven­di­que­ront leur part, au besoin par les armes.

Guerre pour main­te­nir arti­fi­ciel­le­ment l’ac­ti­vi­té indus­trielle. — Le sys­tème a ces­sé de fonc­tion­ner nor­ma­le­ment après la guerre de 1914 et après avoir été ter­ras­sé par la crise de 1929 – 35. Orga­nisme mor­bide et gan­gre­né, seule la course aux arme­ments lui a redon­né vie mais une vie factice.

Guerre enfin pour le par­tage du monde. — Avec ses salaires rela­ti­ve­ment éle­vés par l’ac­tion syn­di­cale avec ses lois sociales résul­tant de la place impor­tante qu’il occupe dans la socié­té poli­tique ; avec enfin la reli­gion et les mœurs éga­li­taires des peuples euro­péens, le pro­lé­taire d’Eu­rope et d’A­mé­rique du Nord a un niveau de vie trop éle­vé et ne « rend » que peu de pro­fit. Qu’im­porte ! Les grandes nations capi­ta­listes exploitent par le monde des mil­lions d’es­claves à cent sous par jour sans les­quels le capi­ta­lisme péri­rait par asphyxie. C’est jus­te­ment de quoi souffre le capi­tal alle­mand, qui n’a que des pro­lé­taires euro­péens à exploiter.

Le capi­ta­lisme alle­mand, comme les autres capi­ta­lismes, avait faim de pro­lé­taires à bas prix. Connais­sant trop bien son impuis­sance sur mer, il a rêvé de faire de l’Eu­rope ce que les Espa­gnols, Por­tu­gais, Fran­çais, Hol­lan­dais, Anglais ont fait de l’A­frique, de l’A­mé­rique et de l’A­sie, et par les mêmes modes que ceux-ci : par l’a­gres­sion et la guerre. Le vrai rôle d’Hit­ler devait être de remettre la masse alle­mande der­rière le grand état-major pour l’a­ven­ture déses­pé­rée. Eh quoi ! bour­geois d’Oc­ci­dent, êtes-vous donc si sûrs d’a­voir les mains pures et de n’être pour rien dans l’ac­ces­sion au pou­voir du déma­gogue de Braunau ?

Il ne sau­rait être ques­tion pour nous d’i­den­ti­fier le pro­lé­taire alle­mand et son exploi­teur pas plus que de rendre les tra­vailleurs euro­péens soli­daires des bri­gan­dages colo­niaux capi­ta­listes, des infâmes spo­lia­tions et des tor­tures sans nom infli­gées à cent peuples asser­vis. Le seul vrai res­pon­sable de la guerre, c’est le régime capitaliste.

Que les peuples ne se laissent pas abu­ser ! Ils ont eu rai­son de résis­ter et de se rebel­ler contre l’es­cla­vage hit­lé­rien. Mais sont-ils bien sûrs d’a­voir écar­té le dan­ger ? La conclu­sion piteuse de la comé­die de San-Fran­cis­co est, hélas ! Ins­truc­tive : liqui­da­tion de Yal­ta, donc pas de sécu­ri­té col­lec­tive, mais retour aux « zones d’in­fluence » arrê­tées à Téhé­ran, c’est-à-dire au par­tage du monde — et de ses mil­lions de pro­lé­taires exploi­tables à mer­ci — qui était le vrai but de la guerre.

Les « Grands » sont — ou se croient — tran­quilles. Le droit de « veto » va per­mettre à chaque agres­seur de pour­suivre en toute quié­tude l’as­ser­vis­se­ment des « petits » sans avoir à redou­ter l’in­dis­cré­tion de ses copartageants.

Hit­ler est mort. Petites nations, vous serez quand même esclaves. C’est San-Fran­cis­co qui vous le dit.

La Presse Anarchiste