Quand paraîtra cet article, les masses fidèles à leurs morts, ces masses colonisées, « patriotisées », enrégimentées, par les partis, les alliances, les haines auront défilé une fois de plus devant le Mur. Elles auront crié : « Bazaine-Pétain au poteau ! » « Nationalisations ! » et, sur l’air des lampions, le cri mille fois répété d’«Unité ! ». Des discours auront exalté le patriotisme des communards, celui des F.F.I. dont le parallèle évoqué aura soulevé les acclamations. Et elles auront regagné leurs habitations, encore galvanisées par leurs propres cris, rangé les habits du dimanche et, le lendemain, repris le chemin de l’usine ou de l’atelier.
Est-ce pour nous mêler à cette « commémoration » que nous irons, nous aussi, au Mur ? Non ! Notre esprit est autre. Ce n’est pas pour leur patriotisme que nous nous inclinerons devant « nos » morts, mais parce qu’ils ont appelé de leur courage, de leur volonté, de leur sanglant sacrifice la « République sociale », la « Sociale », et salué l’aube de la révolution.
Car, il faut le répéter au peuple contre les affirmations partisanes, dénuées de vérité historique, la « Commune » qu’il doit célébrer, c’est celle des siens. Et les siens ce ne sont pas les républicains montagnards, jacobins ou quarante-huitards attardés, patriotes eux, figés par le souvenir de leurs défaites, mais les hommes nouveaux, tels Varlin, qui combattaient pour l’Internationale, pour le prolétariat, pour la « Sociale ».
C’est devant ceux-là que nous nous inclinons. C’est de ceux-là seuls que nous nous réclamons. Car s’ils ont à la fois combattu l’envahisseur et le gouvernement de Bordeaux, ils voyaient plus loin. S’ils ont engagé délibérément, sous le drapeau symbolique de la Commune, le combat contre les ruraux, ils continuaient logiquement, imperturbablement le combat qu’ils menaient depuis dix ans dans l’Internationale, dans les associations ouvrières reconstituées, dans les syndicats naissants. Eux seuls ont compris, dans cette explosion de la colère populaire, que Badinguet, Thiers, le « gnome sanglant », Trochu, Jules Favre n’étaient que des prête-noms, renouvelables, remplaçables, du seul ennemi toujours présent : le Maître, de quelque forme qu’il soit : autorité, impérialisme, capitalisme, et que la forme de lutte à adopter était la lutte de classes.
Manquant d’audace et, pour certains d’entr’eux, d’envergure, ils ont cependant fait ce qu’aucun n’avait fait avant eux : ils ont concrétisé jusqu’au sacrifice cette forme nouvelle de lutte que nous voyons aujourd’hui abandonnée au « profit » des raisonnements machiavéliques et à une « haute diplomatie ouvrière ». Ils étaient le ciment nécessaire des groupes épars dans la masse « républicaine » et socialisante, ces groupes qui étaient les premiers pelotons de l’armée du prolétariat.
Aussi ces mots d’ordre hurlés devant les tombes nous ne pouvons les reprendre que si les masses, conscientes d’elles-mêmes, sourdes et aveugles aux parades et aux palinodies des bateleurs et des clowns de la sociale, marchant dans la voie tracée par les « leurs » abandonnent à la vindicte de ses pairs le « Bazaine-Pétain », réalisent dans leur sein et par elles-mêmes la vraie « unité », qui sera, cette fois, l’arme de « leur révolution », prélude à la Fédération des Peuples.
« Le Libertaire »