19 juillet 1936 ! Une date qui évoque de grandes choses pour les amis de la liberté et de la cause populaire.
À cette époque, en France, la classe ouvrière se contentait d’occuper « pacifiquement » les usines et les magasins pour obtenir des salaires plus élevés et un peu plus de loisir. Elle donnait une démonstration de sa force. Mais ses exigences ne dépassaient pas le cadre de vagues revendications immédiates.
Cependant, ce qui se passait de l’autre côté des Pyrénées était d’une portée plus grande. Un peuple, plongé dans la plus affreuse misère, prenant conscience de son rôle, passait à la lutte directe contre le fascisme autrement que par des grèves, des meetings ou des alliances politiques.
Le 19 juillet 1936, sous l’impulsion de la Confédération Nationale du Travail et de la Fédération Anarchiste Ibérique, le peuple espagnol, décidé à en finir avec les finasseries politicardes qui s’avéraient incapables de vaincre le fascisme, passait à l’action directe contre la réaction dont Franco était le chef.
Ce n’était plus la grève, c’était l’insurrection populaire ; un peuple ne se contentant plus de combattre verbalement les généraux, les dignitaires de l’Église et les trusts, mais concrétisant son action par des appropriations, des collectivisations, par des réalisations révolutionnaires. C’étaient bien là des transformations réelles et profondes dignes d’une Révolution sociale, illustrant magistralement jusqu’à l’inutilité de l’État.
Durant deux ans et demi, ce peuple courageux combattit avec une ténacité sans égale un ennemi de classe dont la supériorité en matériel de guerre était écrasante. Franco, qui était soutenu par le capitalisme international, fut largement pourvu de matériel allemand, l’hitlérisme ayant fait de l’Espagne martyre son champ d’expérience. Toutes les démocraties feignaient l’indignation devant cette intervention de l’État hitlérien en Espagne, mais au fond s’en réjouissaient.
En présence de cette complicité internationale et de l’apathie des masses ouvrières européennes, qui se montraient incapables de secouer leur joug et de généraliser la révolution, nos frères d’Espagne crurent pouvoir se tourner vers la Russie soviétique pour trouver l’aide indispensable au triomphe de leur cause — de notre cause. L’État russe, après des marchandages dignes de la City de Londres, leur consentit une aide purement spectaculaire destinée seulement à favoriser la propagande communiste, mais ne fit rien pour la réussite d’une expérience sociale dont il ne voulait absolument pas.
Ceux des nôtres tombés dans cette lutte inégale sont légion. Des géants comme Ascaso Durutti, périrent dans ce combat titanesque qui mettait aux prises l’ancien monde et le nouveau.
Des années se sont écoulées, et depuis la victoire temporaire de Franco la lutte antifasciste s’est déroulée à l’échelle européenne, prenant alors le caractère d’une guerre ; l’ennemi n’était que le fasciste d’au delà des frontières. Pendant cinq ans on a fait la guerre à outrance contre l’adversaire d’en face, mais on a pactisé avec toutes les bourgeoisies plus ou moins ouvertement réactionnaires et on a complètement abandonné la lutte contre l’adversaire de toujours : l’ennemi de classe. La lutte antifasciste, de guerre de classe qu’elle fut à ses débuts, a dégénéré en guerre impérialiste.
Les nations aujourd’hui « libérées » joug hitlérien sont toujours assujetties à l’oppression capitaliste, même si la pensée, moyennant de sérieuses restrictions, peut quelque peu s’exprimer.
Mais l’Espagne, qui déclencha la lutte, où en est-elle ? Son sol est devenu le refuge de tous les rescapés de marque de l’hitlérisme. Le régime de terreur de Franco continue d’y semer la désolation et la mort dans les rangs antifascistes. Et malgré de platoniques « interventions » diplomatiques alliées, autour desquelles on fait bien trop de bruit, c’est par centaines que ceux qui surent montrer au monde le chemin de la liberté sont encore exécutés !
Les révolutionnaires espagnols, au premier rang desquels figure la masse des libertaires, ne croient pas à l’efficacité des interventions diplomatiques. Ce n’est pas des hommes d’État qu’ils attendent un renversement de la situation politique dans leur pays. Ce n’est que par l’action directe, concertée de la population ouvrière et paysanne d’Espagne, avec laquelle toute une élite intellectuelle a su demeurer en contact, que la dictature franquiste s’écroulera effectivement.
Pour cela nous faisons confiance à nos frères de la péninsule ibérique, qui n’ont à recevoir de personne des leçons de courage. C’est de l’Espagne que nous attendons les prémisses d’une ère nouvelle. C’est vers elle que nous nous tournons pour retrouver l’espoir en un renouveau social, en un monde libre. Mais c’est de l’Espagne populaire et libertaire que nous parlons ici et non de cette fraction classiquement républicaine et combinarde qui, dans les arrière-boutiques d’ambassades, calcule déjà les places qui pourraient lui être dévolues lorsque Franco disparaîtra.
Et nous terminerons en soulignant la perfidie de toute la grande presse française qui, lorsqu’elle parle des événements d’Espagne, omet toujours avec intention de mentionner que la C.N.T. et la F.A.I. furent l’âme de l’insurrection du 19 juillet 1936, que dans l’émigration elles occupent une place prépondérante et qu’elles demeurent le plus sûr garant de la victoire antifasciste et révolutionnaire de demain.
Vous tous, camarades de la C.N.T. et de la F.A.I., qui avez combattu courageusement, qui avez résisté à toutes les vicissitudes et à toutes les pressions propres à l’exil, sachez que vous avez en France des frères prêts à vous soutenir. Souvenez-vous que la solidarité révolutionnaire n’est pas morte. Et soyez assurés que d’autres 19 juillet peuvent éclater, nous serons à vos côtés.
Le Libertaire