La Presse Anarchiste

Les paysans dans la révolution

problemes.png Dès le début de l’an­née 1945, dans cer­tains pays libé­rés du joug hit­lé­rien, les pay­sans se sai­sirent des terres aban­don­nées par les pro­prié­taires en fuite et com­men­cèrent ce que les éco­no­mistes appellent une révo­lu­tion agraire. Ce furent sur­tout dans les régions de l’est de l’Eu­rope que ces expro­pria­tions eurent lieu. En Rou­ma­nie « les pay­sans de cer­taines pro­vinces n’au­raient pas atten­du l’ins­tal­la­tion défi­ni­tive du nou­veau gou­ver­ne­ment pour amor­cer cette réforme. Réunis en conseils ruraux, ils auraient entre­pris le par­tage des grandes pro­prié­tés appar­te­nant aux cri­mi­nels de guerre et à ceux qui col­la­bo­rèrent avec les puis­sances de l’Axe ». (« Com­bat » du 9 mars 1945.) En Pologne, « dans les ter­ri­toires de Var­so­vie, Lods, Kielce, des pro­prié­tés d’une super­fi­cie de 316.500 hec­tares, 225.280 hec­tares et 200.000 hec­tares seront mor­ce­lés ». (« Monde » du 2 avril 1945.) En Bul­ga­rie, « le gou­ver­ne­ment bul­gare est en train de for­mer des socié­tés coopé­ra­tives sem­blables aux kol­khozes russes ». (« Monde » du 15 mars 1945. En Hon­grie, « confis­ca­tion de toutes les pro­prié­tés pri­vées dont la super­fi­cie dépasse 1.000 hec­tares, si elles sont situées dans un rayon de 30km de la capi­tale, 2.000 hec­tares dans le reste du pays. Les pro­prié­tés appar­te­nant à des per­sonnes morales, socié­tés à res­pon­sa­bi­li­té limi­tées, com­pa­gnies d’as­su­rances, seront confis­quées, quelle que soit leur éten­due. Les pro­prié­tés ain­si confis­quées seront ensuite redis­tri­buées entre les pay­sans. ». (« Monde » du 1er mars 1945.) Dans le sud de l’I­ta­lie, les pay­sans com­men­cèrent le par­tage des terres avant même que les armées nazies capi­tulent dans le Nord. Ce furent les Alliés qui mirent le holà aux réa­li­sa­tions du pro­lé­ta­riat campagnard.

C’est que dans toute l’Eu­rope le pro­blème de la pro­duc­tion agri­cole se pose et demande une solu­tion rapide. C’est que le monde ouvrier pay­san demande une amé­lio­ra­tion de son sort, que dans cette couche sociale dont on parle si peu les inéga­li­tés se font de plus en plus criantes. Chez nous comme ailleurs. La pro­prié­té, autre­fois suf­fi­sante pour sub­ve­nir aux besoins d’une famille, s’est trou­vée mor­ce­lée par les héri­tages suc­ces­sifs, chaque fils et fille rece­vant une part du ter­rain délais­sé par la mort du père. Et cela était logique dans le cadre éga­li­taire de la Révo­lu­tion de 1789, puisque opé­rer autre­ment eut remis en vigueur l’in­juste droit d’aînesse.

Les effets, sont aujourd’­hui désas­treux : rape­tis­se­ment de la sur­face culti­vable, — le cloi­son­ne­ment et l’é­goïsme empê­chant toute exploi­ta­tion col­lec­tive quand le pro­fit est roi, — manque de méthode et de ratio­na­li­sa­tion dans le mode de culture, — aucune direc­tive n’é­tant admise par le pay­san, sou­vent igno­rant et tou­jours tra­di­tio­na­liste, — ense­men­ce­ment réduit, retour à la culture qui rap­porte le plus au détri­ment de l’u­tile, — l’exemple des terres nor­mandes livrées à l’é­le­vage est typique à ce sujet, alors que le blé y pousse mer­veilleu­se­ment lors­qu’on veut bien l’en­se­men­cer, — impos­si­bi­li­té et par­fois refus d’u­ti­li­ser ration­nel­le­ment les machines agri­coles et les engrais, déla­bre­ment de l’ha­bi­tat rural, — un petit pay­san ne pou­vant réa­li­ser la ferme modèle, — déser­tion des cam­pagnes pour les villes aux salaires allé­chants et aux condi­tions de vie plus attrayantes. La consé­quence de cet état de fait est la concen­tra­tion des terres par les capi­ta­listes de tout crin qui, eux, ne sont pas for­cé­ment de souche pay­sanne. Encore est-il à remar­quer que, jus­qu’à main­te­nant, seule, cette concen­tra­tion a per­mis. une cer­taine « pro­lé­ta­ri­sa­tion » d’une par­tie de la main-d’œuvre pay­sanne et que cette der­nière, par ce fait même, en est arri­vée à la concep­tion syn­di­cale de la lutte contre le patro­nat. Nous ne nous nour­ris­sons pas de machines-outils et ce n’est pas la pénu­rie qui nous per­met­tra d’a­mé­lio­rer consi­dé­ra­ble­ment le sort des col­lec­ti­vi­tés. La pierre de touche du triomphe de la révo­lu­tion, de toute révo­lu­tion, est donc le pro­blème agraire. Ce n’est que par une plus grande pro­duc­tion, consé­quence de l’u­ti­li­sa­tion d’un outillage per­fec­tion­né, que nous attein­drons le règne de l’a­bon­dance. Dès lors nous pour­rons pro­cé­der à une juste répar­ti­tion des pro­duits, nous libé­re­rons l’homme ; nous lui don­ne­rons le sens de la digni­té et de la solidarité.

Au Xe Congrès du par­ti com­mu­niste fran­çais (sic), Wal­deck Rochet, dans son rap­port sur le pro­blème agraire, n’a fait que dévoi­ler les méfaits d’une éco­no­mie qui se meurt, dont nous mour­rons. Il a consta­té. Mais les remèdes pré­co­ni­sés n’en sont pas. « Il faut rele­ver le prix du blé pour la pro­chaine cam­pagne » sans que le prix du pain s’en trouve modi­fié, ce qui est pos­sible « si nous vou­lons sup­pri­mer les inter­mé­diaires ». Il y revient, sachant que le pay­san est essen­tiel­le­ment près de son bas de laine : « Pour sti­mu­ler notre pro­duc­tion agri­cole, il faut fixer des prix équi­tables per­met­tant aux pay­sans de faire face aux dépenses accrues de l’ex­ploi­ta­tion agri­cole… Relè­ve­ment des salaires, appli­ca­tion des conven­tions du tra­vail, lois sociales, loge­ments confor­tables, limi­ta­tion du prix des baux à ferme, renou­vel­le­ment du bail, indem­ni­té de plus-value au fer­mier sor­tant, etc. » C’est très bien, mais cela ne résout pas le pro­blème agri­cole. D’au­tant plus que W. Rochet demande « de ren­for­cer les garan­ties don­nées aux biens de famille ». Les réformes pré­co­ni­sées par le Xe Congrès du P.C.F. relèvent uni­que­ment de la déma­go­gie, des pro­cé­dés élec­to­raux capi­ta­listes, du machia­vé­lisme sta­li­nien bien connu désor­mais et ne se dis­tinguent pas des remèdes pré­co­ni­sés par tous les autres par­tis poli­tiques. Ce ne sont pas des solu­tions révo­lu­tion­naires et sociales.

Pour que la col­lec­ti­vi­té puisse man­ger à sa faim, même si cela doit bles­ser les sen­ti­ments pro­prié­taires du moyen et du petit pay­san, il est néces­saire d’ex­pro­prier immé­dia­te­ment et de col­lec­ti­vi­ser les terres. Nous disons bien col­lec­ti­vi­ser et non éta­ti­ser, car l’é­ta­tisme ne réus­sit qu’à faire vibrion­ner une mul­ti­tude de fonc­tion­naires sou­vent inca­pables sans que la struc­ture de l’or­ga­ni­sa­tion chan­geât essen­tiel­le­ment. Col­lec­ti­vi­ser, c’est mettre entre les mains de la masse pay­sanne la tota­li­té des terres pour faire rendre le maxi­mum à ces terres en employant les méthodes de culture les plus modernes.

À toi, cama­rade pay­san, dont la soli­da­ri­té envers nous fut jus­qu’i­ci rela­tive, nous don­ne­rons les bêches de Saint-Etienne et les trac­teurs de Béziers. En échange, nous rece­vrons tes blés de la Beauce et tes vins du Rous­sillon. Par le fédé­ra­lisme et la com­mune libre, tu acquer­ras enfin ce que tu as atten­du si long­temps : le droit à la vie, à l’ins­truc­tion, au confort, aux loi­sirs et un tra­vail moins pénible. Et ne nous traite ni de men­teurs, ni d’u­to­pistes, car nous avons réa­li­sé tout cela en Ukraine avec Makh­no, en Ara­gon avec la C.N.T. Le salut est dans la révo­lu­tion sociale qui balaie­ra le régime actuel et lui sub­sti­tue­ra le fédé­ra­lisme liber­taire. Il ne tient qu’à toi de la faire avec nous.

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