En pleine euphorie ! La presse entière appelle le prolétariat à intensifier la production. La C.G.T., dans une affiche bariolée de tricolore, lance un appel vibrant et dénonce les trusts, qu’elle n’a jamais été capable d’inquiéter dans l’ordre et la discipline. Les partis ouvriers bourgeois appuient et font de la surenchère. Tournemaine met presque les cheminots en demeure de suer 54 heures de profit. Thorez — qui depuis longtemps ne sue plus du profit — gros et gras, le teint frais, se portant à merveille, invective les mineurs du Nord et du Pas-de-Calais pour le manque de production et l’accroissement de l’absentéisme, oublieux que les gars de la mine n’ayant rien à se mettre sous la dent ne peuvent produire qu’en fonction de ce qu’ils mangent. Maurice Thorez ne peut ignorer que l’axiome que son parti défendait autrefois : « Qui ne travaille pas ne mange pas » doit se doubler d’une vérité première : « Qui ne mange pas ne travaille pas. »
Le plus drôle dans toute cette campagne pour la production, c’est que tous ces superpatriotes, les nouveaux social-chauvins de 1945, se réclament de la philosophie marxiste et de son économie. Or, si je me rappelle bien, le marxisme vise à la révolution, non par le remplacement des dirigeants, mais par l’éclatement et la destruction de la vieille machine d’État, qui est remise entre les mains des travailleurs sous une forme nouvelle. Ceci implique une lutte permanente et dans tous les domaines contre le système capitaliste.
À mon avis — et M. Thorez ne nous contredira pas — nous sommes en régime capitaliste, puisque tous les jours il hurle à tue-tête contre les trusts et les cartels qu’il qualifie de 5e colonne, mais qui en fait sont tout simplement internationaux, le capitalisme n’étant plus attaché profondément à l’esprit du nationalisme laissé à la classe ouvrière afin de mieux la diriger vers le prochain coup de torchon.
Nous sommes donc en système capitaliste, avec une économie capitaliste. Et s’il y a des ministres communistes au gouvernement, cela n’a rien changé à la situation. Or, qui dit capitalisme dit profit, et qui dit profit dit plus-value. Pour que le chef d’entreprise réalise un bénéfice, il suffit de faire travailler l’ouvrier assez longtemps pour que le nombre des heures de travail incorporé dans l’objet dépasse le nombre des heures de travail correspondant aux frais d’entretien de cet ouvrier. Le résultat c’est que le capitaliste encaisse le montant de la vente du produit fini ; en unité de travail : les huit heures passées par le salarié à la production. En fait, le salarié ne reçoit que six heures travail en valeur, correspondant à ses besoins d’entretien, car si le chef d’entreprise veut réaliser un bénéfice, il faut que le nombre des heures de travail incorporées à la fabrication dépasse le nombre d’heures correspondant aux frais d’entretien de l’ouvrier.
Concluons. L’augmentation du temps de travail augmente le volume de la production et augmente aussi le nombre d’heures incorporées dans le prix de vente du produit. La seule chose qui ne suivra pas la courbe ascendante sera le nombre d’heures accordées en rémunération du travail fourni pour les besoins d’entretien, c’est-à-dire le salaire payé. On aperçoit tout de suite que cet appel à la production en régime capitaliste renfloue le capital au lieu de l’abattre.
Nous sommes devant le problème. Il y aurait ignorance absolue de ce dernier si l’on proclamait : « Consommer d’abord, produire ensuite ». car la vérité, c’est que la consommation ne peut se faire qu’en rapport direct avec la production. Pour que la production ne soit pas détournée de sa destination au profit des parasites, il faut que seule la consommation de ceux qui produisent soit assurée. Nous entendons par producteurs tous ceux qui participent à la production, à la transformation, à l’échange et à la distribution sans qu’ils en tirent eux-mêmes un profit supplémentaire. Ce résultat ne peut être obtenu que par l’exclusion de la minorité capitaliste parasitaire et non par une entente tacite avec elle. Cela implique la révolution sociale et la disparition de l’État en vue de la transformation du régime économique. Cette révolution est-elle encore dans les buts finaux des partis politiques se réclamant de la classe ouvrière ? Ou de leur grande organisation syndicale minée par le virus politique ? Qu’on nous permette d’en douter. Et peut-être comprendrons-nous les raisons pour lesquelles tous les grands rassemblements entretiennent le prolétariat de toutes les questions d’intérêt secondaire, sans aborder le problème de l’heure : révolution ou conservation sociale. Pourtant ils sont le nombre et dans l’état actuel du capitalisme ils ont des atouts incontestables entre les mains. Les expériences passées, et si habilement sabotées, auraient-elles enlevé tout dynamisme aux masses ? Les libertaires, qui ne sont pas dupes, sauront continuer le combat pour maintenir la foi révolutionnaire chez tous les exploités. Ils seront toujours à la tête des volontaires qui suivent les chemins menant à la véritable liberté.