La Presse Anarchiste

Réinventer l’Homme

Oui, il se pour­rait que tout cela dis­pa­raisse : ces mer­veilles de l’in­tel­li­gence, ces civi­li­sa­tions dont Valé­ry disait qu’elles sont péris­sables désor­mais, cette beau­té d’être de l’Homme. Oui, nous allons vivre des jours sans joie et des jours sans gran­deur ; car le monde va bien mal et nous sommes loin de la sou­riante sagesse de Mon­taigne. Cela paraît ahu­ris­sant, rend muet, si l’on y songe rêveu­se­ment. L’i­dée d’une guerre nou­velle se pro­mène à tra­vers les conti­nents. On en parle un peu par­tout. Un fata­lisme qui n’a de mor­bide que les appa­rences souffle aux hommes l’i­ner­tie et l’ac­cep­ta­tion. Le spectre qui han­tait Ham­let s’est éten­du déme­su­ré­ment et a pris un sens tout autre ; et ce quelque chose de pour­ri du royaume de Dane­mark a fran­chi depuis long­temps les fron­tières du drame sha­kes­pea­rien. Un conflit pro­chain entre les peuples appa­raît comme la consé­quence inévi­table et logique du mou­ve­ment social dans l’i­nex­tri­cable enche­vê­tre­ment des inté­rêts, des pas­sions et des ano­ma­lies de struc­ture éco­no­mique. L’i­dée imbé­cile semble vou­loir l’emporter sur l’hu­maine valeur du sen­ti­ment. Cette pre­mière moi­tié du XXe siècle n’a pas le sens de l’É­ter­nel. Ce siècle n’aime pas aimer ; et rien de grand ne se fait sans amour. Tout est là.

La mort rôde autour des gémis­se­ments de la vie. Et les voix les plus qua­li­fiées n’osent plus s’é­le­ver pour secouer avec force les consciences endor­mies et ten­ter de sau­ver les mou­rantes. La Paix ! On en a tel­le­ment par­lé ! Les sourds peuvent-ils entendre la musique ? Et puis, Jau­rès n’est plus ; un jour, il est tom­bé, fra­cas­sé, au « Crois­sant» ; car la socié­té opère la « liqui­da­tion phy­sique » des poètes et des apôtres. « On ne tue pas un homme libre ; on l’as­sas­sine », a dit Armand Robin, silen­cieux et soli­taire. La Paix ! Cela est deve­nu un mot de lit­té­ra­ture, le signe sym­bo­lique d’un idéa­lisme fra­ter­nel que l’on chante aima­ble­ment, cer­tains jours de fête, dans le cadre d’une dou­ceur de vivre, Mais les hommes se sont-ils posé la ques­tion de savoir quand ils allaient faire entrer le rêve de paix dans leur vies, pour le pré­sent et l’a­ve­nir des générations ?

L’ac­tuel pano­ra­ma des faits ne per­met pas un opti­misme de com­mande, ni même l’en­ten­de­ment confiant des faibles. L’Eu­rope et l’A­sie saignent et brûlent encore et déjà les sphères direc­trices répètent des phrases vidées de leur sub­stance et de leur pou­voir de réson­nance inté­rieure. Les peuples ne sont même plus déçus. Les évé­ne­ments les dépassent et les entraînent vers de nou­veaux crimes, sous le signe d’une concep­tion mathé­ma­tique de l’u­ni­vers et d’un ordre logique à sens unique des choses. Les cer­veaux réa­listes se sont éga­rés dans le cercle doc­tri­nal maté­ria­listes. Ils attendent l’é­clo­sion d’une socié­té refaite dans laquelle il ne sera plus jamais ques­tion de se croire en règle avec le sys­tème bureau­cra­tique cen­tral. L’an­goisse méta­phy­sique de Kaf­ka et son monde « invi­vable » méritent de pro­fondes médi­ta­tions. Et la thèse lumi­neuse du Zéro et l’In­fi­ni est un aver­tis­se­ment admi­rable sur la route de la per­di­tion de l’es­prit de sen­si­bi­li­té. « La pen­sée entre en ser­vice », a remar­qué Gide. Elle se pros­ti­tue dans ce qu’elle nomme l’ac­tion. Cha­cun se range dans le cadre codi­fié d’une doc­trine, rêvant de l’im­po­ser comme « la doc­trine ». Le social a tra­hi sa cause sacrée en se ser­vant de l’homme au lieu de le ser­vir. Des mythes de fabri­ca­tion à usage col­lec­tif dansent chez de misé­rables intel­lec­tuels de petit for­mat pri­vés de cet esprit de libre exa­men cri­tique, auquel les Fran­çais tenaient tant depuis Vol­taire. Marx pré­voyait-il un pro­lon­ge­ment de son édi­fi­ca­tion d’un monde sous forme de ritua­li­sa­tion des vies et des rap­ports dans une habile syn­thèse des reli­gions ? Dans cette inhu­maine séche­resse des rai­son­ne­ments modernes, le dieu des logi­ciens marche en aveugle et dicte un fausse phi­lo­so­phie, anti­phi­lo­so­phique, car elle est contraire à toute phi­lo­so­phie véri­table, c’est-à-dire à tout esprit de recherche par la pen­sée « pure », puis­qu’elle pré­tend s’im­po­ser par la force de sa rigueur logi­cienne et la parade de ses fausses cer­ti­tudes, que ses fidèles maté­ria­lisent en camps de concen­tra­tion, États dans l’État.

Et dans cette attente de l’ac­com­plis­se­ment des choses, les nations se laissent ber­cer, tout en pré­ten­dant l’in­verse, au rythme de la fausse paix, occu­pées qu’elles sont de s’as­su­rer un maxi­mum de richesses extraites du sol. Dans Ber­lin, deux blocs s’af­frontent et s’é­va­luent. Deux empires qui se guettent dans un immense chan­tier de démo­li­tion. Les hommes ont pris l’ha­bi­tude de s’hu­mi­lier et de res­pi­rer dans la haine et l’indifférence.

Il ne fau­drait jamais s’habituer.

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Mais voir le XXe siècle en se situant dans son cours serait une erreur. Certes, pen­dant que les hommes mul­ti­pliaient les dimen­sions acquises du savoir et célé­braient assez naï­ve­ment le culte de l’ins­ti­tu­teur — l’ins­truc­tion devait sau­ver l’hu­ma­ni­té ! — leur incons­cience emplis­sait toutes les atmo­sphères et leur hal­lu­ci­na­tion col­lec­tive empi­rait, les condui­sant vers le syn­chro­nisme d’un Plu­riel enva­his­sant ; certes, l’homme libre va beau­coup souf­frir, et sans doute va-t-il se trou­ver expo­sé régu­liè­re­ment aux salves mor­telles d’un pelo­ton d’exé­cu­tion, à l’aube d’un matin comme — et pour­tant pas comme — les autres ; certes, les sciences vont s’at­ta­quer aux soli­tudes de l’es­prit, avec tout ce que cela com­porte de pos­si­bi­li­tés apo­ca­lyp­tiques de démon­trer à l’homme, une fois pour toutes, la déri­soire fra­gi­li­té de sa mai­son en ne lais­sant à la sur­face de l’é­corce ter­restre que débris cal­ci­nés, futurs ves­tiges d’une ter­mi­tière où la machine, inven­tion de l’homme, a tué l’homme.
Élé­ments peu réjouis­sants d’une affreuse vrai­sem­blance. Et cepen­dant, il reste en l’homme des régions mys­té­rieuses et des zones encore inex­plo­rées, une sorte de flot­te­ment flou, point fou et dif­fi­cile à sai­sir, qui fait écrire à André Bre­ton : « d’où la vie et la mort, le réel et l’i­ma­gi­naire, le pas­sé et le futur, le com­mu­ni­cable et l’in­com­mu­ni­cable, le haut et le bas, cessent d’être per­çus contradictoirement. »

Je veux par­ler de cette poé­sie du grand mys­tère humain dont les lon­gueurs d’onde de l’in­tel­li­gence sen­sible sont bran­chées sur le rythme pal­pi­tant du coeur, accord musi­cal de l’âme. Est-il vrai­ment pos­sible que ce « deve­nir humain », pour lequel tant d’hommes de cou­rage et d’es­prit lut­tèrent, abou­tisse à un épa­nouis­se­ment triom­phant des lois du chiffre et fasse reve­nir l’homme à l’ar­gile par le relais de l’a­tome ? C’est en ces­sant de croire à l’im­mor­ta­li­té de la vie de l’âme que le plus grand nombre des hommes risque sa perte. Il ne faut pas que les absurdes et trop néces­saires conven­tions l’emportent sur la beau­té des émo­tions. Ce n’est pas ce siècle numé­ro­té ving­tième de l’ère chré­tienne que je hais, c’est tout sim­ple­ment ce que ceux qui le tra­versent en font. On ne vaut que par ce que l’on essaie de valoir. « Nous ne cher­chons pas les choses, mais la recherche des choses », a dit Pas­cal. Eh quoi ! Le gouffre soli­taire d’un Pas­cal et le « fris­son » sin­gu­lier d’un Bau­de­laire n’au­raient-ils pas infi­ni­ment plus de prix humain dans l’in­fi­ni et l’é­ter­nel que les pro­gres­sions sans aucun génie des faux savants et des mau­vais talents rai­son­neurs de notre époque ?

Ne plus connaître la radieuse et splen­dide intel­li­gence de l’a­mour équi­vaut à mou­rir ! Il y a dan­ger à ne plus aimer, car alors le cœur cesse de battre. Acca­pa­rés par les lois natu­relles de la vie ani­male, per­dus dans le vacarme à l’ordre désor­don­né (à l’an­ti­thèse, nous rejoi­gnons Éli­sée Reclus et sa riche idée selon laquelle l’A­nar­chie est la plus haute expres­sion de l’ordre, para­doxe qui n’en est pas un mais qui peut faire pen­ser inten­sé­ment), les hommes des socié­tés, inclus dans leurs classes res­pec­tives, se méca­nisent, se trans­forment, et, à l’in­verse de l’ar­tiste, se perdent pour ne jamais plus se retrou­ver. Ici, nous abor­dons sans le vou­loir la tra­gé­die psy­cho­lo­gique du Plu­riel et le Sin­gu­lier, vaste thème phi­lo­so­phique dont l’a­na­lyse ne tolère aucun par­tage, aucun arran­ge­ment : d’une part, une socié­té plu­ra­li­sée qui court à l’a­bîme ; d’autre part, la médi­ta­tion esthé­tique du Sin­gu­lier, qui, paci­fiste de son essence même, agit dans le non-enga­ge­ment d’une action anti­hu­ma­ni­taire. En effet, l’his­toire nous a prou­vé et nous prou­ve­ra encore, ain­si que l’a dit Robin, par ailleurs, que dès que les hommes se groupent, ils com­mettent quelque erreur, se font des idoles, sombrent dans le sec­ta­risme idéo­lo­gique, dont le bol­che­visme n’est qu’un avant-goût. Ce n’est que par le refus farouche de cette « huma­ni­té en fer blanc », ain­si que le disait un homme de lettres à son retour d’A­mé­rique, que l’i­dée de paix entre les hommes aura une chance, si minime soit-elle, d’être entendue.

Se lan­cer dans une guerre au nom de la faim, au nom de la misère, au nom d’un espace vital, au nom d’une idée, ne sau­rait être une excuse valable. On ne se fait pas écou­ter par le bruit ; et le silence serait immé­dia­te­ment plus effi­cace si le mou­ve­ment fré­né­tique de la vie moderne n’é­tait pas aus­si assourdissant.

Les guerres pro­voquent un recul consi­dé­rable de l’es­prit et du pro­grès sentimental.

Cer­tains moments du monde sont hos­tiles à la révé­la­tion spi­ri­tuelle des peuples arrié­rés ou attar­dés. Nous vivons, je crois, l’un de ces moments.

Et les der­nières années par nous subies indiquent un affai­blis­se­ment du poten­tiel de révolte et d’é­mo­ti­vi­té popu­laire, par rap­port au siècle pré­cé­dent. Zola ferait moins par­ler de lui, aujourd’­hui, et son « J’ac­cuse » n’i­rait pas aus­si loin. Un tel cli­mat résulte d’une fatigue des peuples, accen­tuée par les dif­fi­cul­tés de vie éco­no­mique et l’a­bru­tis­se­ment sys­té­ma­tique des hauts par­leurs de la poli­tique au bavar­dage chaque jour plus gros­siè­re­ment men­son­ger, et aus­si, par un cer­tain embour­geoi­se­ment des classes moyennes, balan­çant mol­le­ment entre le jeu habi­tuel des reven­di­ca­tions pro­lé­ta­riennes et la pru­dence tra­di­tion­nelle de l’é­goïsme conser­va­teur. Cela veut dire aus­si que, tout en tenant compte de l’é­vo­lu­tion pro­pre­ment sociale de l’es­pèce humaine en géné­ral, en Europe et aux États-Unis (en U.R.S.S. les aspects des choses sont autres), la misère de 1948 – 1949 est sen­si­ble­ment moins cru­ciale que celle de 1848. Mais ne rédui­sons pas le monde aux dimen­sions d’un dis­cours. De cela les. éco­no­mistes s’en chargent abondamment.

Il est assez facile de consta­ter que la marée mon­tante du com­merce bous­cule l’Art, insulte la vie et favo­rise une per­sis­tante médio­cri­té. Tout apport exté­rieur devient nul s’il n’est pas confron­té avec le regard de la vie inté­rieure. Période de tran­si­tion, mais fâcheuse car elle peut durer.

Ain­si, l’homme, pour un temps, a aban­don­né le sens de l’hu­main. Il rai­sonne et ne s’ex­prime pas. Je serais ten­té de dire qu’il a ces­sé d’Être. Pour­tant, je n’ai pas le cœur à me rendre à une aus­si facile évi­dence. Le sens his­to­rique m’empêche de pré­ci­pi­ter une aus­si nette et aus­si caté­go­rique conclu­sion. C’est pré­ci­sé­ment parce que je consi­dère auda­cieu­se­ment que le déses­poir est un grand pen­seur que je veux comp­ter sur le défi orgueilleux de la Vie et le cri de gran­deur des hommes libres. À cette heure où ma plume me fait tra­cer tant de contours gra­phiques, le soleil vient de sou­le­ver un coin d’ombre. On ne peut certes en dire autant de ce cli­mat humain uni­ver­sel dans lequel le vais­seau de l’homme moderne semble de moins en moins se sou­cier de som­brer. Et quel cal­vaire attend l’homme seul ? Mais, plus que jamais, il convient de se gran­dir par un conti­nuel dépas­se­ment. Ce siècle offre au pen­seur et au liber­taire tous les moyens de mettre à l’é­preuve son « métal », de le ris­quer, d’en faire une chose sublime. Il m’ar­rive de ne pas être très fier de l’es­pèce dont je suis issu, d’a­voir mal pour ceux qui ne sentent rien, de fré­mir d’une sourde colère à l’a­dresse du car­na­val de la socié­té… Alors, je me dis qu’une telle lai­deur doit être rache­tée par un peu de beau­té et beau­coup de sacri­fices, son­geant à cet enfant juif, d’un livre très nu et très simple, qui réha­bi­li­tait le monde et les hommes en jouant avec son vio­lon. Beau­coup d’en­fants dont les visages purs, avaient une paren­té avec Mozart sont morts parce qu’on leur avait volé leur droit de vivre. En Chine, des mil­liers se couchent à terre, puis s’é­teignent, d’u­sure, de détresse. Les années de guerre n’ont pas épar­gné les faibles. Et il y a encore des êtres qui ont faim ; des hommes dans des prisons.

Une année va finir ; elle ne nous aura rien appor­té. Puisse le char­mant Gar­ry Davis faire par­ler de lui encore plu­sieurs années, contrai­re­ment à ce que je crains. Un hiver, dont le com­men­ce­ment nous joue assez sym­pa­thi­que­ment une comé­die du prin­temps, s’é­cou­le­ra. 1949 pren­dra la suite de 1948 avec, sans doute, la même tona­li­té et le même air bou­deur ; ne nous illu­sion­nons pas trop. Mais les fleurs humaines enivre­ront à nou­veau de leur par­fum. Cette jeune fille que vous avez croi­sée tout à l’heure sème­ra encore, dès le renou­veau, des éclats de rire de dia­mant. Il y aura de la cha­leur, des lèvres brû­lantes, des joies pas­sa­gères, des éblouis­se­ments des livres neufs, des étoiles dans les coeurs et des lueurs dans les yeux. L’in­no­cence du plai­sir côtoie­ra le crime. Des filles et des gar­çons décou­vri­ront Pré­vert. Ver­laine titu­be­ra, durant sa pro­me­nade immor­telle, dans « le vieux parc soli­taire et gla­cé », près de la fon­taine des amants. La Vie repren­dra. C’est bou­le­ver­sant, la vie. Des ado­les­cents aime­ront Gide, celui qui leur dit chaque année : « Jette mon livre et sors…» La sen­sua­li­té embel­li­ra une nou­velle jeu­nesse. Des poètes feront sem­blant d’ai­mer la nature en pous­sant jus­qu’à Nogent. Georges Charles me cite­ra René Ben­ja­min et ter­mi­ne­ra, peut-être, Les Jeunes Amou­reux qui écrivent sur l’eau.

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Oui, la vie sera encore belle ; pas pour long­temps, si tout ce monde n’a pas conscience de sa joie et de sa splen­deur atmo­sphé­rique, mais elle sera, quand même… Des coups de feu s’é­chan­ge­ront, des terres trem­ble­ront, le pire, hélas ! vien­dra, si les hommes acceptent. Mais la LIBERTÉ res­te­ra, impé­ris­sable, tant que quelques Char­lot feront de la lumière avec leurs larmes, face à l’adversité.

Gide a écrit : « Savez-vous ce qui fait de la poé­sie aujourd’­hui et de la phi­lo­so­phie, sur­tout, lettres mortes ? C’est qu’elles se sont sépa­rées de la vie. La Grèce, elle, idéa­li­sait à même la vie ; de sorte que la vie de l’ar­tiste était elle-même déjà une réa­li­sa­tion poé­tique, la vie du phi­lo­sophe, une mise en action de sa phi­lo­so­phie, de sorte aus­si que, mêlés à la vie, au lieu de s’i­gno­rer, la phi­lo­so­phie ali­men­tant la poé­sie, la poé­sie expri­mant la phi­lo­so­phie, cela était d’une per­sua­sion admi­rable. Aujourd’­hui, la beau­té n’a­git plus, l’ac­tion ne s’in­quiète plus d’être belle et la sagesse opère à part. »

Voi­là exac­te­ment le divorce de la vie de l’homme moderne avec l’Art et avec la Pen­sée. Ici réside la cause la plus capi­tale de nos temps médiocres. Vous avez lu : « L’ac­tion ne s’in­quiète plus d’être belle. » O remarque d’un sage lucide et clair­voyant ! Que les hommes retrouvent la voie des très « hautes exi­gences » et de cer­taines ver­tus délais­sées, et, avec une pro­di­gieuse allure, nous assis­te­rons à l’a­vè­ne­ment de l’ère d’une Civi­li­sa­tion puri­fiée, sauvée.

« Le salut est en vous », a dit Tol­stoï. Comme cela est vrai ! Et quelle sot­tise il y a à le cher­cher tou­jours chez les autres, à l’extérieur.

Ne plus tuer ! Ne plus jamais tuer !

L’heure n’a peut-être jamais été aus­si grave depuis un siècle et demi. Levons les yeux très haut ; nous en avons besoin. Il y a extrême urgence. Il n’est pas impos­sible que les dieux nous réservent quelque sur­prise. Pour que le deve­nir humain pour­suive son mou­ve­ment per­pé­tuel, l’homme réin­ven­te­ra l’homme ou bien périra.

La grande idée consis­te­rait à inven­ter le jour où un uni­ver­sel chant d’a­mour jailli­ra, du fond du déses­poir, pour tous les hommes épris de liber­té et pour que les enfants ne soient plus jamais des cadavres muti­lés ou des monstres, mais les reflets du génie Mozart.

« Conti­nuons notre route par delà les Tom­beaux », a dit Gœthe.

Roger Tous­se­not

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