La Presse Anarchiste

Dans notre courrier

Nous rece­vons d’un mili­tant ouvrier du Nord, une lettre dont nous extra­yons ce qui suit :

«(…) Ce qui compte dans une revue, ce n’est pas la pré­sen­ta­tion, qui n’est qu’un trompe l’œil, un plai­sir des yeux ― et c’est le sérieux atout dont dis­pose la presse bour­geoise ― mais le conte­nu. (…) Pour nous, pro­vin­ciaux qui refu­sons de mar­cher au pas, ces ren­contres [[Avec des cama­rades des G.A.A.R.]] revêtent une très grande impor­tance, du fait de notre iso­le­ment, sur­tout dans ces cités minières jalon­nées d’é­cri­teaux : « Che­min pri­vé, pro­prié­té par­ti­cu­lière » où les corons sont autant de casernes avec l’ad­ju­pette en serge bleue au sigle des houillères. À de raris­simes excep­tions près, les mineurs sont encore à bêler der­rière leurs idoles, et il ne leur faut pas grand chose, dans ce domaine. Leur culte est facile. Le virus de la bour­geoi­sie les ronge. Ils n’as­pirent qu’à la bagnole, la télé, à gagner du fric en enfon­çant au besoin le copain, à essayer d’en sor­tir, et s’ils y par­viennent, ils sont les plus com­plets des par­ve­nus en même temps que les pires salauds. Je me demande même par­fois, s’il est vrai­ment pos­sible de tirer quelque chose de bon de cette monde de satis­faits en puis­sance. Et cette rési­gna­tion ! On leur deman­de­rait de se cou­per les C… pour plaire à leur Cha­charles qu’ils le feraient ! De la gueule, quand il n’y a pas. de dan­ger à par­ler, mais du silence, de la bas­sesse devant le moindre des gra­dés… Je ne sau­rais sou­hai­ter à per­sonne, pas même à mon plus grand enne­mi de devoir des­cendre dans ce sale trou… (…)

Cor­dia­le­ment à tous, et bon cou­rage, car il vous en faut ― et votre action prouve que vous n’en man­quez pas.

N.D.L.R. ― Les réflexions « amères » de ce cama­rade ne l’empê chent d’ailleurs pas de mili­ter très acti­ve­ment dans son sec­teur par­ti­cu­lier. Cela, nous le savons et tenons à le signaler.

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Voi­ci quelques pas­sages d’une longue lettre de R.F., mili­tant de la Fédé­ra­tion Anar­chiste française :

«(…) Un peu déçu par les posi­tions phi­lo­so­phiques du n°12, telles qu’elles appa­raissent dans le papier de Guy. On ne jongle pas aus­si aisé­ment avec des concep­tions comme : méta­phy­sique, abso­lu, idéa­lisme, etc…, ou elles finissent par ne plus rien dire du tout. Pour le maté­ria­lisme, il y a une faille dans vos concep­tions ; ou vous êtes pour la « révo­lu­tion sur tous les plans » et la « soli­da­ri­té des sec­teurs », ou vous êtes pour le maté­ria­lisme qui implique que le fac­teur moteur et déter­mi­nant est de l’ordre des infra-struc­tures, et alors la révo­lu­tion « spi­ri­tuelle » est un phé­no­mène second, et ça ne signi­fie plus rien de vou­loir en finir avec l’an­cien « régime de l’es­prit » autre­ment que par une lutte pure­ment éco­no­mique. Dès qu’on se pro­pose de chan­ger la vie, en même temps que de trans­for­mer le monde, le maté­ria­lisme n’a plus rien à voir là-dedans, même s’il est « dia­lec­tique ». L’i­déa­lisme et le spi­ri­tua­lise non plus. Dès qu’on recon­naît un rôle moteur et créa­teur à la liber­té, dans une situa­tion his­to­rique et maté­rielle don­née, à l’in­té­rieur d’un réseau de déter­mi­nismes qui jus­te­ment offrent une prise à l’ac­tion libre, il n’y a plus de maté­ria­lisme. Vous êtes, je crois, obsé­dés par une éti­quette que vous ne vou­lez lâcher à aucun prix, et qui ne peut que rendre votre pen­sée confuse.

Par ailleurs, dans une réflexion sur la condi­tion humaine, la science n’est nul­le­ment le cri­tère der­nier. Le rôle de la phi­lo­so­phie est de situer l’homme dans le monde, et donc aus­si dans la connais­sance que nous avons du monde. Elle doit tenir compte de l’ap­port de toute science à la connais­sance de l’homme, mais aucune science ne peut épui­ser cette connais­sance. En par­ti­cu­lier par ses méthodes mêmes, la science ne connaît que des déter­mi­nismes, et elle ne peut jamais rendre compte de la liber­té de l’homme.

Sur le plan tac­tique, notre diver­gence pro­fonde s’é­clair­cit (…). Je crois de plus en plus que vous reve­nez au « vase clos », que vous allez vous cou­per de la vie et res­ter une nou­velle fois en marge. Vous refu­sez le syn­di­ca­lisme, vous refu­sez l’ac­tion avec des grou­pe­ments de gauche, vous refu­sez toute action ten­dant à pro­mou­voir des réformes. Que vous res­te­ra-t-il ? Sur­tout si sur le plan théo­rique déjà vous n’ar­ri­vez pas à vous déga­ger du XIXe siècle. Je ne suis pas du tout pour l’ef­fi­ca­ci­té à tout prix, pour l’op­por­tu­nisme, mais je crois qu’un groupe ne peut vivre que par un double mou­ve­ment, tou­jours com­plé­men­taire, retraite et sor­tie de soi. D’un coté, une forte intran­si­geance théo­rique, une doc­trine claire et pré­cise qui est le fon­de­ment du groupe (cette doc­trine elle-même ne peut vivre que par la confron­ta­tion constante avec la pen­sée « exté­rieure »). Puis, à coté de ce « groupe spé­ci­fique », la pré­sence des mili­tants dans des grou­pe­ments plus larges, des actions col­lec­tives, sur des objec­tifs limi­tés. Ain­si seule­ment on peut évi­ter le des­sè­che­ment, le res­sas­se­ment, la révo­lu­tion en chambre, les plans de cham­bar­de­ments dans l’abs­trait, l’es­prit de cha­pelle et l’in­to­lé­rance. Vic­tor Serge a bien connu et ana­ly­sé ce phé­no­mène (Car­nets, p.135 – 139, 145 – 146 …). D’ac­cord avec vous, il ne peut être ques­tion d’adhé­rer à un par­ti mais on peut agir avec des par­tis de gauche, col­la­bo­rer à des revues de gauche, faire connaître par là l’a­nar­chisme dans ces milieux, et par là-même influen­cer leurs actions.

(…) Com­pre­nez moi bien, je ne vous reproche pas de vous reti­rer de la cir­cu­la­tion pour mettre vos idées et votre tac­tique au point, c’est indis­pen­sable ; mais je com­mence à craindre que vous ne fas­siez un prin­cipe de cet iso­le­ment, comme le der­nier numé­ro le confirme nettement (…)».

COMMENTAIRE DE LA RÉDACTION ― Remer­cions tout d’a­bord ce cama­rade de la F.A. de sa très inté­res­sante lettre qui témoigne ― s’il en est besoin ― de la col­la­bo­ra­tion fra­ter­nelle qui existe entre de nom­breux mili­tants de la Fédé­ra­tion Anar­chiste et des G.A.A.R.

Les pro­blèmes qu’il sou­lève dans la pre­mière par­tie de sa lettre méri­te­raient à eux seuls de longs déve­lop­pe­ments qui ne peuvent trou­ver place dans cette courte rubrique.

La seconde par­tie de cette lettre nous donne l’oc­ca­sion d’ap­por­ter quelques pré­ci­sions sur ce que sont les G.A.A.R.

De nom­breux lec­teurs qui n’ont pas le contact direct avec les mili­tants pensent que Noir & Rouge consti­tue le seul tra­vail des G.A.A.R. ― Et on nous appelle par­fois « les cama­rades de Noir & Rouge — En véri­té, ces Cahiers ne sont qu’une des tâches de l’or­ga­ni­sa­tion, assu­mée par un seul des groupes GAAR, res­pon­sable devant le congrès. C’est volon­tai­re­ment que nous n’en­com­brons pas les pages de N. & R. de décla­ra­tions solen­nelles, de com­mu­ni­qués ron­flants ten­dant à faire sup­po­ser une vaste orga­ni­sa­tion… Nous ne jouons pas à l’«Organisation de masse », ayant encore le sens du ridi­cule. De même nous sommes vio­lem­ment oppo­sés aux mani­fes­ta­tions spec­ta­cu­laires, « quarante-huitardes»…

Par contre, les mili­tants des G.A.A.R., selon le tem­pé­ra­ment, les capa­ci­tés de cha­cun, sont pré­sents autant que leur nombre le leur per­met par­tout où ils peuvent trou­ver des gens récep­tifs aux idées révo­lu­tion­naires. Que ce soit dans les milieux « ouvriers », « syn­di­caux », « jeunes », « laïques », « anti­co­lo­nia­liste », etc. Notre pré­sence mili­tante n’est alors aucu­ne­ment en contra­dic­tion avec notre condam­na­tion du réfor­misme puis­qu’elle ne vise qu’à gagner cer­tains réfor­mistes aux idées révo­lu­tion­naires et non à les épau­ler dans leur quête de réformes.

Ain­si si nous refu­sons « toute action ten­dant à pro­mou­voir des réformes » comme dit notre cama­rade R.F., que nous reste-t-il ? Mais TOUT, nom de dieu !

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