Il y a en France, une école « neutre » à la charge de l’État et une école religieuse à la charge de l’Église.
Celle qui est à la charge de l’État manque de crédits et de maîtres. Elle doit faire face aux problèmes considérables posés par l’accroissement démographique. L’École religieuse, quant à elle éprouve aussi des difficultés et sollicite des subsides de l’État. La loi Barangé donne des crédits aux unes et aux autres sur le plan de l’enseignement primaire. L’argument favori des partisans de l’enseignement religieux est qu’une subvention de l’État coûte encore moins chère que la suppression de l’école « libre » qui poserait des problèmes considérables ; car, si on ne peut déjà loger et enseigner les enfants de l’école publique, que serait-ce s’il fallait encore reclasser les deux millions d’enfants de l’enseignement libre. Mais cet argument n’est vrai qu’en apparence et aux yeux de ceux qui ne possèdent pas les données du problème. Il n’y a pas de crédits pour l’École, parce que la France mène une politique de guerre et de régression sociale depuis des décades et les cléricaux sont les auteurs de cette politique en grande partie. L’accroissement démographique de la France pose des problèmes parce que la forte natalité a été encouragée par les mêmes cléricaux depuis la « libération ». Ils sont en quelque sorte les pompiers qui proposent de venir éteindre l’incendie qu’ils ont allumé eux-mêmes. Et ces pompiers ne manquent pas de zèle. Jugez plutôt :
Le programme de revendications de l’Association des Parents d’Élèves de l’Enseignement Libre (A.P.E.L.) prévoit :
- Une aide financière pour le paiement des maîtres laïcs et religieux selon un barème qui se rapprocherait du barème officiel à équivalence de titre et d’ancienneté. Cette aide devrait être calculée selon la « proportionnelle scolaire » c’est-à-dire qu’on devrait évaluer ce que coûte sur le plan de l’enseignement chaque élève des écoles publiques et procéder à une péréquation selon le nombre d’élèves de l’enseignement privé. Les sommes devraient être versées à des organismes nationaux et régionaux qui en assureraient la répartition aux ayant-droit. L’État pourra exiger, en contre-partie des garanties de contrôle « à condition que cela ne touche pas la liberté de l’enseignement ».
- Les frais d’entretien : Dans l’enseignement primaire, ils pourront être trouvés par les fonds de la Loi Barangé. Pour le secondaire, une formule reste à trouver. Les A.P.E.L. demandent le maintien des bourses ainsi que le maintien et l’extension de la taxe d’apprentissage.
- Amélioration et extension des bâtiments : « Pas de subvention, mais possibilités d’emprunts à long terme et à bas intérêts et création de sociétés d’économie mixte ».
La Ligue de l’Enseignement et les Comités Départementaux d’Action Laïque ont fait justement remarquer « le caractère insensé de telles propositions que VICHY même, n’avait pas osé envisager…»
Malgré les sourires de nos « socialistes », les « mains tendues » de nos « communistes », les gouvernements de « gauche » constitués en compagnie du M.R.P., la querelle scolaire reprend. Mais alors que la « droite » est restée ferme sur ses positions, la « gauche » ne possède aucune structure capable de résister. Nous avons suffisamment « radiographié » la « gauche » pour qu’il ne soit pas de notre propos d’y revenir ici. Il nous faut pourtant dire ce qui est en jeu dans cette bataille scolaire et dans quelle optique les anarchistes-communistes y sont entrés.
Il est assez courant dans les milieux M.R.P. d’entendre dire : « La liberté de l’enseignement doit être défendue, car lorsqu’on touche à UNE liberté, c’est toutes les autres qui sont menacées ». On verse alors dans les arguments « démocratiques ». On dit par exemple que le système actuel est injuste parce que, seuls, les parents fortunés peuvent choisir leur école, tandis que les parents pauvres (si j’ose dire) sont réduits à fréquenter la « communale » même s’ils sont chrétiens…
Il n’y a évidemment pas d’école bouddhiste en France, ni d’école brahmaniste, et si j’avais l’idée d’éduquer mes enfants selon les principes en question je serais en droit, d’après cette belle théorie, de revendiquer de l’argent de la Communauté. Vous m’objecterez que je ne suis pas bouddhiste et que la question ne se pose pas. Combien d’ouvriers ne sont pas chrétiens et confient pourtant leurs enfants à l’Église !
Mais la vérité est beaucoup plus simple : il existe en France une organisation politico-religieuse qui s’appelle l’Église catholique. Cette société considère qu’elle ne peut garder son emprise sur les masses qu’en prenant les hommes dès leur première enfance. Pour ce faire, elle a créé des écoles et elle demande à l’État (c’est-à-dire à tous les contribuables) de payer sa propre propagande. Elle y parvient assez bien grâce à l’électoralisme outrancier de nos politiciens et aux manœuvres auxquelles elle se livre au sein des assemblées de la démocratie bourgeoise (Groupe parlementaire de l’enseignement libre, Conseils d’administration des caisses d’allocations familiales, etc.)
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L’alibi moral de l’Église et des défenseurs de l’ordre en général pour soutenir un enseignement « libre » est le droit des parents. La société est organisée en « familles » considérées par les théoriciens métaphysiciens comme la première « cellule ». Dans cette cellule règne l’autorité du père de famille qui habitue l’enfant à l’autorité qu’il rencontrera un jour dans la vie et qui fera de lui un honnête citoyen, zélé à obéir aux lois et à accepter l’ordre des choses. Je ne désire pas encore faire allusion à la Révolte que l’on veut étouffer. Je me borne à constater que, même du simple point de vue démocratique, l’ordre des choses accepté conduit l’homme à refuser tout esprit créateur et toute évolution. Nous sommes dans un monde où l’on ne parle que de liberté et dès l’enfance on cherche à ce que l’enfant soit contraint. C’est ainsi qu’ensuite, on lui parlera, à l’âge adulte, comme s’il était libre. Il est dans la mentalité de la majorité des individus ― même athées ― de considérer que leurs enfants sont leur propriété. Dans l’Antiquité on estimait que le Pater-familias avait le droit de vie et de mort sur sa progéniture. Nous n’en sommes plus là, mais le père a encore le droit de vie et de mort sur l’esprit de son enfant. Ce qui part exactement du même principe qui est simplement transposé du domaine physique au domaine moral. Notre première opposition à ce que l’on appelle à tort la liberté de l’enseignement se place à ce stade. Mais citons Sébastien Faure qui écrivait dans « Propos d’un éducateur » :
« Nous adressons aux éducateurs et aux parents le reproche de vouloir imposer à leurs enfants les sentiments et les convictions qui les animent. Nous disons que cette pression abusive du maître sur l’élève, du père sur l’enfant constitue un acte de violence condamnable. Nous affirmons que l’instituteur n’a pas le droit de mettre à profit l’ignorance de l’écolier, sa débilité intellectuelle, sa faiblesse physique, l’état de sujétion dans lequel il se trouve par rapport au maître, pour faire pénétrer dans son cœur et dans son esprit sa manière de voir et de sentir. Nous dénions au père le droit d’abuser de la tendresse et de la confiance que lui voue son enfant pour glisser en lui ses croyances et ses convictions. »
Telle est, résumée, la première option laïque des anarchistes. Et c’est à nous de faire que, dès l’enfance, disparaisse dans le mécanisme de la pensée de l’individu, le principe de l’Autorité. Tous ceux de nos camarades qui ont écrit dans le passé des thèses d’éducation libertaire ont insisté sur la nécessité de faire que l’enfant soit lui même. Domela Nieuwenhuis écrivait :
« L’autorité des parents ne repose sur rien. Les enfants ne nous ont pas demandé de naître, et nous nous arrogeons, par le fait de leur naissance, le droit d’être leurs maîtres. Remarque bien curieuse : dans les dix commandements de Moise on dit bien : Enfant, honore tes parents, mais non : Parents, honorez vos enfants ». (l’Éducation libertaire)
Pour les croyants et les métaphysiciens la liberté consiste à choisi. entre ce qu’il est convenu d’appeler le bien et le mal. Qui définit ces deux pôles d’attraction ? La morale et évidemment 1a religion. Ainsi, logiquement, l’éducation des enfants doit enseigner la morale et la religion afin que ce choix puisse se faire ― prétend-t-on ― à tous les stades de la vie. Ce que les tenants de l’École « libre » appellent « liberté de l’enseignement » consiste donc à avoir le droit d’enseigner à l’enfant telle ou telle morale jugée bonne. Il est courant d’entendre les cléricaux nous dire qu’ils ne verraient pas d’inconvénient à ce qu’il existe des écoles anarchistes, des écoles socialistes, communistes, etc. Les parents qui seraient adeptes de l’une ou l’autre de ces écoles « socialistes » enverraient leurs enfants où bon leur semblerait. Les croyants honnêtes qui admettent que la foi est bien le fameux « saut dans l’absurde » dont parlait Pascal, veulent bien convenir que leur religion n’a que la valeur d’une hypothèse aux yeux d’un incroyant ou d’un matérialiste. Mais, déformés par leur propre pensée dont ils ne peuvent sortir, ils jugent les autres d’après eux-mêmes et considèrent que les matérialistes prétendent eux aussi se contenter d’hypothèses. Si cela était, nous n’enseignerions aux enfants que des choses objectivement supposées et dépendant seulement de nos tendances sentimentales. C’est bien là où l’on veut nous conduire. Récemment, un membre éminent des A.P.E.L. ne parlait-il pas des mathématiques chrétiennes ? Dans leur délire, les cléricaux essaient maintenant de définir une véritable laïcité à partir de telles constatations. Ainsi le journa1 catholique de la Drôme « Peuple Libre » écrivait le 15 novembre 1958 :
« Si je suis musulman, juif, chrétien je dois laisser mes convictions à la porte de l’école : au porte-manteau ou au garage. Je ne dois pas vivre selon mes convictions pendant la classe. Je ne peux pas réciter une prière si je le désire. Je ne pourrai pas, dans un internat de cours complémentaire ou de collège, aller à la messe le matin en semaine ou me confesser dans la journée, si je le veux. Je ne pourrai pas accomplir un acte religieux visible pendant la classe, etc. L’École est neutre dit-on!… Si dans la ville ou le département des hommes, des enfants veulent rester neutres : l’École est vraiment faite pour eux. Ils trouvent l’école qu’ils souhaitent,qu’ils désirent. Mais ils forment une classe de privilégiés dans la nation ; seuls, ils ont, ils trouvent l’école qui leur convient. Tous les autres qui, quelle que soit leur religion, voudraient une école où ils puissent ― comme les neutres ― se sentir à l’aise ne l’ont pas : ils sont brimés. Ils doivent eux aussi devenir neutres, se soumettre aux neutres. Où est dès lors le respect de la vraie liberté religieuse ? »
Nous pourrions faire beaucoup de remarques au sujet de ce texte effarant et constater que ces gens-là s’estiment brimés seulement quand ils n’ont pas la possibilité d’imposer aux autres leur manière de voir : nous y reviendrons. Il fallait donner aux lecteurs un exemple concret du mécanisme de pensée de ces prétendus « éducateurs ».
Mais pour nous, ce n’est pas si simple. Il n’y a pas ― à notre sens ― d’enfants juifs ou chrétiens vraiment libres. La religion, comme la philosophie sont du ressort d’options et de sentiments qu’il est impossible d’éprouver avant une certaine maturité. Un gosse de dix ans qui se sent brimé en classe parce qu’il ne peut pas prier son Dieu devant les autres a déjà été brimé auparavant par ceux qui lui ont inculqué une religion à un âge où il n’était pas à même de comprendre. L’expérience démontre d’ailleurs qu’un enfant à qui on ne parle jamais de religion ne pose jamais une seule question à ce sujet. Sébastien Faure disait :
« Nous considérons qu’il est de notre devoir de ne pas éveiller en lui une curiosité qu’il n’est pas encore à même de satisfaire rationnellement ».
Qu’entendons-nous donc par « éducation dans la liberté de l’enfant » ?
Disons tout de suite qu’après Bakounine et tous les matérialistes, nous nions absolument le « libre arbitre » tel que l’entend la religion et la métaphysique. Tout individu n’est que le produit d’un ensemble de causalités. Selon le même Bakounine :
« Le corps de l’individu, avec toutes ses facultés et prédispositions, n’est rien que la résultante de toutes les causes générales et particulières qui ont déterminé son organisation individuelle ».
Dès lors, nous savons qu’il n’est rien d’arbitraire dans la nature. Aux métaphysiciens qui veulent nous mettre en contradiction avec nous-mêmes quand nous parlons de la « liberté », nous disons que nous nous opposons à toute pression arbitraire, extérieure à l’individu et à ses propres lois. Aussi, nous ne concevons l’éducation de l’enfant que dans le but de le révéler à lui-même et à sa propre nature. Pour nous, l’homme, l’enfant n’est libre que lorsqu’il est entièrement lui-même. Lorsqu’il peut « développer toutes ses facultés, réaliser toutes ses aptitudes, non seulement pour soi mais aussi pour les autres ». (Nieuwenhuis).
Dès lors, il n’y a qu’une solution d’éducation possible : c’est de présenter à l’enfant les faits OBJECTIFS et lui apprendre à passer tout ce qu’on lui présente au crible de son propre raisonnement, de son « libre examen ». C’est ici qu’il n’y a pas de « liberté d’enseignement » au sens où l’entendent les A.P.E.L. dont nous avons cite la déclaration.
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Puisque nous nous heurtons présentement aux prétentions de l’Église en matière d’enseignement, il nous faut bien savoir si elle est capable d’enseigner.
Feu Pie XII déclarait aux jésuites réunis en Congrès à Rome le 10 septembre 1958 :
« Que parmi vous n’ait pas place l’orgueil du libre examen qui relève de la mentalité hétérodoxe plus que de l’esprit catholique et selon lequel les individus n’hésitent pas à peser au poids de leur jugement propre même ce qui vient du Siège apostolique. Ne tolérez pas de connivence avec ceux qui prétendent que la norme de l’action et de la poursuite du salut c’est ce qui se fait plutôt que ce qui doit se faire ; qu’on ne laisse pas agir et penser à leur gré ceux qui considèrent la discipline ecclésiastique comme quelque chose d’archaïque, un vain formalisme ― comme ils disent ― dont il faut se libérer facilement pour servir la vérité…»
Il faut noter que les jésuites sont des « enseignants » et qu’ils possèdent de nombreux collèges en France et à l’étranger ! L’enfant qui sera entre leurs mains et éduqué selon ces magnifiques principes n’aura aucune possibilité de jugement « libre ». On ne lui présentera que des « vérités » toutes faites. Il n’est point besoin d’insister pour conclure que le principe même sur lequel l’Église base son enseignement est dénué de tout esprit scientifique.
Si l’esprit laïque est basé sur la recherche de la Vérité, l’Église au contraire a toujours prétendu posséder cette Vérité pleine et entière par delà les pays et les époques. Jésus a dit : « Je suis la Vérité ». Dès lors, il est impossible de cultiver chez l’enfant cette recherche nécessaire au progrès de l’Humanité : ce qui est contraire à toutes les lois de l’évolution. Dès lors l’enseignement découle de cette Vérité unique révélée par Dieu lui-même.
« C’est une erreur (proclame le Syllabus) [[Recueil promulgué par le pape Pie IX en 1864, renfermant les principales « erreurs » philosophiques, politiques, morales, doctrinales condamnées par l’Église.]] de dire que les catholiques pensent approuver un système d’éducation en dehors de la foi catholique et de l’Autorité de l’Église, et qui n’ait pour but, ou du moins pour but principal, que la connaissance des choses purement naturelles et la vie sociale sur terre ».
Mais il y eut un temps où l’Église prétendait bien apporter aussi la connaissance « des choses de la terre ». Elle était la seule à enseigner tout au long du Moyen Age et il faut savoir qu’il n’y avait à cette époque aucune différence entre la Science et la Religion. Il en était ainsi dans les religions primitives qui prétendaient enseigner à l’homme tout ce qui lui était nécessaire pour vivre. La Loi de Moïse, tout comme le Coran, par exemple, abordent tous les problèmes : depuis les recettes de cuisine jusqu’à la manière de « faire l’amour ». Bien que cela paraisse un peu anachronique aux hommes de notre époque, tout est religieux pour l’homme croyant actuel, et chacun des actes de nos militants chrétiens d’aujourd’hui sont ― à leur sens ― des « actes religieux ». Dès lors, la vieille idée de nos laïques selon laquelle la croyance est affaire « privée » ne tient pas, car si tout est religion, cela veut dire que l’Église a le droit de prendre position sur tous les problèmes. Elle seule prétend posséder le droit d’enseigner. Elle se nomme, elle-même : « L’Église enseignante ». Le Syllabus proclame encore à son article II :
« L’Église ne peut en aucun cas tolérer les erreurs de la philosophie et se doit de sévir contre elles ».
Les découvertes scientifiques cantonnent de plus en plus la religion dans le domaine spirituel et les enseignants catholiques doivent souvent être gênés dans leurs réfutations de ce qu’ils appellent l’erreur.
Nous croyons ne pas devoir insister et nous pensons que ces quelques citations prouvent amplement que l’Église est incapable de respecter la liberté de l’enfant et de lui apporter un enseignement scientifique. Car enfin, qu’est-ce qu’enseigner ?
C’est rendre accessible à l’enfant les acquisitions faites par les sciences. C’est lui donner la possibilité d’observer, d’analyser, de contrôler, de chercher par lui-même. C’est lui apprendre à rechercher la vérité par l’analyse objective des faits. C’est le faire partir du doute pour arriver à l’affirmation. C’est le faire remonter du connu à l’inconnu. Toutes choses impossibles à réaliser par l’Église !
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Si l’Église revendique la liberté d’enseigner quand elle vit dans un régime de démocratie bourgeoise, il n’en va pas de même quand elle s’est emparée des rouages de l’État. C’en est alors fini des « grands principes » et des prétentions à l’idéal laïque. Dans cet ordre d’idée, la lecture des statuts de l’Université Espagnole est significative :
« Article 3 : L’Université s’inspirant du sens catholique CONSUBSTENTIEL à la tradition universitaire espagnole accomodera ses enseignements à ceux du dogme et de la morale catholiques et aux normes du Droit canonique en vigueur.
Article 9 : L’État espagnol reconnaît à l’Église catholique, apostolique et romaine en matière universitaire ses droits à l’enseignement conforme aux sacrés canons. Aussi, il est créé une « Direction de Formation religieuse et universitaire » qui est l’organe qui reçoit en charge :
a) La direction de tous les cours de culture supérieure religieuse, lesquels seront obligatoires et dont les épreuves devront être passées favorablement.
b) L’Assessorat religieux du syndicat espagnol universitaire. Etc., etc. »
Que se passe-t-il en France et dans les pays de démocratie bourgeoise ?
Le pape Léon XIII est censé avoir déclaré : « Commencez par vous emparer de la République ; lorsque vous en serez maîtres vous ferez la monarchie ». Les événements politiques français depuis le 13 mai pourraient donner un certain caractère prophétique à cette phrase. Il faut savoir qu’un mouvement catholique de type fasciste groupé autour de la revue « L’Homme Nouveau » a joué un rôle prépondérant dans les fameux 13 complots. Nous savons que le « Mouvement Populaire du 13 Mai » arbore en Algérie, l’insigne du « Cœur de Jésus » surmonté d’une croix qui était le signe de ralliement des Chouans… et du Klu-Klux-Klan !
Mais l’Église n’est pas assez naïve pour se solidariser d’une manière totale avec le mouvement fasciste. Des chrétiens de « gauche » groupés dans le Mouvement de Libération du Peuple il y a quelques années et maintenant dans l’Union de la Gauche Socialiste, se déclarent contre l’École confessionnelle et déclarent qu’il est conforme à la laïcité que l’Église garde son « droit à l’apostolat » (Thèses du M.L.P.). Ce qui signifie en clair, que la solution au problème de l’École résiderait dans la suppression de l’École « libre » et dans la présence d’aumoniers dans les écoles laïques. La thèse est-elle autant en contradiction avec celle des défenseurs de l’école confessionnelle qu’elle le paraît ?
Nous avons vu que le programme de revendications des A.P.E.L. préconise une assimilation du personnel et des locaux des établissements d’enseignement catholiques par l’État. Nous savons que DE GAULLE veut signer un Concordat avec le Vatican.
On observe sur le plan économique une intervention de l’État de plus en plus marquée, à tel point que celui-ci ne joue plus, comme dans le capitalisme du XIXe siècle, un rôle de simple médiateur, mais devient monopole capitaliste souvent lui-même. Aux États-Unis, c’est le règne des monopoles, en U.R.S.S., le monopole d’État a été réalisé de la manière que l’on sait. L’Église n’est pas sans ignorer ces faits. Aussi, elle pense que le meilleur moyen de subsister est de s’emparer de l’État. C’est d’ailleurs conforme à sa politique de tous les temps. Ainsi, les catholiques de droite travaillent à la conquête de l’État présent et ceux de gauche à la conquête d’un éventuel « État socialiste » (M.L.P. ― U.G.S.). Il faut ajouter qu’un régime étatiste qui laisserait à l’Église une grande liberté de manœuvre, voire un monopole, est au fond le régime le mieux adapté à ses principes, beaucoup mieux que celui de la démocratie bourgeoise. Les deux tendances des militants catholiques se complètent donc harmonieusement et il n’y a pas autant d’antagonisme qu’il paraît entre ceux qui combattent la « laïcité » et ceux qui la considèrent comme une condition « de l’apostolat moderne » (tendance de l’Action Catholique Ouvrière).
Aujourd’hui, comme hier, apparaît donc en face des militants laïques le vieux couple Église-État…
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Mais la lutte des laïques pour défendre l’École contre les prétentions de l’Église a toujours été ― historiquement ― basée sur la défense de l’État. Depuis la fameuse loi de séparation de l’Église et de l’État, on défend communément dans les milieux de « gauche » la « Laïcité de l’École et de l’État ». C’est un fait que l’École publique se trouve entre les mains des gouvernants quels qu’ils soient. Il suffit alors que l’État tombe entre les mains des dogmatiques et toute la base d’une certaine interprétation de la laïcité s’effondre. C’est ce qui se passait sous le régime nazi : Schemm, l’un des auxiliaires de Hitler définissait ainsi le rôle de l’instituteur :
« Il doit demeurer le chef de section d’assaut de la jeunesse en tant que serviteur de la Nation. Il mettra au centre de son enseignement : la race, la défense du pays, le principe du chef…»
Dans tout régime de classes, l’État prétend concilier les intérêts divergents. Au sens démocratique, tel que le définissait Rousseau, il prétend même être « la somme des intérêts communs ». Or, tant que règne l’exploitation, il est impossible que l’État soit indépendant de la classe dominante. Nous avons vu qu’il tend lui-même à la puissance économique et qu’il devient ainsi classe exploitante. Il est hors de doute que l’enseignement qu’il donnera tendra (du moins dans la lettre des instructions ministérielles) à dispenser à l’enfant une certaine idéologie bourgeoise. Ce fait n’échappait pas aux anarchistes du début du siècle.
Ainsi Jean Grave écrivait-il dans « Enseignement bourgeois et Enseignement libertaire » :
« L’éducation, accaparée par l’État, ne pouvant se donner que sous son contrôle, ayant créé une caste à part, de ceux qui sont chargés de l’enseignement, part de cette vérité originelle que l’homme est un être paresseux qui ne pense et n’agit que sous la pression du besoin, mais qu’ils ont trouvé le moyen de changer en erreur, en mettant des entraves à la satisfaction des besoins, et en venant substituer leurs volontés et leurs méthodes à celles du besoin même. (…) Ce système avait pour résultat de façonner les cerveaux à la guise des éducateurs, de tuer l’initiative de l’élève en le bourrant d’idées toutes faites, ne lui demandant que de la mémoire et non de l’esprit critique. »
Mais il nous faut voir si l’essence même de l’État lui permet d’enseigner d’une manière plus légitime que l’Église. Selon les régimes, l’État prétend tenir son pouvoir soit d’une puissance spirituelle, soit de la représentation populaire. De toute manière son existence est basée sur un mythe. Il demande qu’on se soumette à lui au nom de ce qu’il représente. Il prêche une religion — le patriotisme. Il demande qu’on meurt pour lui. « N’est-ce pas une chose remarquable que cette similitude entre la théologie ― cette science de l’Église ― et la politique ― cette théorie de l’État ; que cette rencontre de deux ordres de pensée et de faits en apparence si contraires, dans une même conviction : celle de la nécessité de l’immolation de l’humaine liberté pour moraliser les hommes et pour les transformer, selon l’une en des saints, selon l’autre en de vertueux citoyens » dit Bakounine (Fédéralisme, Socialisme et Antithéologisme).
Il est de fait qu’une certaine instruction Civique, qu’une certaine Histoire de France et qu’une certaine géographietendent à faire des enfants de l’École Primaire de bons petits français chauvins. Il ne nous sied pas plus de voir des enfants de huit ans chanter de leur voix angélique : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! » que de les voir psalmodier les phrases du Catéchisme. L’enseignement étatique n’a donc rien à voir non plus avec une véritable laïcité.
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Un certain nombre d’anarchistes partent de ces constatations pour déclarer que l’École Publique est indéfendable parce qu’elle est l’école de l’État. D’un point de vue purement idéologique on peut estimer que leur conception est parfaitement conforme à l’idéal anarchiste. Nous pensons et n’hésiterons pas à affirmer ici que cela n’est qu’apparence et nous nous en expliquerons plus loin.
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Un partisan convaincu du Pouvoir d’État ― en l’occurrence le Parti Communiste ― a pris, lui aussi, à certaines époques des positions puristes en face de l’école laïque. C’est Thorez qui déclarait au Congrès de Gennevilliers en avril 1950 :
« Nous avons l’opinion que l’enseignement officiel AUSSI BIEN QUE l’enseignement dit libre est un enseignement de classe ; car les idées dominantes d’une époque sont les idées de la classe dominante. »
Mais dans un pays où le Parti communiste est au pouvoir, la République démocratique allemande, l’enseignement est entièrement dirigé IDÉOLOGIQUEMENT par l’appareil d’État, c’est-à-dire aussi par la classe dominante. Voici un extrait du journal « Die Neue Schule » du 15 février 1951 :
« ORDONNANCE RELATIVE À L’EXAMEN DU BREVET D’ENSEIGNEMENT DU PREMIER DEGÉ.
L’examen doit mettre on évidence :
- que le candidat aux fonctions d’enseignant soutient EN CLASSE et en dehors du l’école, la lutte du Front National de l’Allemagne, pour la Paix et l’Amitié de toutes les forces pacifiques du monde SOUS LA DIRECTION DE L’UNION SOVIETIQUE.
- que le candidat aux fonctions d’enseignant EST UN AMI CONVAINCU DE L’UNION SOVIETIQUE. Il doit donner des preuves de ses efforts auprès des élèves, des parents d’élèves et l’opinion publique démocratique et les démocraties populaires en reconnaissant la ligne Oder-Neisse comme frontière de paix ;
- que le candidat aux fonctions d’enseignant POSSÈDE DE SOLIDES CONNAISSANCES DES PRINCIPES DU MARXISME-LENINISME, INDISPENSABLE À LA COMPRÉHENSION DE LA PÉDAGOGIE SOVIÉTIQUE, en tant que pédagogie la plus progressiste du monde (…).»
Il y a aujourd’hui ― surtout dans le monde paysan ― de nombreux militants du Parti communiste qui luttent de toutes leurs forces, souvent à nos côtés, pour défendre la laïcité menacée. Quelle position prendraient-ils en République Démocratique Allemande ?
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Nous avons défini, au début de cet article, ce qui caractérise l’idéal laïque des anarchistes : Respect de l’enfant, antidogmatisme par l’esprit scientifique, incapacité de toutes églises ou États d’enseigner d’une manière valable.
Voyons donc ce que pensaient les partisans de l’École laïque qui n’étaient pas des anarchistes :
Dans son discours à l’Association Polytechnique en 1883, Ferdinand Buisson déclarait :
« L’école est laïque parce que si nous voulons que tout enfant acquiert les connaissances que la Convention appelait déjà LES CONNAISSANCES NÉCESSAIRES À TOUT HOMME, nous n’avons pas le droit de toucher à cette chose sacrée qui s’appelle la conscience de l’enfant, parce que nous n’avons pas le droit NI AU NOM DE L’ÉTAT (c’est nous qui soulignons), ni au nom d’une église, ni au nom d’une société, ni au nom d’un parti, au nom de qui que ce soit, enfin, d’empiéter jamais sur le domaine de cette liberté de conscience qui est le fond même et la raison de toutes les libertés. »
Quant à Jaurès, il déclarait à la Chambre des Députés le 12 janvier 1910 :
« Le jour où des socialistes pourraient fonder des écoles, je considère que le devoir de l’instituteur serait, si je puis dire, de ne pas prononcer devant les enfants le mot même de « Socialisme. »
Et il ajoutait plus tard :
« Quel magnifique rêve d’anarchisme intellectuel et scientifique ! Plus d’autorité enseignante : ni l’église, ni l’État, ni corps savants : la vérité jaillissant de tout esprit comme une source et revenant à tout esprit comme un réservoir (…) C’est la plus grande vision d’humanité pensante et libre (…).»
Quel anarchiste ne souscrirait pas entièrement à ces points de vue ?
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C’est ici qu’il nous faut revenir aux objections « puristes » des anarchistes dont nous vous avons parlé plus haut.
Nos camarades ont essayé dès les années 1900 de substituer à l’école publique une véritable école laïque hors de toute tutelle de l’État. Jean Grave nous conte les difficultés financières auxquelles ils se heurtèrent et qui les firent renoncer. Ne pouvant parler aux enfants ils décidèrent de s’adresser aux « grands ». Ils ouvrirent ainsi le 12 février 1900 aux Sociétés Savantes des cours d’enseignement libertaire. En 1904, Sébastien Faure créa une école appelée « La Ruche » qui disparut en 1914. Il déclare lui-même que cette école n’était qu’un « laboratoire ».
L’école Freinet qui existe encore aujourd’hui à Vence et qui a été créée dans les mêmes conditions que « La Ruche » (bien que son fondateur ne soit pas des nôtres) est, elle aussi, un laboratoire.
Loin de nous l’idée de nier l’intérêt considérable que présentent ces expériences pour notre mouvement en particulier et les laïques en général bien au contraire, mais nous demandons aux anarchistes qui refusent de soutenir l’école publique où ils enverront leurs enfants s’ils en ont et s’ils n’habitent pas la Côte d’Azur ? Cet argument peut paraître simpliste mais c’est pourtant ainsi que le problème le plus immédiat se pose !
Il ne pourra exister de véritable école laïque qu’en société communiste libertaire : C’est-à-dire lorsque le Pouvoir d’État aura été liquidé.
Que faire maintenant ?
Il n’y a pas de révolution ― c’est-à-dire de changement de structures ― sans la réalisation d’un certain nombre de conditions objectives.
Il nous apparaît que le problème véritable réside dans la réalisation du fait révolutionnaire au niveau de l’école.
De quelle école ? Nous répondons : Au niveau de celle qui existe, c’est-à-dire de l’École Publique.
Il y a pour nous trois objectifs :
- Défendre l’existence de l’École Publique actuelle : Cette école, tout comme les usines que nous revendiquons pour les ouvriers, sera le patrimoine du peuple demain. Elle est aujourd’hui entre les mains de l’État, comme les usines sont entre les mains du Capital.
- Créer les conditions d’un véritable enseignement laïque dès maintenant où cela est possible : Sur le plan négatif, la lutte la plus importante est la pratique d’un anticléricalisme « offensif » qui doit tendre à la liquidation des écoles confessionnelles. Il faut libérer dès maintenant l’enfant de l’enseignement le plus dogmatique. Cette lutte doit être considérée par nous comme partie du travail de sape de l’idéologie bourgeoise que doit accomplir tout révolutionnaire.
C’est ici que nous sommes amenés a examiner la thèse trop répandue des idéologues réformistes. Ne pouvant rien concevoir sans l’État, leur conception de la Laïcité et de l’École se confond souvent avec leur idée de l’État laïque. C’est le M.R.P. Maurice Schumann qui définissait cette « laïcité»-là qui ne semblait nullement le gêner :
« La laïcité de l’État signifie son indépendance vis-à-vis de toute autorité qui n’est pas reconnue par l’ensemble de la Nation, afin de lui permettre d’être impartial vis-à-vis de chacun des membres de la Communauté nationale (…).»
Dès lors la laïcité ne devient qu’une simple « neutralité ». C’est au nom de cette neutralité que le Comité National d’Action Laque faisait placarder des papillons portant la devise suivante : « À école publique, fonds publiques ― À école privée, fonds privés ». Il est d’ailleurs courant dans le même ordre d’idée de citer la phrase de l’Abbé Lemire député à la Chambre « bleu horizon » :
« Les écoles publiques de nos communes sont ouvertes à tout le monde. Si on n’en veut pas, si on n’est pas content, on en construit une autre et on y reste libre, on ne demande pas de subvention à l’État. »
Mais c’est alors admettre de nouveau le fameux « droit des familles ». Nous avons dit qu’il était contraire à une véritable laïcité. Même s’ils ne demandent pas d’argent, nous ne pouvons permettre que des gens s’arrogent le droit d’inculquer leurs idées personnelles et métaphysiques à des enfants. Même Jaurès qui était pourtant socialiste étatique concevait la laïcité comme un combat. Elle est pour nous partie du combat pour la libération de l’homme.
Sur le plan positif, il faut constater que les méthodes de l’École Moderne qui ne sont rien autre chose que les méthodes de « La Ruche » ou de Freinet commencent à faire leur chemin au sein de l’école publique. De nombreux instituteurs les emploient en totalité ou en partie. Ils se réunissent en congrès une fois par an. La coopérative que Freinet a créée à Cannes est florissante. Ainsi se forment les esprits à la nécessité d’un véritable enseignement inique.
3° Préparer la prise de conscience révolutionnaire des enseignants : Si la société communiste libertaire donne les moyens de production aux producteurs eux-mêmes, nul doute qu’elle donnera l’école aux enseignants. C’est sur eux que repose tout l’espoir de la laïcité de demain. Déjà de nombreux camarades instituteurs la pratiquent dans leur classe autant qu’ils le peuvent…
I1 serait vain de dire comment serait organisée l’école après la Révolution. Nous n’avons jamais été partisans de ces projections imaginaires. Elle sera ce que ses travailleurs la feront. Il y a pourtant deux points sur lesquels il nous faut insister :
– Le syndicalisme des instituteurs en particulier et des enseignants en général est le seul a avoir gardé son Unité.
– Les instituteurs sont sans doute les seuls travailleurs à être capables de prendre l’école en main DU JOUR AU LENDEMAIN, lors du fait révolutionnaire.
Le lecteur pourrait s’étonner que nous n’ayons pas fait d’allusion à Francisco Ferrer. Nous n’avons, non plus, pas exposé en quoi consistait les méthodes de l’École Moderne, ni la situation du syndicalisme enseignant : Chacun de ces points mériterait ― à lui seul ― une étude complète.
Guy