La Presse Anarchiste

Les anarchistes et le problème de l’École

Il y a en France, une école « neutre » à la charge de l’É­tat et une école reli­gieuse à la charge de l’Église.

Celle qui est à la charge de l’É­tat manque de cré­dits et de maîtres. Elle doit faire face aux pro­blèmes consi­dé­rables posés par l’ac­crois­se­ment démo­gra­phique. L’É­cole reli­gieuse, quant à elle éprouve aus­si des dif­fi­cul­tés et sol­li­cite des sub­sides de l’É­tat. La loi Baran­gé donne des cré­dits aux unes et aux autres sur le plan de l’en­sei­gne­ment pri­maire. L’ar­gu­ment favo­ri des par­ti­sans de l’en­sei­gne­ment reli­gieux est qu’une sub­ven­tion de l’É­tat coûte encore moins chère que la sup­pres­sion de l’é­cole « libre » qui pose­rait des pro­blèmes consi­dé­rables ; car, si on ne peut déjà loger et ensei­gner les enfants de l’é­cole publique, que serait-ce s’il fal­lait encore reclas­ser les deux mil­lions d’en­fants de l’en­sei­gne­ment libre. Mais cet argu­ment n’est vrai qu’en appa­rence et aux yeux de ceux qui ne pos­sèdent pas les don­nées du pro­blème. Il n’y a pas de cré­dits pour l’É­cole, parce que la France mène une poli­tique de guerre et de régres­sion sociale depuis des décades et les clé­ri­caux sont les auteurs de cette poli­tique en grande par­tie. L’ac­crois­se­ment démo­gra­phique de la France pose des pro­blèmes parce que la forte nata­li­té a été encou­ra­gée par les mêmes clé­ri­caux depuis la « libé­ra­tion ». Ils sont en quelque sorte les pom­piers qui pro­posent de venir éteindre l’in­cen­die qu’ils ont allu­mé eux-mêmes. Et ces pom­piers ne manquent pas de zèle. Jugez plutôt :

Le pro­gramme de reven­di­ca­tions de l’As­so­cia­tion des Parents d’É­lèves de l’En­sei­gne­ment Libre (A.P.E.L.) prévoit :

  1. Une aide finan­cière pour le paie­ment des maîtres laïcs et reli­gieux selon un barème qui se rap­pro­che­rait du barème offi­ciel à équi­va­lence de titre et d’an­cien­ne­té. Cette aide devrait être cal­cu­lée selon la « pro­por­tion­nelle sco­laire » c’est-à-dire qu’on devrait éva­luer ce que coûte sur le plan de l’en­sei­gne­ment chaque élève des écoles publiques et pro­cé­der à une péréqua­tion selon le nombre d’é­lèves de l’en­sei­gne­ment pri­vé. Les sommes devraient être ver­sées à des orga­nismes natio­naux et régio­naux qui en assu­re­raient la répar­ti­tion aux ayant-droit. L’É­tat pour­ra exi­ger, en contre-par­tie des garan­ties de contrôle « à condi­tion que cela ne touche pas la liber­té de l’enseignement ».
  2. Les frais d’en­tre­tien : Dans l’en­sei­gne­ment pri­maire, ils pour­ront être trou­vés par les fonds de la Loi Baran­gé. Pour le secon­daire, une for­mule reste à trou­ver. Les A.P.E.L. demandent le main­tien des bourses ain­si que le main­tien et l’ex­ten­sion de la taxe d’apprentissage.
  3. Amé­lio­ra­tion et exten­sion des bâti­ments : « Pas de sub­ven­tion, mais pos­si­bi­li­tés d’emprunts à long terme et à bas inté­rêts et créa­tion de socié­tés d’é­co­no­mie mixte ».

La Ligue de l’En­sei­gne­ment et les Comi­tés Dépar­te­men­taux d’Ac­tion Laïque ont fait jus­te­ment remar­quer « le carac­tère insen­sé de telles pro­po­si­tions que VICHY même, n’a­vait pas osé envisager…»

Mal­gré les sou­rires de nos « socia­listes », les « mains ten­dues » de nos « com­mu­nistes », les gou­ver­ne­ments de « gauche » consti­tués en com­pa­gnie du M.R.P., la que­relle sco­laire reprend. Mais alors que la « droite » est res­tée ferme sur ses posi­tions, la « gauche » ne pos­sède aucune struc­ture capable de résis­ter. Nous avons suf­fi­sam­ment « radio­gra­phié » la « gauche » pour qu’il ne soit pas de notre pro­pos d’y reve­nir ici. Il nous faut pour­tant dire ce qui est en jeu dans cette bataille sco­laire et dans quelle optique les anar­chistes-com­mu­nistes y sont entrés.

Il est assez cou­rant dans les milieux M.R.P. d’en­tendre dire : « La liber­té de l’en­sei­gne­ment doit être défen­due, car lors­qu’on touche à UNE liber­té, c’est toutes les autres qui sont mena­cées ». On verse alors dans les argu­ments « démo­cra­tiques ». On dit par exemple que le sys­tème actuel est injuste parce que, seuls, les parents for­tu­nés peuvent choi­sir leur école, tan­dis que les parents pauvres (si j’ose dire) sont réduits à fré­quen­ter la « com­mu­nale » même s’ils sont chrétiens…

Il n’y a évi­dem­ment pas d’é­cole boud­dhiste en France, ni d’é­cole brah­ma­niste, et si j’a­vais l’i­dée d’é­du­quer mes enfants selon les prin­cipes en ques­tion je serais en droit, d’a­près cette belle théo­rie, de reven­di­quer de l’argent de la Com­mu­nau­té. Vous m’ob­jec­te­rez que je ne suis pas boud­dhiste et que la ques­tion ne se pose pas. Com­bien d’ou­vriers ne sont pas chré­tiens et confient pour­tant leurs enfants à l’Église !

Mais la véri­té est beau­coup plus simple : il existe en France une orga­ni­sa­tion poli­ti­co-reli­gieuse qui s’ap­pelle l’É­glise catho­lique. Cette socié­té consi­dère qu’elle ne peut gar­der son emprise sur les masses qu’en pre­nant les hommes dès leur pre­mière enfance. Pour ce faire, elle a créé des écoles et elle demande à l’É­tat (c’est-à-dire à tous les contri­buables) de payer sa propre pro­pa­gande. Elle y par­vient assez bien grâce à l’é­lec­to­ra­lisme outran­cier de nos poli­ti­ciens et aux manœuvres aux­quelles elle se livre au sein des assem­blées de la démo­cra­tie bour­geoise (Groupe par­le­men­taire de l’en­sei­gne­ment libre, Conseils d’ad­mi­nis­tra­tion des caisses d’al­lo­ca­tions fami­liales, etc.)

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L’a­li­bi moral de l’É­glise et des défen­seurs de l’ordre en géné­ral pour sou­te­nir un ensei­gne­ment « libre » est le droit des parents. La socié­té est orga­ni­sée en « familles » consi­dé­rées par les théo­ri­ciens méta­phy­si­ciens comme la pre­mière « cel­lule ». Dans cette cel­lule règne l’au­to­ri­té du père de famille qui habi­tue l’en­fant à l’au­to­ri­té qu’il ren­con­tre­ra un jour dans la vie et qui fera de lui un hon­nête citoyen, zélé à obéir aux lois et à accep­ter l’ordre des choses. Je ne désire pas encore faire allu­sion à la Révolte que l’on veut étouf­fer. Je me borne à consta­ter que, même du simple point de vue démo­cra­tique, l’ordre des choses accep­té conduit l’homme à refu­ser tout esprit créa­teur et toute évo­lu­tion. Nous sommes dans un monde où l’on ne parle que de liber­té et dès l’en­fance on cherche à ce que l’en­fant soit contraint. C’est ain­si qu’en­suite, on lui par­le­ra, à l’âge adulte, comme s’il était libre. Il est dans la men­ta­li­té de la majo­ri­té des indi­vi­dus ― même athées ― de consi­dé­rer que leurs enfants sont leur pro­prié­té. Dans l’An­ti­qui­té on esti­mait que le Pater-fami­lias avait le droit de vie et de mort sur sa pro­gé­ni­ture. Nous n’en sommes plus là, mais le père a encore le droit de vie et de mort sur l’es­prit de son enfant. Ce qui part exac­te­ment du même prin­cipe qui est sim­ple­ment trans­po­sé du domaine phy­sique au domaine moral. Notre pre­mière oppo­si­tion à ce que l’on appelle à tort la liber­té de l’en­sei­gne­ment se place à ce stade. Mais citons Sébas­tien Faure qui écri­vait dans « Pro­pos d’un éducateur » :

« Nous adres­sons aux édu­ca­teurs et aux parents le reproche de vou­loir impo­ser à leurs enfants les sen­ti­ments et les convic­tions qui les animent. Nous disons que cette pres­sion abu­sive du maître sur l’é­lève, du père sur l’en­fant consti­tue un acte de vio­lence condam­nable. Nous affir­mons que l’ins­ti­tu­teur n’a pas le droit de mettre à pro­fit l’i­gno­rance de l’é­co­lier, sa débi­li­té intel­lec­tuelle, sa fai­blesse phy­sique, l’é­tat de sujé­tion dans lequel il se trouve par rap­port au maître, pour faire péné­trer dans son cœur et dans son esprit sa manière de voir et de sen­tir. Nous dénions au père le droit d’a­bu­ser de la ten­dresse et de la confiance que lui voue son enfant pour glis­ser en lui ses croyances et ses convictions. »

Telle est, résu­mée, la pre­mière option laïque des anar­chistes. Et c’est à nous de faire que, dès l’en­fance, dis­pa­raisse dans le méca­nisme de la pen­sée de l’in­di­vi­du, le prin­cipe de l’Au­to­ri­té. Tous ceux de nos cama­rades qui ont écrit dans le pas­sé des thèses d’é­du­ca­tion liber­taire ont insis­té sur la néces­si­té de faire que l’en­fant soit lui même. Dome­la Nieu­wen­huis écrivait :

« L’au­to­ri­té des parents ne repose sur rien. Les enfants ne nous ont pas deman­dé de naître, et nous nous arro­geons, par le fait de leur nais­sance, le droit d’être leurs maîtres. Remarque bien curieuse : dans les dix com­man­de­ments de Moise on dit bien : Enfant, honore tes parents, mais non : Parents, hono­rez vos enfants ». (l’É­du­ca­tion liber­taire)

Pour les croyants et les méta­phy­si­ciens la liber­té consiste à choi­si. entre ce qu’il est conve­nu d’ap­pe­ler le bien et le mal. Qui défi­nit ces deux pôles d’at­trac­tion ? La morale et évi­dem­ment 1a reli­gion. Ain­si, logi­que­ment, l’é­du­ca­tion des enfants doit ensei­gner la morale et la reli­gion afin que ce choix puisse se faire ― pré­tend-t-on ― à tous les stades de la vie. Ce que les tenants de l’É­cole « libre » appellent « liber­té de l’en­sei­gne­ment » consiste donc à avoir le droit d’en­sei­gner à l’en­fant telle ou telle morale jugée bonne. Il est cou­rant d’en­tendre les clé­ri­caux nous dire qu’ils ne ver­raient pas d’in­con­vé­nient à ce qu’il existe des écoles anar­chistes, des écoles socia­listes, com­mu­nistes, etc. Les parents qui seraient adeptes de l’une ou l’autre de ces écoles « socia­listes » enver­raient leurs enfants où bon leur sem­ble­rait. Les croyants hon­nêtes qui admettent que la foi est bien le fameux « saut dans l’ab­surde » dont par­lait Pas­cal, veulent bien conve­nir que leur reli­gion n’a que la valeur d’une hypo­thèse aux yeux d’un incroyant ou d’un maté­ria­liste. Mais, défor­més par leur propre pen­sée dont ils ne peuvent sor­tir, ils jugent les autres d’a­près eux-mêmes et consi­dèrent que les maté­ria­listes pré­tendent eux aus­si se conten­ter d’hy­po­thèses. Si cela était, nous n’en­sei­gne­rions aux enfants que des choses objec­ti­ve­ment sup­po­sées et dépen­dant seule­ment de nos ten­dances sen­ti­men­tales. C’est bien là où l’on veut nous conduire. Récem­ment, un membre émi­nent des A.P.E.L. ne par­lait-il pas des mathé­ma­tiques chré­tiennes ? Dans leur délire, les clé­ri­caux essaient main­te­nant de défi­nir une véri­table laï­ci­té à par­tir de telles consta­ta­tions. Ain­si le journa1 catho­lique de la Drôme « Peuple Libre » écri­vait le 15 novembre 1958 :

« Si je suis musul­man, juif, chré­tien je dois lais­ser mes convic­tions à la porte de l’é­cole : au porte-man­teau ou au garage. Je ne dois pas vivre selon mes convic­tions pen­dant la classe. Je ne peux pas réci­ter une prière si je le désire. Je ne pour­rai pas, dans un inter­nat de cours com­plé­men­taire ou de col­lège, aller à la messe le matin en semaine ou me confes­ser dans la jour­née, si je le veux. Je ne pour­rai pas accom­plir un acte reli­gieux visible pen­dant la classe, etc. L’É­cole est neutre dit-on!… Si dans la ville ou le dépar­te­ment des hommes, des enfants veulent res­ter neutres : l’É­cole est vrai­ment faite pour eux. Ils trouvent l’é­cole qu’ils souhaitent,qu’ils dési­rent. Mais ils forment une classe de pri­vi­lé­giés dans la nation ; seuls, ils ont, ils trouvent l’é­cole qui leur convient. Tous les autres qui, quelle que soit leur reli­gion, vou­draient une école où ils puissent ― comme les neutres ― se sen­tir à l’aise ne l’ont pas : ils sont bri­més. Ils doivent eux aus­si deve­nir neutres, se sou­mettre aux neutres. Où est dès lors le res­pect de la vraie liber­té religieuse ? »

Nous pour­rions faire beau­coup de remarques au sujet de ce texte effa­rant et consta­ter que ces gens-là s’es­timent bri­més seule­ment quand ils n’ont pas la pos­si­bi­li­té d’im­po­ser aux autres leur manière de voir : nous y revien­drons. Il fal­lait don­ner aux lec­teurs un exemple concret du méca­nisme de pen­sée de ces pré­ten­dus « éducateurs ».

Mais pour nous, ce n’est pas si simple. Il n’y a pas ― à notre sens ― d’en­fants juifs ou chré­tiens vrai­ment libres. La reli­gion, comme la phi­lo­so­phie sont du res­sort d’op­tions et de sen­ti­ments qu’il est impos­sible d’é­prou­ver avant une cer­taine matu­ri­té. Un gosse de dix ans qui se sent bri­mé en classe parce qu’il ne peut pas prier son Dieu devant les autres a déjà été bri­mé aupa­ra­vant par ceux qui lui ont incul­qué une reli­gion à un âge où il n’é­tait pas à même de com­prendre. L’ex­pé­rience démontre d’ailleurs qu’un enfant à qui on ne parle jamais de reli­gion ne pose jamais une seule ques­tion à ce sujet. Sébas­tien Faure disait :

« Nous consi­dé­rons qu’il est de notre devoir de ne pas éveiller en lui une curio­si­té qu’il n’est pas encore à même de satis­faire rationnellement ».

Qu’en­ten­dons-nous donc par « édu­ca­tion dans la liber­té de l’enfant » ?

Disons tout de suite qu’a­près Bakou­nine et tous les maté­ria­listes, nous nions abso­lu­ment le « libre arbitre » tel que l’en­tend la reli­gion et la méta­phy­sique. Tout indi­vi­du n’est que le pro­duit d’un ensemble de cau­sa­li­tés. Selon le même Bakounine :

« Le corps de l’in­di­vi­du, avec toutes ses facul­tés et pré­dis­po­si­tions, n’est rien que la résul­tante de toutes les causes géné­rales et par­ti­cu­lières qui ont déter­mi­né son orga­ni­sa­tion individuelle ».

Dès lors, nous savons qu’il n’est rien d’ar­bi­traire dans la nature. Aux méta­phy­si­ciens qui veulent nous mettre en contra­dic­tion avec nous-mêmes quand nous par­lons de la « liber­té », nous disons que nous nous oppo­sons à toute pres­sion arbi­traire, exté­rieure à l’in­di­vi­du et à ses propres lois. Aus­si, nous ne conce­vons l’é­du­ca­tion de l’en­fant que dans le but de le révé­ler à lui-même et à sa propre nature. Pour nous, l’homme, l’en­fant n’est libre que lors­qu’il est entiè­re­ment lui-même. Lors­qu’il peut « déve­lop­per toutes ses facul­tés, réa­li­ser toutes ses apti­tudes, non seule­ment pour soi mais aus­si pour les autres ». (Nieu­wen­huis).

Dès lors, il n’y a qu’une solu­tion d’é­du­ca­tion pos­sible : c’est de pré­sen­ter à l’en­fant les faits OBJECTIFS et lui apprendre à pas­ser tout ce qu’on lui pré­sente au crible de son propre rai­son­ne­ment, de son « libre exa­men ». C’est ici qu’il n’y a pas de « liber­té d’en­sei­gne­ment » au sens où l’en­tendent les A.P.E.L. dont nous avons cite la déclaration.

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Puisque nous nous heur­tons pré­sen­te­ment aux pré­ten­tions de l’É­glise en matière d’en­sei­gne­ment, il nous faut bien savoir si elle est capable d’enseigner.

Feu Pie XII décla­rait aux jésuites réunis en Congrès à Rome le 10 sep­tembre 1958 :

« Que par­mi vous n’ait pas place l’or­gueil du libre exa­men qui relève de la men­ta­li­té hété­ro­doxe plus que de l’es­prit catho­lique et selon lequel les indi­vi­dus n’hé­sitent pas à peser au poids de leur juge­ment propre même ce qui vient du Siège apos­to­lique. Ne tolé­rez pas de conni­vence avec ceux qui pré­tendent que la norme de l’ac­tion et de la pour­suite du salut c’est ce qui se fait plu­tôt que ce qui doit se faire ; qu’on ne laisse pas agir et pen­ser à leur gré ceux qui consi­dèrent la dis­ci­pline ecclé­sias­tique comme quelque chose d’ar­chaïque, un vain for­ma­lisme ― comme ils disent ― dont il faut se libé­rer faci­le­ment pour ser­vir la véri­té…»

Il faut noter que les jésuites sont des « ensei­gnants » et qu’ils pos­sèdent de nom­breux col­lèges en France et à l’é­tran­ger ! L’en­fant qui sera entre leurs mains et édu­qué selon ces magni­fiques prin­cipes n’au­ra aucune pos­si­bi­li­té de juge­ment « libre ». On ne lui pré­sen­te­ra que des « véri­tés » toutes faites. Il n’est point besoin d’in­sis­ter pour conclure que le prin­cipe même sur lequel l’É­glise base son ensei­gne­ment est dénué de tout esprit scientifique.

Si l’es­prit laïque est basé sur la recherche de la Véri­té, l’É­glise au contraire a tou­jours pré­ten­du pos­sé­der cette Véri­té pleine et entière par delà les pays et les époques. Jésus a dit : « Je suis la Véri­té ». Dès lors, il est impos­sible de culti­ver chez l’en­fant cette recherche néces­saire au pro­grès de l’Hu­ma­ni­té : ce qui est contraire à toutes les lois de l’é­vo­lu­tion. Dès lors l’en­sei­gne­ment découle de cette Véri­té unique révé­lée par Dieu lui-même.

« C’est une erreur (pro­clame le Syl­la­bus) [[Recueil pro­mul­gué par le pape Pie IX en 1864, ren­fer­mant les prin­ci­pales « erreurs » phi­lo­so­phiques, poli­tiques, morales, doc­tri­nales condam­nées par l’É­glise.]] de dire que les catho­liques pensent approu­ver un sys­tème d’é­du­ca­tion en dehors de la foi catho­lique et de l’Au­to­ri­té de l’É­glise, et qui n’ait pour but, ou du moins pour but prin­ci­pal, que la connais­sance des choses pure­ment natu­relles et la vie sociale sur terre ».

Mais il y eut un temps où l’É­glise pré­ten­dait bien appor­ter aus­si la connais­sance « des choses de la terre ». Elle était la seule à ensei­gner tout au long du Moyen Age et il faut savoir qu’il n’y avait à cette époque aucune dif­fé­rence entre la Science et la Reli­gion. Il en était ain­si dans les reli­gions pri­mi­tives qui pré­ten­daient ensei­gner à l’homme tout ce qui lui était néces­saire pour vivre. La Loi de Moïse, tout comme le Coran, par exemple, abordent tous les pro­blèmes : depuis les recettes de cui­sine jus­qu’à la manière de « faire l’a­mour ». Bien que cela paraisse un peu ana­chro­nique aux hommes de notre époque, tout est reli­gieux pour l’homme croyant actuel, et cha­cun des actes de nos mili­tants chré­tiens d’au­jourd’­hui sont ― à leur sens ― des « actes reli­gieux ». Dès lors, la vieille idée de nos laïques selon laquelle la croyance est affaire « pri­vée » ne tient pas, car si tout est reli­gion, cela veut dire que l’É­glise a le droit de prendre posi­tion sur tous les pro­blèmes. Elle seule pré­tend pos­sé­der le droit d’en­sei­gner. Elle se nomme, elle-même : « L’É­glise ensei­gnante ». Le Syl­la­bus pro­clame encore à son article II :

« L’É­glise ne peut en aucun cas tolé­rer les erreurs de la phi­lo­so­phie et se doit de sévir contre elles ».

Les décou­vertes scien­ti­fiques can­tonnent de plus en plus la reli­gion dans le domaine spi­ri­tuel et les ensei­gnants catho­liques doivent sou­vent être gênés dans leurs réfu­ta­tions de ce qu’ils appellent l’erreur.

Nous croyons ne pas devoir insis­ter et nous pen­sons que ces quelques cita­tions prouvent ample­ment que l’É­glise est inca­pable de res­pec­ter la liber­té de l’en­fant et de lui appor­ter un ensei­gne­ment scien­ti­fique. Car enfin, qu’est-ce qu’enseigner ?

C’est rendre acces­sible à l’en­fant les acqui­si­tions faites par les sciences. C’est lui don­ner la pos­si­bi­li­té d’ob­ser­ver, d’a­na­ly­ser, de contrô­ler, de cher­cher par lui-même. C’est lui apprendre à recher­cher la véri­té par l’a­na­lyse objec­tive des faits. C’est le faire par­tir du doute pour arri­ver à l’af­fir­ma­tion. C’est le faire remon­ter du connu à l’in­con­nu. Toutes choses impos­sibles à réa­li­ser par l’Église !

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Si l’É­glise reven­dique la liber­té d’en­sei­gner quand elle vit dans un régime de démo­cra­tie bour­geoise, il n’en va pas de même quand elle s’est empa­rée des rouages de l’É­tat. C’en est alors fini des « grands prin­cipes » et des pré­ten­tions à l’i­déal laïque. Dans cet ordre d’i­dée, la lec­ture des sta­tuts de l’U­ni­ver­si­té Espa­gnole est significative :

« Article 3 : L’U­ni­ver­si­té s’ins­pi­rant du sens catho­lique CONSUBSTENTIEL à la tra­di­tion uni­ver­si­taire espa­gnole acco­mo­de­ra ses ensei­gne­ments à ceux du dogme et de la morale catho­liques et aux normes du Droit cano­nique en vigueur. 

Article 9 : L’É­tat espa­gnol recon­naît à l’É­glise catho­lique, apos­to­lique et romaine en matière uni­ver­si­taire ses droits à l’en­sei­gne­ment conforme aux sacrés canons. Aus­si, il est créé une « Direc­tion de For­ma­tion reli­gieuse et uni­ver­si­taire » qui est l’or­gane qui reçoit en charge :

a) La direc­tion de tous les cours de culture supé­rieure reli­gieuse, les­quels seront obli­ga­toires et dont les épreuves devront être pas­sées favo­ra­ble­ment.

b) L’As­ses­so­rat reli­gieux du syn­di­cat espa­gnol uni­ver­si­taire. Etc., etc. »

Que se passe-t-il en France et dans les pays de démo­cra­tie bourgeoise ?

Le pape Léon XIII est cen­sé avoir décla­ré : « Com­men­cez par vous empa­rer de la Répu­blique ; lorsque vous en serez maîtres vous ferez la monar­chie ». Les évé­ne­ments poli­tiques fran­çais depuis le 13 mai pour­raient don­ner un cer­tain carac­tère pro­phé­tique à cette phrase. Il faut savoir qu’un mou­ve­ment catho­lique de type fas­ciste grou­pé autour de la revue « L’Homme Nou­veau » a joué un rôle pré­pon­dé­rant dans les fameux 13 com­plots. Nous savons que le « Mou­ve­ment Popu­laire du 13 Mai » arbore en Algé­rie, l’in­signe du « Cœur de Jésus » sur­mon­té d’une croix qui était le signe de ral­lie­ment des Chouans… et du Klu-Klux-Klan !

Mais l’É­glise n’est pas assez naïve pour se soli­da­ri­ser d’une manière totale avec le mou­ve­ment fas­ciste. Des chré­tiens de « gauche » grou­pés dans le Mou­ve­ment de Libé­ra­tion du Peuple il y a quelques années et main­te­nant dans l’U­nion de la Gauche Socia­liste, se déclarent contre l’É­cole confes­sion­nelle et déclarent qu’il est conforme à la laï­ci­té que l’É­glise garde son « droit à l’a­pos­to­lat » (Thèses du M.L.P.). Ce qui signi­fie en clair, que la solu­tion au pro­blème de l’É­cole rési­de­rait dans la sup­pres­sion de l’É­cole « libre » et dans la pré­sence d’au­mo­niers dans les écoles laïques. La thèse est-elle autant en contra­dic­tion avec celle des défen­seurs de l’é­cole confes­sion­nelle qu’elle le paraît ?

Nous avons vu que le pro­gramme de reven­di­ca­tions des A.P.E.L. pré­co­nise une assi­mi­la­tion du per­son­nel et des locaux des éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment catho­liques par l’É­tat. Nous savons que DE GAULLE veut signer un Concor­dat avec le Vatican.

On observe sur le plan éco­no­mique une inter­ven­tion de l’É­tat de plus en plus mar­quée, à tel point que celui-ci ne joue plus, comme dans le capi­ta­lisme du XIXe siècle, un rôle de simple média­teur, mais devient mono­pole capi­ta­liste sou­vent lui-même. Aux États-Unis, c’est le règne des mono­poles, en U.R.S.S., le mono­pole d’É­tat a été réa­li­sé de la manière que l’on sait. L’É­glise n’est pas sans igno­rer ces faits. Aus­si, elle pense que le meilleur moyen de sub­sis­ter est de s’emparer de l’É­tat. C’est d’ailleurs conforme à sa poli­tique de tous les temps. Ain­si, les catho­liques de droite tra­vaillent à la conquête de l’É­tat pré­sent et ceux de gauche à la conquête d’un éven­tuel « État socia­liste » (M.L.P. ― U.G.S.). Il faut ajou­ter qu’un régime éta­tiste qui lais­se­rait à l’É­glise une grande liber­té de manœuvre, voire un mono­pole, est au fond le régime le mieux adap­té à ses prin­cipes, beau­coup mieux que celui de la démo­cra­tie bour­geoise. Les deux ten­dances des mili­tants catho­liques se com­plètent donc har­mo­nieu­se­ment et il n’y a pas autant d’an­ta­go­nisme qu’il paraît entre ceux qui com­battent la « laï­ci­té » et ceux qui la consi­dèrent comme une condi­tion « de l’a­pos­to­lat moderne » (ten­dance de l’Ac­tion Catho­lique Ouvrière).

Aujourd’­hui, comme hier, appa­raît donc en face des mili­tants laïques le vieux couple Église-État…

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Mais la lutte des laïques pour défendre l’É­cole contre les pré­ten­tions de l’É­glise a tou­jours été ― his­to­ri­que­ment ― basée sur la défense de l’É­tat. Depuis la fameuse loi de sépa­ra­tion de l’É­glise et de l’É­tat, on défend com­mu­né­ment dans les milieux de « gauche » la « Laï­ci­té de l’É­cole et de l’É­tat ». C’est un fait que l’É­cole publique se trouve entre les mains des gou­ver­nants quels qu’ils soient. Il suf­fit alors que l’É­tat tombe entre les mains des dog­ma­tiques et toute la base d’une cer­taine inter­pré­ta­tion de la laï­ci­té s’ef­fondre. C’est ce qui se pas­sait sous le régime nazi : Schemm, l’un des auxi­liaires de Hit­ler défi­nis­sait ain­si le rôle de l’instituteur :

« Il doit demeu­rer le chef de sec­tion d’as­saut de la jeu­nesse en tant que ser­vi­teur de la Nation. Il met­tra au centre de son ensei­gne­ment : la race, la défense du pays, le prin­cipe du chef…»

Dans tout régime de classes, l’É­tat pré­tend conci­lier les inté­rêts diver­gents. Au sens démo­cra­tique, tel que le défi­nis­sait Rous­seau, il pré­tend même être « la somme des inté­rêts com­muns ». Or, tant que règne l’ex­ploi­ta­tion, il est impos­sible que l’É­tat soit indé­pen­dant de la classe domi­nante. Nous avons vu qu’il tend lui-même à la puis­sance éco­no­mique et qu’il devient ain­si classe exploi­tante. Il est hors de doute que l’en­sei­gne­ment qu’il don­ne­ra ten­dra (du moins dans la lettre des ins­truc­tions minis­té­rielles) à dis­pen­ser à l’en­fant une cer­taine idéo­lo­gie bour­geoise. Ce fait n’é­chap­pait pas aux anar­chistes du début du siècle.

Ain­si Jean Grave écri­vait-il dans « Ensei­gne­ment bour­geois et Ensei­gne­ment libertaire » :

« L’é­du­ca­tion, acca­pa­rée par l’É­tat, ne pou­vant se don­ner que sous son contrôle, ayant créé une caste à part, de ceux qui sont char­gés de l’en­sei­gne­ment, part de cette véri­té ori­gi­nelle que l’homme est un être pares­seux qui ne pense et n’a­git que sous la pres­sion du besoin, mais qu’ils ont trou­vé le moyen de chan­ger en erreur, en met­tant des entraves à la satis­fac­tion des besoins, et en venant sub­sti­tuer leurs volon­tés et leurs méthodes à celles du besoin même. (…) Ce sys­tème avait pour résul­tat de façon­ner les cer­veaux à la guise des édu­ca­teurs, de tuer l’i­ni­tia­tive de l’é­lève en le bour­rant d’i­dées toutes faites, ne lui deman­dant que de la mémoire et non de l’es­prit critique. »

Mais il nous faut voir si l’es­sence même de l’É­tat lui per­met d’en­sei­gner d’une manière plus légi­time que l’É­glise. Selon les régimes, l’É­tat pré­tend tenir son pou­voir soit d’une puis­sance spi­ri­tuelle, soit de la repré­sen­ta­tion popu­laire. De toute manière son exis­tence est basée sur un mythe. Il demande qu’on se sou­mette à lui au nom de ce qu’il repré­sente. Il prêche une reli­gion — le patrio­tisme. Il demande qu’on meurt pour lui. « N’est-ce pas une chose remar­quable que cette simi­li­tude entre la théo­lo­gie ― cette science de l’É­glise ― et la poli­tique ― cette théo­rie de l’É­tat ; que cette ren­contre de deux ordres de pen­sée et de faits en appa­rence si contraires, dans une même convic­tion : celle de la néces­si­té de l’im­mo­la­tion de l’hu­maine liber­té pour mora­li­ser les hommes et pour les trans­for­mer, selon l’une en des saints, selon l’autre en de ver­tueux citoyens » dit Bakou­nine (Fédé­ra­lisme, Socia­lisme et Anti­théo­lo­gisme).

Il est de fait qu’une cer­taine ins­truc­tion Civique, qu’une cer­taine His­toire de France et qu’une cer­taine géo­gra­phie­tendent à faire des enfants de l’É­cole Pri­maire de bons petits fran­çais chau­vins. Il ne nous sied pas plus de voir des enfants de huit ans chan­ter de leur voix angé­lique : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! » que de les voir psal­mo­dier les phrases du Caté­chisme. L’en­sei­gne­ment éta­tique n’a donc rien à voir non plus avec une véri­table laïcité.

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Un cer­tain nombre d’a­nar­chistes partent de ces consta­ta­tions pour décla­rer que l’É­cole Publique est indé­fen­dable parce qu’elle est l’é­cole de l’É­tat. D’un point de vue pure­ment idéo­lo­gique on peut esti­mer que leur concep­tion est par­fai­te­ment conforme à l’i­déal anar­chiste. Nous pen­sons et n’hé­si­te­rons pas à affir­mer ici que cela n’est qu’ap­pa­rence et nous nous en expli­que­rons plus loin.

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Un par­ti­san convain­cu du Pou­voir d’É­tat ― en l’oc­cur­rence le Par­ti Com­mu­niste ― a pris, lui aus­si, à cer­taines époques des posi­tions puristes en face de l’é­cole laïque. C’est Tho­rez qui décla­rait au Congrès de Gen­ne­vil­liers en avril 1950 :

« Nous avons l’o­pi­nion que l’en­sei­gne­ment offi­ciel AUSSI BIEN QUE l’en­sei­gne­ment dit libre est un ensei­gne­ment de classe ; car les idées domi­nantes d’une époque sont les idées de la classe dominante. »

Mais dans un pays où le Par­ti com­mu­niste est au pou­voir, la Répu­blique démo­cra­tique alle­mande, l’en­sei­gne­ment est entiè­re­ment diri­gé IDÉOLOGIQUEMENT par l’ap­pa­reil d’É­tat, c’est-à-dire aus­si par la classe domi­nante. Voi­ci un extrait du jour­nal « Die Neue Schule » du 15 février 1951 :

« ORDONNANCE RELATIVE À L’EXAMEN DU BREVET D’ENSEIGNEMENT DU PREMIER DEGÉ.

L’exa­men doit mettre on évidence :

  1. que le can­di­dat aux fonc­tions d’en­sei­gnant sou­tient EN CLASSE et en dehors du l’é­cole, la lutte du Front Natio­nal de l’Al­le­magne, pour la Paix et l’A­mi­tié de toutes les forces paci­fiques du monde SOUS LA DIRECTION DE L’UNION SOVIETIQUE.
  2. que le can­di­dat aux fonc­tions d’en­sei­gnant EST UN AMI CONVAINCU DE L’UNION SOVIETIQUE. Il doit don­ner des preuves de ses efforts auprès des élèves, des parents d’é­lèves et l’o­pi­nion publique démo­cra­tique et les démo­cra­ties popu­laires en recon­nais­sant la ligne Oder-Neisse comme fron­tière de paix ;
  3. que le can­di­dat aux fonc­tions d’en­sei­gnant POSSÈDE DE SOLIDES CONNAISSANCES DES PRINCIPES DU MARXISME-LENINISME, INDISPENSABLE À LA COMPRÉHENSION DE LA PÉDAGOGIE SOVIÉTIQUE, en tant que péda­go­gie la plus pro­gres­siste du monde (…).»

Il y a aujourd’­hui ― sur­tout dans le monde pay­san ― de nom­breux mili­tants du Par­ti com­mu­niste qui luttent de toutes leurs forces, sou­vent à nos côtés, pour défendre la laï­ci­té mena­cée. Quelle posi­tion pren­draient-ils en Répu­blique Démo­cra­tique Allemande ?

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Nous avons défi­ni, au début de cet article, ce qui carac­té­rise l’i­déal laïque des anar­chistes : Res­pect de l’en­fant, anti­dog­ma­tisme par l’es­prit scien­ti­fique, inca­pa­ci­té de toutes églises ou États d’en­sei­gner d’une manière valable.

Voyons donc ce que pen­saient les par­ti­sans de l’É­cole laïque qui n’é­taient pas des anarchistes :

Dans son dis­cours à l’As­so­cia­tion Poly­tech­nique en 1883, Fer­di­nand Buis­son déclarait :

« L’é­cole est laïque parce que si nous vou­lons que tout enfant acquiert les connais­sances que la Conven­tion appe­lait déjà LES CONNAISSANCES NÉCESSAIRES À TOUT HOMME, nous n’a­vons pas le droit de tou­cher à cette chose sacrée qui s’ap­pelle la conscience de l’en­fant, parce que nous n’a­vons pas le droit NI AU NOM DE L’ÉTAT (c’est nous qui sou­li­gnons), ni au nom d’une église, ni au nom d’une socié­té, ni au nom d’un par­ti, au nom de qui que ce soit, enfin, d’empiéter jamais sur le domaine de cette liber­té de conscience qui est le fond même et la rai­son de toutes les libertés. »

Quant à Jau­rès, il décla­rait à la Chambre des Dépu­tés le 12 jan­vier 1910 :

« Le jour où des socia­listes pour­raient fon­der des écoles, je consi­dère que le devoir de l’ins­ti­tu­teur serait, si je puis dire, de ne pas pro­non­cer devant les enfants le mot même de « Socialisme. »

Et il ajou­tait plus tard :

« Quel magni­fique rêve d’a­nar­chisme intel­lec­tuel et scien­ti­fique ! Plus d’au­to­ri­té ensei­gnante : ni l’é­glise, ni l’É­tat, ni corps savants : la véri­té jaillis­sant de tout esprit comme une source et reve­nant à tout esprit comme un réser­voir (…) C’est la plus grande vision d’hu­ma­ni­té pen­sante et libre (…).»

Quel anar­chiste ne sous­cri­rait pas entiè­re­ment à ces points de vue ?

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C’est ici qu’il nous faut reve­nir aux objec­tions « puristes » des anar­chistes dont nous vous avons par­lé plus haut.

Nos cama­rades ont essayé dès les années 1900 de sub­sti­tuer à l’é­cole publique une véri­table école laïque hors de toute tutelle de l’É­tat. Jean Grave nous conte les dif­fi­cul­tés finan­cières aux­quelles ils se heur­tèrent et qui les firent renon­cer. Ne pou­vant par­ler aux enfants ils déci­dèrent de s’a­dres­ser aux « grands ». Ils ouvrirent ain­si le 12 février 1900 aux Socié­tés Savantes des cours d’en­sei­gne­ment liber­taire. En 1904, Sébas­tien Faure créa une école appe­lée « La Ruche » qui dis­pa­rut en 1914. Il déclare lui-même que cette école n’é­tait qu’un « laboratoire ».

L’é­cole Frei­net qui existe encore aujourd’­hui à Vence et qui a été créée dans les mêmes condi­tions que « La Ruche » (bien que son fon­da­teur ne soit pas des nôtres) est, elle aus­si, un laboratoire.

Loin de nous l’i­dée de nier l’in­té­rêt consi­dé­rable que pré­sentent ces expé­riences pour notre mou­ve­ment en par­ti­cu­lier et les laïques en géné­ral bien au contraire, mais nous deman­dons aux anar­chistes qui refusent de sou­te­nir l’é­cole publique où ils enver­ront leurs enfants s’ils en ont et s’ils n’ha­bitent pas la Côte d’A­zur ? Cet argu­ment peut paraître sim­pliste mais c’est pour­tant ain­si que le pro­blème le plus immé­diat se pose !

Il ne pour­ra exis­ter de véri­table école laïque qu’en socié­té com­mu­niste liber­taire : C’est-à-dire lorsque le Pou­voir d’É­tat aura été liqui­dé.

Que faire maintenant ?

Il n’y a pas de révo­lu­tion ― c’est-à-dire de chan­ge­ment de struc­tures ― sans la réa­li­sa­tion d’un cer­tain nombre de condi­tions objectives.

Il nous appa­raît que le pro­blème véri­table réside dans la réa­li­sa­tion du fait révo­lu­tion­naire au niveau de l’école.

De quelle école ? Nous répon­dons : Au niveau de celle qui existe, c’est-à-dire de l’É­cole Publique.

Il y a pour nous trois objectifs :

  1. Défendre l’exis­tence de l’É­cole Publique actuelle : Cette école, tout comme les usines que nous reven­di­quons pour les ouvriers, sera le patri­moine du peuple demain. Elle est aujourd’­hui entre les mains de l’É­tat, comme les usines sont entre les mains du Capital. 
  2. Créer les condi­tions d’un véri­table ensei­gne­ment laïque dès main­te­nant où cela est pos­sible : Sur le plan néga­tif, la lutte la plus impor­tante est la pra­tique d’un anti­clé­ri­ca­lisme « offen­sif » qui doit tendre à la liqui­da­tion des écoles confes­sion­nelles. Il faut libé­rer dès main­te­nant l’en­fant de l’en­sei­gne­ment le plus dog­ma­tique. Cette lutte doit être consi­dé­rée par nous comme par­tie du tra­vail de sape de l’i­déo­lo­gie bour­geoise que doit accom­plir tout révolutionnaire.

C’est ici que nous sommes ame­nés a exa­mi­ner la thèse trop répan­due des idéo­logues réfor­mistes. Ne pou­vant rien conce­voir sans l’É­tat, leur concep­tion de la Laï­ci­té et de l’É­cole se confond sou­vent avec leur idée de l’É­tat laïque. C’est le M.R.P. Mau­rice Schu­mann qui défi­nis­sait cette « laïcité»-là qui ne sem­blait nul­le­ment le gêner :

« La laï­ci­té de l’É­tat signi­fie son indé­pen­dance vis-à-vis de toute auto­ri­té qui n’est pas recon­nue par l’en­semble de la Nation, afin de lui per­mettre d’être impar­tial vis-à-vis de cha­cun des membres de la Com­mu­nau­té nationale (…).»

Dès lors la laï­ci­té ne devient qu’une simple « neu­tra­li­té ». C’est au nom de cette neu­tra­li­té que le Comi­té Natio­nal d’Ac­tion Laque fai­sait pla­car­der des papillons por­tant la devise sui­vante : « À école publique, fonds publiques ― À école pri­vée, fonds pri­vés ». Il est d’ailleurs cou­rant dans le même ordre d’i­dée de citer la phrase de l’Ab­bé Lemire dépu­té à la Chambre « bleu horizon » :

« Les écoles publiques de nos com­munes sont ouvertes à tout le monde. Si on n’en veut pas, si on n’est pas content, on en construit une autre et on y reste libre, on ne demande pas de sub­ven­tion à l’État. »

Mais c’est alors admettre de nou­veau le fameux « droit des familles ». Nous avons dit qu’il était contraire à une véri­table laï­ci­té. Même s’ils ne demandent pas d’argent, nous ne pou­vons per­mettre que des gens s’ar­rogent le droit d’in­cul­quer leurs idées per­son­nelles et méta­phy­siques à des enfants. Même Jau­rès qui était pour­tant socia­liste éta­tique conce­vait la laï­ci­té comme un com­bat. Elle est pour nous par­tie du com­bat pour la libé­ra­tion de l’homme.

Sur le plan posi­tif, il faut consta­ter que les méthodes de l’É­cole Moderne qui ne sont rien autre chose que les méthodes de « La Ruche » ou de Frei­net com­mencent à faire leur che­min au sein de l’é­cole publique. De nom­breux ins­ti­tu­teurs les emploient en tota­li­té ou en par­tie. Ils se réunissent en congrès une fois par an. La coopé­ra­tive que Frei­net a créée à Cannes est flo­ris­sante. Ain­si se forment les esprits à la néces­si­té d’un véri­table ensei­gne­ment inique.

Pré­pa­rer la prise de conscience révo­lu­tion­naire des ensei­gnants : Si la socié­té com­mu­niste liber­taire donne les moyens de pro­duc­tion aux pro­duc­teurs eux-mêmes, nul doute qu’elle don­ne­ra l’é­cole aux ensei­gnants. C’est sur eux que repose tout l’es­poir de la laï­ci­té de demain. Déjà de nom­breux cama­rades ins­ti­tu­teurs la pra­tiquent dans leur classe autant qu’ils le peuvent…

I1 serait vain de dire com­ment serait orga­ni­sée l’é­cole après la Révo­lu­tion. Nous n’a­vons jamais été par­ti­sans de ces pro­jec­tions ima­gi­naires. Elle sera ce que ses tra­vailleurs la feront. Il y a pour­tant deux points sur les­quels il nous faut insister :
– Le syn­di­ca­lisme des ins­ti­tu­teurs en par­ti­cu­lier et des ensei­gnants en géné­ral est le seul a avoir gar­dé son Unité.
– Les ins­ti­tu­teurs sont sans doute les seuls tra­vailleurs à être capables de prendre l’é­cole en main DU JOUR AU LENDEMAIN, lors du fait révolutionnaire.

Le lec­teur pour­rait s’é­ton­ner que nous n’ayons pas fait d’al­lu­sion à Fran­cis­co Fer­rer. Nous n’a­vons, non plus, pas expo­sé en quoi consis­tait les méthodes de l’É­cole Moderne, ni la situa­tion du syn­di­ca­lisme ensei­gnant : Cha­cun de ces points méri­te­rait ― à lui seul ― une étude complète.

Guy

La Presse Anarchiste