[[Un hasard nous a fait retrouver cette lettre, dont nous ne pouvons situer la date. Inutile de dire que notre critérium est autre que celui de notre correspondant en ce sens qu’est immoral pour nous, tout ce qui est nuisible à l’expansion individuelle, cette nocivité restant déterminer par chacun sous réserve de ne point empiéter sur l’expansion de ses camarades ou de ses amis ― Red]]
Je lis dans la Dépêche du 21 mai votre article intitulé LE THEATRE FAISANDÉ. Cette diatribe me fit l’impression d’avoir été écrite, par un journaliste à court de copie, pour faire plaisir à nos Tartufes contemporains, que vous qualifiez « les honnêtes gens ».
Mon dieu, monsieur, permettez-moi de ne pas partager le même pessimisme sur les conséquences sociales où peuvent conduire les tendances actuelles des théâtres ; je dirais même que de la part d’un partisan de la repopulation, je ne comprends pas du tout vos anathèmes, contre cette forme excitante, stimulante, contre… comment dirais-je, cet élixir naturel de fécondité, de prolification.
Il y a là, il me semble, une contradiction chez vous.
Pour ma part, une tranche de vie des faubourgs, décrite avec art, c’est-à-dire, avec sincérité, vaut bien un opéra, où l’artifice fantasque est plus détraquant : question de goût, diriez-vous ; et si vous n’aimez pas ça, n’en dégoûtez pas les autres, comme dit la chanson.
Votre dégoût pour le théâtre actuel est partagé par tous ces braves gens qui croient détenir le monopole de l’honnêteté, en affichant un air offensé pour tout ce qui touche à l’acte de reproduction.
Ces cochonneries, comme vous l’écrivez, vous les accomplissez, comme tous ces honnêtes gens ; du reste, c’est parce que nos ancêtres les ont accomplies que l’espèce humaine subsiste encore. Et quoi ? vous attachez à l’acte de reproduction, un je ne sais quoi d’indécent, de sale, d’immoral, d’inconvenant, d’ordurier, d’obscène, etc., etc., je n’en finirais pas si je m’amusais (
Pourquoi considérer l’acte pourtant bien naturel de reproduction, comme indigne d’être représenté, alors qu’il tient dans la vie une place plus prépondérante que l’acte de conservation dont Rabelais nous a montré les excès dans Pantagruel et Gargantua ? La table et le lit, ou la conservation et la reproduction, ne devraient pas être plus indécents l’un que l’autre.
Les préjugés attachés à la reproduction, sans doute par la légende religieuse du péché originel, la font considérer comme une pornographie, par tous les soi-disant honnêtes gens.
Les gens sérieux et sains d’esprit ne peuvent que hausser les épaules devant cette façon méprisante de considérer l’amour.
Pour moi ce qui est immoral, c’est tout ce qui est susceptible de nuire à l’espèce.
Voyez comme le critérium de ma morale est simple.
Or, il est reconnu, par la science, que les produits de l’amour, sont bien supérieurs ; et cela se conçoit. Lorsque deux êtres se désirent ardemment, les fruits de leur reproduction en bénéficient. Alors, où est le mal ? Permettez-moi de vous le dire. Le mal réside dans les mœurs caduques que vous semblez avoir épousées, dans ces mœurs qui tendent à comprimer les sens, jusqu’à une abstinence qui les dénature (voir Darwin : Tout organe qui ne fonctionne pas, s’atrophie).
Cette morale, ce frein qui arrête, qui comprime les élans naturels et les verse, conséquemment, dans le vice, voilà ce que votre plume habile devrait combattre. Les sujets ne manquent pas à l’heure actuelle.
L’homme qui s’effémine, la femme qui se garçonnise, dans une recherche, soi-disant raffinée de l’esthétique, constituent un danger de dépravation, qui n’est pas l’œuvre des théâtres, mais plutôt la conséquence de l’ignorance dans laquelle on maintient les enfants. Leur petite intelligence essaie de comprendre et arrive à interpréter avec des lacunes. L’adolescence, poussée par les sens, s’exerce à des pratiques et contracte ainsi des vices, qu’elle conserve plus ou moins en vieillissant.
Pour terminer, Monsieur, il me reste à vous dire que toute morale qui s’insurge contre les lois naturelles est dangereuse, parce qu’elle amoindrit l’individu et conséquemment l’espèce, et que s’adapter aux lois naturelles, c’est l’unique moyen d’épanouissement.
Alceste