La Presse Anarchiste

Polymécanique : des résultats importants

L’action dans la métallurgie

Dans cette branche, l’im­plan­ta­tion syn­di­cale (essen­tiel­le­ment C.F.D.T. et C.G.T.) est impor­tante ; la com­ba­ti­vi­té des 2.500.000 métal­los, par­mi les­quels envi­ron 50 % d’ou­vriers spé­cia­li­sés, est impor­tante face à un patro­nat dur regrou­pé dans l’U.I.M.M. (Union des indus­tries métal­lur­giques et minières) actuel­le­ment diri­gée par M. Cey­rac. Der­niè­re­ment ont eu lieu des conflits pro­lon­gés. À chaque fois, le pou­voir patro­nal de droit divin a été remis direc­te­ment en cause : en matière d’or­ga­ni­sa­tion du tra­vail (Renault, voir Soli­da­ri­té Ouvrière n°2 et 3 – Ber­liet 15 conflits des ser­vices – Usi­nor Dun­kerque : plu­sieurs semaines de grève des 150 O.S.) et aus­si en matière de sys­tème de paie et de struc­tures de salaire comme à la Poly­mé­ca­nique Pan­tin. C’est cette grève — avec occu­pa­tion — qui a duré cinq semaines que nous allons décrire.

La grève à la Polymécanique

[|Démar­rage de la grève|]
L’u­sine Poly­mé­ca­nique de Pan­tin, du groupe Moto­bé­cane, emploie 1.166 sala­riés. Fin avril, le per­son­nel apprend que la prime de bilan tombe de 2,65 % des salaires à 0,1 %.

Le 30 avril est orga­ni­sée une consul­ta­tion du per­son­nel ; sur 700 votants, les posi­tions sont les suivantes :
– 52 % pour une grève à durée illimitée ;
– 28 % pour une grève à durée limitée ;
– 13 % pour d’autres formes d’action ;
– 7 % oppo­sés à toute action.

Le 3 mai, l’oc­cu­pa­tion de l’u­sine est déci­dée en assem­blée géné­rale ; un comi­té de grève est consti­tué, com­pre­nant des mili­tants des trois orga­ni­sa­tions syn­di­cales C.G.T., C.F.D.T., F.O. (ten­dance « Lutte ouvrière ») et aus­si des inorganisés.

[|Reven­di­ca­tions|]

L’ob­jec­tif final de réta­blis­se­ment de la prime de bilan s’est rapi­de­ment trans­for­mé en aug­men­ta­tion uni­forme des salaires, réduc­tion du temps du tra­vail, exten­sion des droits syn­di­caux, contre l’a­vis de la C.G.T. qui vou­lait, confir­mant ain­si la posi­tion confé­dé­rale sur les aug­men­ta­tions hié­rar­chi­sées, une aug­men­ta­tion en pourcentage.

[|Atti­tude des orga­ni­sa­tions syn­di­cales|]

Les der­nières élec­tions pro­fes­sion­nelles avant la grève avaient don­né les résul­tats sui­vants : C.G.T., 61 %; F.O., 30 % ; C.F.D.T., 9 %. Les sec­tions syn­di­cales C.F.D.T. et F.O., ain­si que de jeunes mili­tants C.G.T. ont pu déjouer les ten­ta­tives de la direc­tion de la C.G.T. en orga­ni­sant dès les pre­mières pro­po­si­tions patro­nales (insuf­fi­santes et entiè­re­ment hié­rar­chi­sées : 3 % à par­tir du 1er jan­vier 1971) une consul­ta­tion du per­son­nel y com­pris des non-gré­vistes. L’u­nion dépar­te­men­tale C.G.T. avait déci­dé uni­la­té­ra­le­ment que la soli­da­ri­té ne devait pas dépas­ser le cadre de Pan­tin. Par suite de l’ac­tion de l’U­nion pari­sienne des syn­di­cats de la métal­lur­gie C.F.D.T., et de la réac­tion de cer­tains mili­tants cégé­tistes, la C.G.T. revint sur sa déci­sion, et le 25 mai des col­lectes furent orga­ni­sées dans l’en­semble du dépar­te­ment. L’U.P.S.M. – C.F.D.T. enga­gea par la suite ses sec­tions de la région pari­sienne à orga­ni­ser des col­lectes appuyées par des affiches d’information.

[|Atti­tude de la direc­tion|]

Dès le départ, la direc­tion porte plainte pour entrave à la liber­té du tra­vail. Le tri­bu­nal des réfé­rés décide d’at­tendre les conclu­sions d’un huis­sier expert, que per­sonne n’a­per­çut jamais. Jugeant cette inti­mi­da­tion insuf­fi­sante, le direc­teur géné­ral, Conté, adresse indi­vi­duel­le­ment une lettre à la femme et une aux enfants de chaque gré­viste, les enga­geant à reprendre le tra­vail. En annexe, sont joints des com­men­taires hos­tiles aux reven­di­ca­tions, dont voi­ci les extraits les plus savoureux :

– Paie­ment des jours de grève : « … nous nous effor­ce­rons de récu­pé­rer dans les semaines à venir les heures per­dues du fait de la grève. » ;
_​– Retour à qua­rante heures de tra­vail sans perte de salaire : « … cette demande n’est pas jus­ti­fiée par les dif­fi­cul­tés d’emploi dans la région pari­sienne. C’est un vœu expri­mé dans le but d’as­su­rer un plus grand bien-être… » ;
_​– Avan­ce­ment de l’âge de la retraite : « … Là encore, ce ne sont pas des rai­sons de dif­fi­cul­té d’emploi qui motivent celte demande. Dans son ensemble, la France a besoin du tra­vail de ceux qui sont en état phy­sique de le faire… »

« Les reven­di­ca­tions actuel­le­ment posées ne peuvent être consi­dé­rées comme raisonnables. »

Autre­ment dit, notre « nou­velle socié­té » n’a pas à tenir compte des besoins de bien-être de cha­cun, elle doit nous user jus­qu’à la corde, après quoi elle nous res­ti­tue aux pompes funèbres (depuis 59 ans si on est manœuvre jus­qu’à 73 ans pour les pro­fes­sions libé­rales, moyenne de vie pour ces dif­fé­rentes caté­go­ries professionnelles).

Seule­ment 244 sala­riés ont répon­du ; 500 lettres sont remises au comi­té de grève.

[|Fin de la grève|]

Plu­sieurs réunions avec la direc­tion eurent lieu et la der­nière le ven­dre­di 4 juin à 11h30. Alors qu’il y avait pos­si­bi­li­té d’ob­te­nir une indem­ni­té plus forte en atten­dant le lun­di, la C.G.T. déci­dait uni­la­té­ra­le­ment de consul­ter le per­son­nel avi­sé par radio par la direc­tion : sa déci­sion était prise depuis la veille, le tract C.G.T. étant daté de 9 heures du matin, c’est le même sten­cil qui a ser­vi à la direc­tion et à la C.G.T. pour infor­mer le per­son­nel. Une majo­ri­té se dégage pour reprendre le travail.

Les résultats obtenus

Règle­ment des heures perdues

Indem­ni­tés pour heures per­dues, 200 F, paie­ment de quatre jours de salaires ;

Aucune sanc­tion.

Dans l’im­mé­diat

Aug­men­ta­tion uni­forme de 0,10 F de l’heure égale pour tous ;

« Prime de vie chère » uni­forme de 51,15 F ;

Rap­pel uni­forme de 260 F ;

Aug­men­ta­tion de 3 % avec mini­mum de 0,30 F de l’heure.

Pour l’a­ve­nir

À par­tir du 1er octobre 1971, la prime de vie chère, fonc­tion de la hausse des prix, qui était jus­qu’a­lors hié­rar­chi­sée, sera égale pour tous et cal­cu­lée sur le coef­fi­cient moyen 185 ; l’O.S. 2 a le coef­fi­cient 127.

Pro­ba­ble­ment pour la pre­mière fois en France, à par­tir du 1er jan­vier 1972, garan­tie d’aug­men­ta­tion du pou­voir d’a­chat non hié­rar­chi­sée, au moins égale à 2,65 % du salaire cor­res­pon­dant au coef­fi­cient moyen 185 (ce qui repré­sente envi­ron 5 % pour l’O.S.).

Cas d’un O.S.

Il obtient immé­dia­te­ment plus de 0,40 F de l’heure, 260 F de rap­pel, 200 F d’in­dem­ni­té, quatre jours de salaires (240 F), col­lectes, 200 F.

À cela s’a­joute, pour les adhé­rents C.F.D.T., la somme de 326,60 F de la caisse de résis­tance : la C.F.D.T. est la seule confé­dé­ra­tion pour laquelle une par­tie de la coti­sa­tion est uti­li­sée pour la soli­da­ri­té avec les adhé­rents gré­vistes ou lock-outés (14,20 F ou 17,20 F selon le taux choi­si), pour la prise en charge des mili­tants licen­ciés et pour les frais de pro­cès concer­nant le droit syndical.

Ain­si, en cinq semaines de grève, un O.S. C.F.D.T. aura per­du seule­ment envi­ron 100 F, rat­tra­pés dès fin juillet 1971.

Les tra­vailleurs appuyés par F.O., la C.F.D.T., de jeunes cégé­tistes ont gar­dé l’i­ni­tia­tive de la lutte : comi­té de grève, assemblées…

Comme chez Renault, la C.G.T. A ten­té de ter­mi­ner au plus vite la grève (ten­ta­tive pour limi­ter la soli­da­ri­té, essais de vote avec les non-gré­vistes). Il semble que la stra­té­gie élec­to­rale du P.C.F., en vue des légis­la­tives de 1973 pour appa­raître comme le par­ti de l’ordre, implique l’ab­sence de mou­ve­ments durs, la peur de débor­de­ments aven­tu­ristes et la crainte du déve­lop­pe­ment du fas­cisme jouent sans doute aus­si un rôle.

Cette atti­tude est de plus en plus cri­ti­quée (la C.G.T. recon­naît 400 cartes déchi­rées au Mans après la grève de Renault).

Comme chez Renault, la direc­tion a uti­li­sé le cour­rier à domi­cile chez les tra­vailleurs ain­si que l’ar­se­nal juri­dique du tri­bu­nal des réfé­rés. Ces deux élé­ments — réti­cences de la C.G.T., dure­té du patron — se retrou­ve­ront de plus en plus dans les conflits qui mettent direc­te­ment en cause le pou­voir patro­nal. Les armes uti­li­sées ont été l’u­ni­té d’ac­tion à la base, qui per­met d’en­traî­ner cer­tains mili­tants de la C.G.T., la soli­da­ri­té du maxi­mum de tra­vailleurs ; à ce sujet, on peut sou­hai­ter que les autres confé­dé­ra­tions uti­lisent une caisse de résis­tance comme la C.F.D.T. Elles ont été efficaces.

Les tra­vailleurs ne sont pas prêts d’a­ban­don­ner leur moro­si­té pour faire risette aux délices de la nou­velle socié­té cha­ba­no-pom­pi­do­lienne. Les métal­los ita­liens montrent la voie : uni­fi­ca­tion des trois fédé­ra­tions syn­di­cales de la métal­lur­gie C.G.I.L., C.I.S.L., U.I.L., en 1972 ; élec­tion de délé­gués de chaîne, d’a­te­lier… syn­di­qués ou non ; prise en charge de reven­di­ca­tions « poli­tiques » : loge­ment, fis­ca­li­té, répres­sion, cadre de vie…

Comme toutes les socié­tés, le capi­ta­lisme est mortel.

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