La Presse Anarchiste

Le théâtre

Deux carac­tères, deux phi­lo­so­phies de la vie se heurtent. Laquelle des deux l’emportera ? Nous savons bien aujourd’­hui que Robes­pierre l’emporta sur Dan­ton : vic­toire bien éphé­mère puisque quelques mois après Dan­ton, Robes­pierre mon­tait, à son tour, sur la guillotine.

Pierre Alde­bert nous convie à assis­ter au choc de ces deux phi­lo­so­phies en nous pré­sen­tant « Dan­ton », de Romain Rol­land, au Palais de Chaillot.

Dan­ton, bru­tal et exu­bé­rant, se fait l’a­po­lo­giste de la vie facile. Il s’at­taque, dans une forme extrê­me­ment riche, aux méfaits de l’in­tel­li­gence pure. Il dénonce l’i­déa­lisme intel­lec­tuel non basé sur la connais­sance d’«être une brute qui ne demande qu’à aimer les autres pour qu’on lui laisse une chose au soleil ». Il connait sa popu­la­ri­té et en joue ; il la met­tra dans la balance, dans sa lutte contre Robes­pierre. Mais il sait aus­si les mou­ve­ments et les pen­sées des foules. « L’o­pi­nion est une putain », dit-il.

Camille Des­mou­lins, plein d’en­thou­siasme et de pas­sion, le pousse à l’ac­tion et trop légè­re­ment, par la parole et ses articles de jour­naux, contri­bue­ra à le faire condamner.

Robes­pierre, vivant une exis­tence presque recluse, dans une petite chambre chez les Duplay, ne croit à la réa­li­sa­tion de la Révo­lu­tion que dans la mesure où cha­cun sau­ra se pri­ver et tendre tout son être vers la ver­tu. La vie ascé­tique lui semble être l’é­tat nor­mal de l’homme de gou­ver­ne­ment. Dans son renon­ce­ment, il est por­té à soup­çon­ner et à condam­ner tous ceux qui mènent une vie plus large. Ne volent-ils pas les biens de la nation en guerre ? Faut-il se défier même de ses amis ? Le déses­poir de Robes­pierre l’a­bat, mais pour quelques ins­tants seule­ment. Il se relève, il voit la véri­té ; il condam­ne­ra tous les enne­mis de la Révo­lu­tion, conscients ou incons­cients, même ses amis. Saint-Just l’aide et le sou­tient dans cette voie : « S’il fal­lait te détruire pour que vive la Révo­lu­tion, Robes­piérre, dit Saint-Just, je te détrui­rais sans pitié. »

Dan­ton, en prê­chant la clé­mence, a eu rai­son, car on ne fonde pas une socié­té viable sur les ven­geances : et trop sou­vent les haines per­son­nelles causent la mort des révo­lu­tions. Mais Robes­pierre, l’In­cor­rup­tible, est au-des­sus des haines : il est « le justicier ».

Alexandre Rignault, dans le rôle de Dan­ton, est impo­sant et « meu­blant » à sou­hait, mais il fan­fa­ronne un peu trop. Michel Bou­quet, dans celui de Robes­pierre, est le plus impres­sion­nant acteur de la troupe. Dans une dic­tion impec­cable, il parle sèche­ment avec, dans la voix, une ardeur conte­nue et tel­le­ment pre­nante qu’on ne peut plus s’i­ma­gi­ner un Robes­pierre autre que celui qu’il incarne ; Gas­ton Girard (Des­mou­lins) remue trop ; J.-C. Michel (Saint-Just) est trop mou.

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