Cet avenir peut être envisagé de multiples façons. Pour la clarté du sujet, fixons deux grandes divisions essentielles :
Ce que deviendra le cinéma — en soi ;
À quoi les hommes utiliseront le cinéma.
Voyons tout d’abord la première.
« Ce que deviendra le cinéma en soi. » C’est-à-dire la technique. Celle-ci se présente sous deux aspects :
a) Le cinéma que je dirai pur ; et ce qu’il faut espérer de ses succédanés : films parlants, films sonores, et, demain, cinéma en couleurs, cinéma en relief.
Nier les faits serait vain : l’envahissement du film parlant et sonore est indéniable. Son succès était en quelque sorte adapté à l’avance aux mœurs présentes qui s’engouent, et à juste raison, pour la T.S.F. et le phono.
Mais le film parlant et sonore est encore dans l’enfantement. Qu’il puisse, dans une certaine mesure et en suivant certaines orientations, devenir une manifestation digne d’attention et source d’émotions, je veux le croire. D’ores et déjà, il y aurait fort à exposer à ce sujet. Pour l’instant, j’entends m’en tenir à ces considérations :
Le cinéma est, et restera, ce qu’aujourd’hui on appelle le cinéma muet. Le cinéma parlant et sonore est autre chose. Opéra, théâtre, music-hall, sont autant de genres différents de spectacles. Idem, le cinéma muet et le cinéma sonore. Et de même qu’il y a diverses sortes de salles de spectacles, chacune consacrée à un genre de même il y aura, dans l’avenir, diverses sortes de salles de cinéma, les unes vouées au muet, les autres au parlant, d’autres encore à des genres que les découvertes et inventions peuvent nous apporter demain.
Ceci dit, il est entendu qu’ici, sauf spécifications formelles de ma part, je n’ai en vue que le seul cinéma muet.
b) les Scénarios.
À l’heure actuelle, la « star » tient trop de place dans les films, et cela au détriment du metteur en scène (et parfois du scénariste). Sur ce point, l’avenir du cinéma dépend en partie de l’éducation du public. Nous y reviendrons si, quelque jour, je vous entretiens de la « mission du Ciné-Club ».
Le film d’aujourd’hui prétend offrir la Vie. Combien conventionnelle, cette Vie qu’il présente ! Le film de demain ne devra pas rester dans cette équivoque : où il représentera la vie, réelle, réaliste, — ou il représentera carrément le Rêve, la Poésie.
Par rêve ou poésie, je n’entends pas des poèmes filmés : nous en avons déjà eu ; je n’entends pas davantage des « histoires romanesques » : nous en avons aussi, et combien ! et quelles ! Par rêve, poésie, je veux dire, ou des « fantasmagories » (Le Château de Dés, de Man Ray, Entr’acte et le Voyage Imaginaire de René Clair, — ces trois titres feront mieux comprendre que d’amples explications), — ou bien des essais purement visuels, comme Étude de Richter, ou les essais de Man Ray, déjà nommé. Je suis persuadé que, dans cette voie, le cinéma a un avenir certain. Et je suis non moins persuadé qu’il s’y engagera.
Voulant traduire la Vie, le film de demain nous donnera des drames et comédies émouvantes. Ici, c’est à Charles Chaplin et à l’ancienne école suédoise qu’il faut se référer : quel complexe dans la simplicité !
Ce film de demain pourra aussi, traduisant la vie, nous montrer les Hommes dans leurs labeurs, leurs peines, leurs menus soucis, — nous apporter d’excellents documentaires. Ceux-ci se conçoivent de deux manières :
Être Poésie, — par la révélation de pays et de mœurs, révélation ayant la seule ambition de nous apporter du nouveau et de faire vibrer en nous certaines cordes émotives ; ils peuvent aussi être utilitaires : en nous révélant des laideurs, des iniquités dont la vision ne peut que nous inculquer le vif désir de les abolir. Par là, nous abordons et le cinéma-propagande et les documentaires utilitaires.
Avant de nous y arrêter, disons deux mots du cinéma art international, art universel.
Aujourd’hui, on appelle film « international », celui où jouent des vedettes dites (je me demande pourquoi) internationales, et dont le scénario rappelle l’inévitable thème des pièces du théâtre boulevardier : lui, elle, l’autre, le jeune premier, la jeune amoureuse, le traître. Ça, c’est, paraît-il, un scénario international, universel. Car il traite (?) de sentiments universels, accessibles à tous, compréhensibles de chacun. Les scènes se déroulent, par surcroît, dans une grande ville, nommément citée, mais pourtant anonyme, car toutes les grandes villes sont identiques au cinéma, — foules, autobus, music-hall ; ou dans une campagne tout aussi anonyme. Et voilà le film international. C’est-à-dire le film qui standardise la Vie.
Standard qui est une grossière erreur.
Lorsqu’il s’agit des langues, barrières entre les hommes, on peut admettre quelque espéranto qui tend vers une certaine uniformité des langages. Thèse soutenable. Je ne crois pas à son avenir ; j’opine plutôt pour un inévitable mélange des langues. Mais, encore une fois, thèse soutenable.
Mais qui ne l’est plus en ce qui concerne le cinéma, — le cinéma auquel on voudrait faire jouer le même rôle sur un autre plan.
L’être humain, quel qu’il soit, placé dans une situation déterminée, réagira d’une manière prévisible. À priori, un scénario qui traitera l’un quelconque des grands sentiments et problèmes humains sera donc compréhensible de tous. Chercher à faire « uniforme », « international » est besogne superflue ; elle ne peut qu’avoir l’inconvénient de faire « terne » et « morne ». Ce qui arrive 9 fois sur 10 : examinez plutôt les films « commerciaux»…
Si même on veut soutenir (ce qui n’est pas sans logique) que la mimique n’est pas universelle, il n’empêche que chacun interprète celle des acteurs avec son propre tempérament. Et chacun vibre. Et chacun est intéressé.
La grande préoccupation des « producers » : tenir compte des psychologies « nationales » n’est donc aucunement fondée. Combien de Français sont allés aux États-Unis ? Et cependant, le public français goûte les films américains (je ne recherche pas ici s’il a tort ou raison). Pareillement, il aime les films allemands. Si, par contre, les films français ne connaissent pas le même succès à l’étranger, peut-être cela vient-il d’une certaine paresse de nos scénaristes, acteurs et metteurs en scène, laquelle les fait s’en tenir toujours au même poncif et au même conventionnel : absence d’esprit créateur.
Le cinéma est-il art universel ?
Répondons par un paradoxe.
Il le sera d’autant plus que le film s’efforcera de transcrire fidèlement la psychologie exacte des êtres qu’il entend mettre en scène.
Premier stade : connaissance des mœurs, car l’homme est curieux. Au second stade : mélange des mœurs, car l’homme reste singe et imite ce qu’il voit si ce qu’il voit le frappe. Le cinéma conduit donc automatiquement à un certain mélange des mœurs. Babélisme.
Voilà quelques premières perspectives sur un avenir du cinéma, avenir souhaitable et possible. Comme dit l’autre : la suite au prochain numéro…
Léo Claude.