La Presse Anarchiste

À travers les périodiques

Sui­vant les époques, la Presse bour­geoise a ses sujets favo­ris : actuel­le­ment l’en­lè­ve­ment Kou­tie­poff, la Confé­rence de Londres, les crises minis­té­rielles. Chez les anar­chistes, il en est de même : le mois écou­lé, le vent souf­fla à l’ob­jec­tion de conscience.

Le Réfrac­taire mène la danse ; il a réus­si à lan­cer un numé­ro spé­cial dans lequel il repro­duit de nom­breuses opi­nions de sym­pa­thi­sants à l’ob­jec­tion de conscience et spé­cia­le­ment à l’ob­jec­teur Guillot ; il expose suc­ces­si­ve­ment les cas Bau­chet, Pru­gnat, Ber­na­mont, Guillot, Per­rin-Odéon, sans oublier les cama­rades Mey­naud et Benard, actuel­le­ment au bagne pour pacifisme.

Le Semeur fait une large place aux débats des pro­cès Guillot et Odéon.

Dans son numé­ro du 6 février, il avait repro­duit le tract de Ste­phen Mac Say, Les Héri­tiers du Christ et la Guerre, où l’au­teur nous montre de près les liens étroits unis­sant catho­liques et fau­teurs de guerre :

Viennent les guerres, fomen­tées par les maîtres et les bras­seurs d’argent, déclen­chées par les appé­tits rivaux, ser­vies par la dis­corde des humbles. Et les chré­tiens — armes bénies, par­tout, par le cler­gé ! — bon­dissent aux armées (ils se glo­ri­fie­ront, demain, hor­reur, d’a­voir eu des prêtres com­bat­tants!). Exci­tés par leurs chefs (« Dieu est avec nous ! Gott mit ùns ! », car le Dieu unique est tout entier avec cha­cun des bel­li­gé­rants!), ils exter­minent non seule­ment les héré­tiques, les pro­tes­tants, les maçons (cela, Dieu sans doute le per­met?) mais les fils des catho­liques voi­sins qui, chaque jour, devant l’au­tel du Dieu com­mun, prient dans les mêmes églises. La Patrie avant l’Hu­ma­ni­té, les inté­rêts avant la foi, la bataille entre croyants, le fra­tri­cide chrétien !

Les chefs de l’É­glise — et par­ti­cu­liè­re­ment le Pape — sont joli­ment bien dénoncés :

Loin des champs rouges où tombent ses fidèles, le Pape lance aux chefs d’É­tat, dont l’É­glise est com­plice, quelques pro­cla­ma­tions de forme qu’il sait sans effet, et dont on sou­rit dans les chan­cel­le­ries. Manœu­vrant des pions d’in­fluence sur l’é­chi­quier de la poli­tique, la cama­rilla car­di­na­lice pousse à la vic­toire des Cen­traux, caresse la joie d’une leçon sévère à la France mécréante. Puis, le suc­cès évo­luant, elle se réadapte, l’heure venue, au triomphe inat­ten­du de l’En­tente. Muré dans son Vati­can, à l’a­bri du dan­ger comme tous les gou­ver­nants et les États-Majors, le pre­mier vicaire du Christ, qu’on eût aimé ren­con­trer, mains hautes, à tra­vers les haines déchaî­nées, cal­cule mes­qui­ne­ment les chances de ses atouts temporels.

Le même organe nous rap­porte un article paru dans le Pro­grès de Lyon du 10 janvier :

« Des habi­tants d’une vil­la située à quelques kilo­mètres de la ville (Mont­pel­lier) étaient réveillés la nuit par un bruit venant du jar­din. Ils y des­cen­dirent après s’être vêtus rapi­de­ment. Là, ils se trou­vèrent en face d’un mal­fai­teur qui les mena­ça. Mal­heu­reu­se­ment pour lui, l’in­di­vi­du fut maî­tri­sé et désha­billé. Pour lui faire pas­ser le goût des visites inop­por­tunes, les habi­tants l’at­ta­chèrent alors, entiè­re­ment nu, à un arbre du jardin.

« L’homme y pas­sa la nuit. Au matin, il était à demi mort de froid…»

Nous son­geons alors à cer­tains com­mis de maga­sin d’a­vant-guerre allant s’ins­tal­ler sur l’herbe en bouf­fant du sau­cis­son et en pelo­tant de ver­tueuses midi­nettes, dans l’at­tente qu’un spec­tacle pal­pi­tant leur serait four­ni par le duel entre « Ban­dits tra­giques » et Socié­té ; nous son­geons éga­le­ment aux concierges et com­mer­çants paten­tés qui se firent les auxi­liaires béné­voles de la police en contri­buant à cap­tu­rer des réfrac­taires éco­no­miques dans une affaire récente, aux alen­tours de la place de la République !

Dans le Liber­taire, en ter­mi­nant son étude sur Mus­so­li­ni, Anas­tyg­mat déclare :

Mus­so­li­ni lit beau­coup, nous dit un de ses bio­graphes. Quels sont ses auteurs favo­ris ? Machia­vel, Nietzsche, Stir­ner, Georges Sorel. Il trempe son mépris des hommes dans la lec­ture des grands pes­si­mistes. Les niai­se­ries sen­ti­men­tales ne sont point pour lui.

Au fond, il n’a jamais été un socia­liste, mais un anar­chiste individualiste.

Stir­ner, bien com­pris, fait que l’on devient quelque jour Mus­so­li­ni ou Jules Bon­not. Du reste, dans l’un comme dans l’autre cas, on est un homme d’une sin­gu­lière envergure…

Cette assi­mi­la­tion de Mus­so­li­ni à un anar­chiste indi­vi­dua­liste nous paraît assez osée ; cela pour­rait don­ner lieu à de longues dis­cus­sions. Conten­tons-nous de prendre note que, même ayant lu Stir­ner, Anas­tyg­mat ne devien­dra jamais ni un Mus­so­li­ni ni un Bonnot…

Des que­relles inté­rieures qui ne nous pas­sionnent pas ; ques­tions de votes, de mino­ri­tés et de majo­ri­tés qui font peut-être sou­rire cer­tains cama­rades sceptiques.

Ghis­lain prend car­ré­ment la défense du « néo-anar­chisme » pour répondre aux ques­tions posées par Sébas­tien Faure dans la Voix liber­taire, par des argu­ments que nous ne pou­vons énu­mé­rer tout au long mais que ne rejet­te­raient pas tou­jours les bolchevistes.

Ce néo-anar­chisme peut conduire loin et nous ne serions pas autre­ment sur­pris de voir un jour Ghis­lain — que nous vou­lons croire d’ailleurs très sin­cère — pas­ser, tou­jours sin­cè­re­ment, dans un par­ti poli­tique où son acti­vi­té débor­dante trou­ve­rait plus faci­le­ment à s’employer que dans les milieux anar­chistes où l’on dis­cute sou­vent plus qu’on ne réa­lise… et où les élé­ments sont au plus haut point sou­cieux de leur liber­té indi­vi­duelle, de leur autonomie.

Dans un bel article concer­nant la « Défense de la Révo­lu­tion », Bou­cher nous révèle des qua­li­tés de grand guer­rier et de par­fait organisateur :

Il fau­dra envi­sa­ger la bataille ran­gée, compte tenu de la tech­nique moderne.

Cette armée que les révo­lu­tion­naires lève­ront (que viens-je de pro­non­cer là), par­lons anar­chiste que diable, cette milice, ce grou­pe­ment d’au­to­dé­fense, cette asso­cia­tion d’ou­vriers, cette union de tra­vailleurs forte de plu­sieurs cen­taines de mil­liers de membres, va-t-elle s’en aller par les routes sans guide, sans ravi­taille­ment, tant en vivres qu’en muni­tions. Aucun esprit sérieux n’o­se­rait le sou­te­nir. Tous ceux qui ont vécu la guerre de 1914 – 1918 savent à quelles dif­fi­cul­tés se heurte le ravi­taille­ment d’une armée en campagne.

Donc, il fau­dra s’or­ga­ni­ser et qui dit orga­ni­sa­tion, sup­pose direc­tion, n’en déplaise à cer­tains anar­chistes pour qui ce mot paraît trop auto­ri­taire et qui le rem­pla­ce­ront par… comi­té d’initiative.

Nous pour­rons vrai­sem­bla­ble­ment comp­ter sur lui pour défendre la révo­lu­tion menacée :

Notre conclu­sion la voi­ci : c’est qu’il n’y a pas de milieu ; ou bien la révo­lu­tion ne sera pas atta­quée, et en ce cas, n’en par­lons plus, ou bien elle sera atta­quée, et elle devra se défendre avec méthode et orga­ni­sa­tion. Et si cette der­nière éven­tua­li­té se pro­duit, nous n’hé­si­tons pas à décla­rer que nous sommes pour la créa­tion d’une armée (tant pis pour le mot) basée sur le volontariat.

Quant à la consti­tu­tion de cette armée, son fonc­tion­ne­ment, son rôle, etc., on nous per­met­tra bien quelque répit afin de ne pas allon­ger déme­su­ré­ment cet article.

Évi­dem­ment, il est pré­fé­rable de bien réflé­chir avant de pro­cé­der aux nomi­na­tions des membres de l’É­tat-Major ! Mais, cama­rades, ne bla­guons pas trop l’ar­mée rouge!…

Notons de très inté­res­sants articles de Lashortes sur l’É­cole. l’É­du­ca­tion. « Mon­sieur le Curé à la laïque », « Albert Thier­ry », etc., des papiers sur les « Méfaits aux Colo­nies » par Carine et une bonne étude sur l’Ar­mée du Salut où Ghis­lain dévoile les dan­gers que pré­sente cette association :

…Ce que vous connais­sez moins, c’est la noci­vi­té des agis­se­ments d’une telle asso­cia­tion et l’aide qu’elle apporte aux gou­ver­nants en endor­mant — de concert d’ailleurs avec les autres reli­gions — les révoltes de ceux qui sont jour­nel­le­ment acca­blés par l’op­pres­sion capitaliste.

Nous ne pou­vons qu’ap­prou­ver le Liber­taire pro­tes­tant contre l’in­ter­ne­ment, dans un asile d’a­lié­nés, d’In­ge­laère ; pour se débar­ras­ser d’un cama­rade, la loi de 1838 est encore pra­tique… et pratiquée.

Enfin, n’ou­blions pas que l’af­faire Kou­tie­poff per­met à Mual­dés d’exer­cer sa verve contre les com­mu­nistes, ses enne­mis irréconciliables.

À la Voix liber­taire, Sébas­tien Faure signe tou­jours l’ar­ticle de tête avec sa com­pé­tence habi­tuelle, que ce soit pour trai­ter de « néo-socia­lisme », de « néo-anar­chisme » ou pour nous rap­pe­ler Matha. qui vient de partir.

Dans ses « Notes d’un Acrate », A. Lapeyre nous apporte de bonnes sug­ges­tions — dont. quelques-unes pour­raient être exa­mi­nées de plus près — en ce qui concerne l’é­di­tion des oeuvres anar­chistes, à l’aide d’une entente pos­sible (mais peut-être dif­fi­cile à réa­li­ser) entre nos diverses publications.

Signa­lons éga­le­ment les arti­cu­lets de Bar­be­dette : « Pour faire réflé­chir », les « Lettres d’Es­pagne » du Rôdeur, « la Démence fas­ciste » de Chris­tian Liber­ta­rios, des études sur le mou­ve­ment coopé­ra­tif de Jacques Din­zin, sans omettre une chro­nique régio­nale assez fournie.

À l’En Dehors, Ben­ja­min de Cas­sères, en un très bon article sur « la Res­pec­ta­bi­li­té », nous parle des mau­vaises et pro­fondes racines que la morale laisse en nous.

La res­pec­ta­bi­li­té est par­mi les plus hypo­crites vertus :

Qu’on réca­pi­tule toute l’his­toire : la Res­pec­ta­bi­li­té n’a jamais don­né au monde une action cou­ra­geuse, une pen­sée robuste, une belle idée. La nour­ri­ture et le sexe sont les axes sur les­quels elle pivote ; pour elle la vie n’a de signi­fi­ca­tion qu’au des­sous du nombril.

A. Bailly, après nous avoir par­lé d’«Henry Tho­reau, le bache­lier de la nature », et s’être appuyé sur des textes judi­cieu­se­ment choi­sis, ter­mine ainsi :

Qu’im­porte la durée du « pas­sage » si l’homme sut ne point se lais­ser aller à l’abandon.

Tho­reau a bien été l’«Unique » qui se char­gea de sucer la moelle de la vie jus­qu’à son extrême limite : Arti­san de la meilleure œuvre, il a don­né à son « moi » la satis­fac­tion pleine et entière : sans criaille­ries et sans tapage, il jeta un défi à la mes­quine inten­tion qui émane de la peur de se renou­ve­ler et se sur­pas­ser toujours.

Grande et noble figure que celle de ce vaga­bond qui, jus­qu’à la der­nière minute, ne vou­lut point battre en retraite devant les exi­gences des puis­sants efforts qui livrent aux vrais élus la plus dio­ny­siaque des… joies de vivre.

Dans « Les pos­si­bi­li­tés de la langue mon­diale », Lis­mar nous expose des idées assez per­son­nelles. D’a­près lui :

Ces langues existent et fonc­tionnent. L’homme de la rue a donc rai­son contre le théo­ri­cien. La langue future sera un sabir. Il suf­fit de voir celle qui est par­lée, par exemple, dans le bas­sin houiller du Nord et du Pas-de-Calais où les immi­grants parlent des mélanges, soit de polo­nais, de fran­çais et d’al­le­mand, soit d’i­ta­lien et de fran­çais, soit d’es­pa­gnol et de fran­çais. Ces immi­grants parlent d’au­tant plus faci­le­ment une langue mélan­gée que, par suite de manque d’ins­truc­tion, il n’existe guère pour eux que l’u­sage parlé.

Enfin, le yid­dish. par­lé par les israé­lites rus­so-polo­no-rou­mains, n’est-il pas un sabir, puis­qu’il est un mélange de bas alle­mand, de slave et d’hébreu ?

Dans sa « Réponse à Han Ryner », à pro­pos de Songes per­dus, Ixi­grec, très sou­vent dif­fi­cile à com­prendre pour nous autres, Fran­çais moyens, se montre plus clair, peut-être à cause de son empié­te­ment dans les mathé­ma­tiques où le conduisent asymp­tote et myria­gone, « exemples heu­reux » choi­sis par Han Ryner pour sou­te­nir sa réfutation.

E. Armand, en modi­fiant les sta­tuts de ses contrats, « serre la vis » aux com­pa­gnons de l’En Dehors, mais c’est affaire inté­rieure où nous n’a­vons point à nous immiscer.

A. Laforge conti­nue sur les Dou­kho­bors une étude très docu­men­tée et Ixi­grec nous en pro­met une sur « Le Naturalisme ».

« Per­sonne ne peut croire en Dieu », par Albert Lecomte, qui exa­mi­ne­ra sous peu — sujet digne d’in­té­rêt — « Com­ment il se fait que des hommes doués d’in­tel­li­gence, voire de génie, ont pu dire qu’ils croyaient en Dieu », « Pour­quoi faire de la sexo­lo­gie », par M. Acha­rya, « Le mal­en­ten­du sexuel », par Clé­men­tine Sau­ti­quet et E. Armand et divers autres articles com­plètent heu­reu­se­ment ce numé­ro et per­mettent à l’En Dehors de conser­ver sa bonne tenue habituelle.

Signa­lons la nais­sance d’une nou­velle revue, pri­mi­ti­ve­ment bi-men­suelle et main­te­nant men­suelle : La Joie Musi­cale.

Bien pré­sen­tée et bien tenue, cette revue consa­crée à la musique, au pho­no et à la radio, peut com­bler une lacune.

Nous la ver­rons à l’œuvre.

Dans son numé­ro du 1er mars, l’heb­do­ma­daire l’X insère ce qui suit :

Dans notre numé­ro du jan­vier, notre col­la­bo­ra­teur S. Bon­ma­riage pré­sente Bon­not, des Ban­dits tra­giques. comme un indi­ca­teur de la « Sûre­té Géné­rale ». On nous fait remar­quer que la vie et la mort de Bon­not sont suf­fi­santes, pour démen­tir une asser­tion qui montre que la bonne foi de notre col­la­bo­ra­teur fut cer­tai­ne­ment surprise.

Cette rec­ti­fi­ca­tion est très natu­relle, ce n’est que jus­tice, mais pour­quoi la faire suivre du com­men­taire « C’est une opi­nion…». Nous n’a­vons jamais obli­gé M. Syl­vain Bon­ma­riage à par­ta­ger les opi­nions de ceux qui demandent à ce qu’on ne salisse pas des cama­rades inca­pables de se défendre eux-mêmes.

À pro­pos de M. Syl­vain Bon­ma­riage, le Liber­taire du 14/​12/​29 et les Humbles de jan­vier 1930 n’ont pas l’air, pour d’autres motifs, d’être très satis­faits de lui !

« C’est une opi­nion!…» pour­rait-on dire.

Joseph Durand

La Presse Anarchiste