La Presse Anarchiste

Poissy et son quartier disciplinaire

De la lit­té­ra­ture ? Non.

Des faits rap­por­tés sobre­ment et des faits mal­heu­reu­se­ment trop exacts ! L’au­teur, en cas de contes­ta­tion, n’hé­si­te­rait d’ailleurs pas s’il était néces­saire à appor­ter d’autres preuves à l’ap­pui pour cer­ti­fier la véra­ci­té de ce qui est expo­sé dans son article. — (N. D. L. R.).

Quand je suis arri­vé au quar­tier dis­ci­pli­naire, au mois d’août, il y avait un déte­nu nom­mé Cal­vo, aujourd’­hui à la mai­son des fous de Cler­mont (Oise). Maigre et sans forces, il cher­chait tou­jours à se jeter sur les gar­diens. Aus­si lui avait-on mis les fers aux pieds et chaque jour le réga­lait-on de coups, dans le sombre cachot nº 24 où il crou­pis­sait depuis je ne sais quand, sans eau pour se laver et au régime le plus aggra­vé par la malice de ses bour­reaux, qui le jetaient à terre d’un coup de pied bien lan­cé aux organes géni­taux, puis s’a­ge­nouillaient sur lui et le frap­paient à coups de clés sur le crâne. Je voyais res­sor­tir du cachot le pré­vôt avec son pan­ta­lon blanc tout ensanglanté.

Le déte­nu Michel (matri­cule 9992), fut pris de crise de folie, un mois avant sa libé­ra­tion. Pen­dant le paroxysme de sa démence, il criait et tapait à sa porte, sans d’ailleurs se livrer jamais à des vio­lences ni à des injures. Mais on le cami­so­lait, on le bat­tait et on le pri­vait de bois­son, après avoir salé sa soupe, parce qu’il « fai­sait trop de bruit ».

Une nuit, le pré­vôt l’a « cor­ri­gé » si féro­ce­ment, à l’aide d’un san­dow agré­men­té de trois noeuds, que le caou­tchouc s’est rom­pu ; et comme le len­de­main, le sur­veillant Begey s’é­ton­nait des tumé­fac­tions dont le dos de Michel était cou­vert, le pré­vôt expli­qua en rica­nant : « C’est parce qu’il a dû se frot­ter le long du mur. » Il a d’ailleurs rem­pla­cé son san­dow par une matraque de caou­tchouc qu’il garde dans sa cel­lule et dont il use­ra quand il croi­ra pou­voir le faire.
Quand je suis par­ti, j’ai lais­sé dans une cel­lule un nom­mé Lelait, qu’une balle logée dans la tète a ren­du fou à peu près, bien que l’Ad­mi­nis­tra­tion pré­tende le contraire. Pour voir s’il était un simu­la­teur, on lui a mis la cami­sole et on l’a frap­pé. Comme il conti­nuait de dérai­son­ner, l’o­pi­nion est qu’il pour­rait bien être fou, car « les fous ne sentent pas la dou­leur », et c’est le cri­té­rium de la démence au quar­tier disciplinaire.

Mar­di 7 novembre 1928.

Ster­cke­mann (nº 197) est expul­sé de la salle nº 4 pour « bavar­dage », et il est vio­lem­ment. frap­pé par le sur­veillant Lagne­rot et le pré­vôt. (Pas de rapport.)

Jeu­di 8, 3 heures.

Schel­bert (matri­cule 9679) est expul­sé de la salle par le bri­ga­dier Beau­so­leil, pour « avoir haus­sé les épaules » en sa pré­sence. Traî­né au quar­tier, il est giflé et frap­pé à coups de poing sur la figure par le bri­ga­dier, puis enfin copieu­se­ment assom­mé par Lagne­rot et le pré­vôt. (Pas de rapport.)

Ven­dre­di 9.

Bou­leau (matri­cule 367), étant en pré­ven­tion dans la cel­lule no30 (rez-de-chaus­sée), ne s’é­tant pas mis assez vite au « garde-à-vous » dans le fond de sa cel­lule, lors de l’ou­ver­ture de son gui­chet, a été pen­dant plu­sieurs minutes frap­pé et pié­ti­né par le pré­vôt et les sur­veillants Baxas et Lagne­rot, et reste le visage en sang, à moi­tié éva­noui. Le fait est rap­por­té au sous-direc­teur, en pré­tex­tant que le déte­nu s’é­tait, jeté sur le pré­vôt ; le sous-direc­teur, sans plus ample infor­mé, pro­met à la vic­time de « l’en­voyer au cimetière ».

Tous les jours, le déte­nu Ter­ki, mis à l’i­so­le­ment au quar­tier dis­ci­pli­naire parce qu’il était trop mal­propre pour être gar­dé à l’in­fir­me­rie où son état d’af­fai­blis­se­ment l’a­vait fait entrer, est odieu­se­ment traité.

Il peut à peine se tenir debout et son état de mai­greur est effrayant. Il a rare­ment une conscience nette de ce qu’il fait.

Il a été, lors de son arri­vée, cami­so­lé, puis frap­pé au visage par le bri­ga­dier Beau­so­leil, parce qu’il tapait contre sa porte. Enfer­mé dans une cour, il a défé­qué dans l’al­lée (il n’y avait pas de cabi­nets). En pré­sence du sur­veillant Lai­gne­rot, le pré­vôt a rem­pli la bouche de Ter­ki avec ses excré­ments et, pour le for­cer à les ava­ler, lui a tenu la tête ren­ver­sée sous le robi­net, en lui pin­çant le. nez.

Chaque fois qu’il crache à terre, le pré­vôt lui empoigne la tête par les oreilles et le « sonne » à l’en­droit où il a cra­ché. Après l’a­voir frap­pé, il lui a si bien son­né la tête qu’il lui a fen­du pro­fon­dé­ment l’ar­cade sour­ci­lière droit (on en trou­ve­rait faci­le­ment la marque sur son crâne). N’o­sant pas l’en­voyer à l’in­fir­me­rie, c’est le pré­vôt qui lui a fait un pan­se­ment avec des linges sales.

Les bri­ga­diers Tho­reu et Beau­so­leil ont igno­ré ce « détail », mais ils ont beau­coup approu­vé le fait de lui avoir fait ingur­gi­ter ses excréments.

Le mal­heu­reux Ter­ki a fini heu­reu­se­ment de souf­frir dans les pre­miers jours de décembre : un matin gla­cial, il était éten­du, com­plè­te­ment nu, sur le pavé d’une cour, sous le jet du robi­net. Le pré­vôt, qui le frot­tait avec un lave-pont en chien­dent, s’a­per­çut que ses jambes étaient extra­or­di­nai­re­ment enflées. Le sur­veillant, inquiet, se déci­da à l’ex­pé­dier à l’in­fir­me­rie, où il ache­va d’a­go­ni­ser quelques jours après.

Ven­dre­di 30 novembre.

Bar­din, sur­veillant de quar­tier, est rem­pla­cé par le sur­veillant Calmette.

Le sur­veillant Héro fait sor­tir de la salle de dis­ci­pline le déte­nu Sou­las (matri­cule 310), parce qu’il ne mar­chait pas au pas et cou­rait pour suivre les autres (il était bles­sé au pied).

Ayant télé­pho­né sans obte­nir de réponse, le sur­veillant Cal­mette, pres­sé par le pré­vôt, a lais­sé cami­so­ler Sou­las, dont on enten­dait les hur­le­ments dans toute la déten­tion, ce qui a néces­si­té la fer­me­ture des fenêtres pour que ses cris ne s’en­tendent pas à l’ex­té­rieur de la pri­son. (Pas de rapport.)

Dimanche 2 décembre.

Le pré­vôt, étant ivre et pro­cé­dant à la fer­me­ture des cel­lules, « assomme » sans ordre le déte­nu Tamen, parce que sa cel­lule ne « brillait pas assez », et il ne s’est arrê­té de frap­per que sur les ordres presque mena­çants du sur­veillant Moreau.

Mer­cre­di 5 décembre.

Vers 10h. 30, le pré­ve­nu Le Dorze, ayant refu­sé de tra­vailler, est ame­né en pré­ven­tion par le bri­ga­dier Tho­ren, qui ordonne au pré­vôt de le « soi­gner. il est aus­si­tôt roué de coups en pré­sence du bri­ga­dier et des sur­veillants Lai­gne­rot et Cardon.

Le déte­nu Miche­line (matri­cule 305), ayant cau­sé à la salle de dis­ci­pline, en est expul­sé par le sur­veillant Héro. Sans ordre et sans la pré­sence du bri­ga­dier, il est aus­si­tôt cami­so­lé par le sur­veillant Bar­din. (Pas de rapport.)

Orange (matri­cule 404), expul­sé de la salle pour avoir appe­lé « encu­lé » l’en­traî­neur, est pré­ci­pi­té au cachot 24, où le sur­veillant Lai­gne­rot et le pré­vôt le frappent avec tant de vio­lence qu’il est bles­sé à la jambe et que quelques jours après le sous-direc­teur est obli­gé de rap­pe­ler à la pru­dence les deux exé­cu­teurs. (Pas de rapport.)

Dimanche 30 décembre.

Négli­gé de noter les cor­rec­tions jour­nel­le­ment infli­gées à un, deux et trois détenus.

Voi­ci deux ou trois jours, le sur­veillant Tha­voillot, rece­vant au quar­tier dis­ci­pli­naire les vic­times du pré­toire, a giflé à toute volée et frap­pé à coups de pieds et de poings le déte­nu Tom­bek. (matri­cule 108), dont la tenue était cor­recte, mais sous le pré­texte que, quinze jours plus tôt, « il avait eu l’air de le nar­guer pen­dant une corvée ».

Aujourd’­hui, vers 10 heures, le déte­nu Tubeuf, fai­sant trente jours de cel­lule, ayant été oublié pour la séance de douches, a récla­mé. Refus inso­lent d’é­cou­ter sa récla­ma­tion. Tubeuf, qui est un peu dés­équi­li­bré, s’est mis à par­ler à haute voix dans sa cel­lule, disant qu’il se plaindrait.

Aus­si­tôt, le sur­veillant Lai­gne­rot et le pré­vôt, entrant dans sa cel­lule, le frappent vio­lem­ment ; puis, l’empoignant par un pied, le pré­vôt le traîne à tra­vers la gale­rie de la cel­lule 10 au cachot 24. Là, après l’a­voir encore frap­pé à coups de poing dans le dos et le creux de l’es­to­mac, ils le relèvent en l’empoignant par le nez.

Le mal­heu­reux est alors cami­so­lé et san­glé avec rage, puis, étant ain­si immo­bi­li­sé, reçoit les coups du sur­veillant et du pré­vôt, bleus de colère. Ce der­nier le frappe à coups de poing sur les lèvres et les oreilles. Enfin, on l’en­ferme et on le laisse hur­ler pen­dant trois quarts d’heure.

Bien que le télé­phone fonc­tion­nât, tout ceci a été fait sans que le sur­veillant ait jugé utile d’en réfé­rer au bri­ga­dier de ser­vice. Il s’est. conten­té de prier le sur­veillant Hau­det d’a­ver­tir le bri­ga­dier Miche­lon, lequel est venu, une demi-heure plus tard, don­ner son appro­ba­tion. Bien enten­du, pas de rapport.

D’ailleurs, on frappe odieu­se­ment les pré­ve­nus pour des motifs futiles tels que : chan­ter dans sa cel­lule, ne pas se décou­vrir devant le pré­vôt, par­ler à un cama­rade, etc., etc.


1929. — Mois de janvier.

Le déte­nu Cozic a été cami­so­lé, sans l’ordre ni la pré­sence d’un bri­ga­dier, par le sur­veillant Bar­din, parce que le sur­veillant Gau­thier l’a­vait expul­sé de la salle pour avoir « répon­du » à une observation.

Parce qu’il ne mar­chait pas « au pas », le déte­nu Viaud est cami­so­lé par le sur­veillant Michaud, et, pour le même motif, un déte­nu étran­ger, X…, qui ne com­pre­nait pas le fran­çais, a été le soir, après cou­cher, frap­pé par le sur­veillant Martin.

Le sur­veillant Thar­vil­lot, de garde de nuit, est entré avec le pré­vôt dans une cel­lule où étaient enfer­més trois punis de salle de dis­ci­pline (Cues­ta, Ligois et N…). Ils les ont lon­gue­ment frap­pés et pié­ti­nés (coups de clés), parce qu’ils « par­laient ». Le pré­vôt raconte que Thar­vil­lot, qui était ivre, « allait un peu fort ».

Le déte­nu Dufay, puni de salle, étant bles­sé au pied, avait mis dans son espa­drille le chif­fon qui sert à frot­ter la cel­lule. Sur l’ordre du sur­veillant Car­li, il reçoit une vio­lente raclée.

Enfin, négli­geant les autres sévices plus ou moins graves, voi­ci l’af­faire de Kas­sa­lof, qui est un réel assassinat :

Le déte­nu Kas­sa­lof (matri­cule 85), sujet rou­main (?) était atteint au der­nier degré de la tuber­cu­lose spé­ciale aux pri­sons : il tous­sait et cra­chait ses pou­mons du matin au soir et du soir au matin, dans la cel­lule 26, en cette sai­son glaciale.

Le doc­teur l’a­vait expul­sé de l’in­fir­me­rie parce qu’il se tenait mal, et, le 17 jan­vier, pour « n’a­voir pas été à sa place » sur l’ordre du sur­veillant-chef, il passe au pré­toire et « prend » quinze jours de cellule.

Le 22, il demande la visite du méde­cin ; mais, comme il arrive très sou­vent, le sur­veillant de l’in­fir­me­rie néglige de le faire venir.

Le 23, il demande encore, mais en vain, la visite du médecin.

Le 24, cepen­dant, il est extrait de sa cel­lule ; le sur­veillant, d’in­fir­me­rie Lagne­rot, s’a­per­ce­vant qu’il a mis dans ses chaus­sons per­cés des touffes de laine ramas­sées dans la cour, appelle le pré­vôt, qui jette Kas­sa­loff sur le ciment et, à coups de poing dans l’es­to­mac, le « cor­rige », non sans l’a­voir tout d’a­bord frap­pé à coups de sou­liers et pié­ti­né. À cette exé­cu­tion étaient pré­sents aus­si le sur­veillant Michaud et le déte­nu Mirkowitch.

Mené cepen­dant à la visite, le doc­teur lui accorde un peu de sirop iodo et de la tein­ture d’iode !

Le 26, il retourne à la visite ; le 28, puis le 29, son état s’é­tant aggra­vé (il ne touche plus à la boule de pain qui est cepen­dant la seule nour­ri­ture à laquelle il ait droit), il est inuti­le­ment ins­crit sur le cahier des visites : on ne le fait pas appeler.

Le 30, on l’aide à se rendre à l’in­fir­me­rie, et le doc­teur daigne lui accor­der… un jour de repos!!! et du bromure.

Le 31, à l’ou­ver­ture des cel­lules, j’es­saie en vain de lui faire ava­ler sa potion, mais ses dents ne se des­serrent pas ; il râle déjà et cherche à remon­ter vers lui une ima­gi­naire couverture.

Le pré­vôt le jette sur son dos comme un sac et court le por­ter à l’in­fir­me­rie, en lui heur­tant la tête contre les portes, et son visage saigne. Mais enfin il meurt le len­de­main Le doc­teur a, je crois, diag­nos­ti­qué une ménin­gite tuberculeuse.

L’ar­ticle 416 du Code d’Ins­truc­tion cri­mi­nelle pré­voit que, dans les cas de fureur, de vio­lences et de menaces graves, les déte­nus pour­ront être res­ser­rés plus étroi­te­ment et même mis aux fers.

On néglige d’employer les fers, qui sont assez longs à mettre et à reti­rer, mais on « res­serre plus étroi­te­ment » à l’aide de la cami­sole de force, dont l’ap­pli­ca­tion est un tel sup­plice que per­sonne n’est capable de la sup­por­ter plus de dix minutes sans hurler.

Non content de la ser­rer jus­qu’à suf­fo­ca­tion, on attache les bras der­rière le clos, tirant la main droite jus­qu’à ce qu’elle atteigne l’é­paule gauche, et la main gauche à l’é­paule droite.

Le pré­vôt raconte qu’a­vec un sur­veillant nom­mé Paillard, il cami­so­la un déte­nu après lui avoir mis un sabot contre la poi­trine et un autre dans le dos ! Cer­tains gar­diens ont aus­si, par­fois, pla­cé sous la cami­sole une bûche entou­rée d’une corde !

Les vic­times les plus dési­gnées aux sévices de toutes sortes sont les Arabes et les étran­gers, ain­si que ceux qui n’ont pas de rela­tions avec l’ex­té­rieur, soit par le par­loir, soit par correspondance.

À noter enfin que, l’hi­ver, pen­dant la « fouille » des punis, on les fait se désha­biller dans un cou­rant d’air éta­bli inten­tion­nel­le­ment et sur le sol en ciment que, les hivers pré­cé­dents, on lavait à grande eau quelques ins­tants avant l’heure du prétoire.

Matri­cule 9305 (balayeur).

La Presse Anarchiste