La Presse Anarchiste

La grève des tisserands du Lancashire

(I.N.O.) – Mal­gré toutes les confé­rences impé­ria­listes et les expé­riences des­ti­nées à main­te­nir le cours de la livre, la crise s’ag­grave de jour en jour en Angle­terre. L’ar­mée des chô­meurs se chiffre main­te­nant par plus de trois mil­lions, le mois d’août ayant ame­né une aug­men­ta­tion de 48.000 chô­meurs. En ce qui concerne le chô­mage, l’An­gle­terre se trouve pla­cée au même niveau que l’Al­le­magne et les États-Unis où une moyenne de dix pour cent de la popu­la­tion fait par­tie de la grande armée des sans-travail.

Les pro­prié­taires du tex­tile anglais cherchent à com­pen­ser la perte de pro­fit due au res­ser­re­ment du mar­ché par une exploi­ta­tion accrue des ouvriers. Depuis une année déjà, l’u­nion des ouvriers du tex­tile et l’u­nion patro­nale entre­tiennent des pour­par­lers dans ce but. S’il avait été pos­sible de conclure ces pour­par­lers au double pro­fit des patrons et de l’as­so­cia­tion des ouvriers du tex­tile anglais, un accord aurait été conclu depuis long­temps, mais les ouvriers du tex­tile étaient oppo­sés à ces ten­ta­tives d’en­tente. Ce n’est cer­tai­ne­ment pas la faute des bonzes syn­di­caux réac­tion­naires si l’on a abou­ti à une grève de l’in­dus­trie tex­tile. En Angle­terre, les inté­rêts des bonzes sont plus par­ti­cu­liè­re­ment liés aux inté­rêts de la classe domi­nante que dans n’im­porte quel autre pays, étant don­né que dans de nom­breux cas le fonc­tion­naire syn­di­cal est éga­le­ment un repré­sen­tant de l’État. Ain­si le pré­sident de l’as­so­cia­tion des ouvriers du tex­tile est aus­si juge de paix de Lan­ca­shire, de sorte qu’il peut à la fois être pré­sident du comi­té de grève et exer­cer un droit de police de cette région. Aus­si étrange qu’il puisse paraître, ce fait n’offre rien d’ex­tra­or­di­naire dans l’An­gle­terre des Trade-Unions, mais consti­tue le résul­tat d’une col­la­bo­ra­tion sécu­laire des classes.

Si pen­dant les années de pros­pé­ri­té cette col­la­bo­ra­tion parais­sait sup­por­table, on doit consta­ter main­te­nant que les membres des Trade-Unions s’o­rientent depuis quelques années dans une voie révo­lu­tion­naire. Aus­si long­temps que le capi­ta­lisme a pu impor­ter en Angle­terre ses richesses colo­niales, il a pu satis­faire en par­tie les reven­di­ca­tions des ouvriers, les membres des Tra­deU­nions étaient de com­plets réfor­mistes qui repous­saient loin d’eux toute men­ta­li­té révo­lu­tion­naire et choi­sis­saient comme chefs des offi­ciers et des employés d’é­tat. La nou­velle orien­ta­tion dans les syn­di­cats cor­res­pond à la ten­dance des colo­nies à se suf­fire à elles-mêmes éco­no­mi­que­ment. L’in­dus­trie tex­tile anglaise a été dure­ment frap­pée par le mou­ve­ment gand­histe aux Indes. Le fait que l’hin­dou ne se laisse plus autant exploi­ter implique pour elle une perte que l’ou­vrier anglais devra sup­por­ter. C’est ce qu’ad­mettent très bien les pro­prié­taires du tex­tile anglais, ain­si que les vieux bonzes des syndicats.

Tout d’a­bord, les pro­prié­taires pro­po­sèrent aux tis­se­rands d’as­su­rer le fonc­tion­ne­ment d’un plus grand nombre de métiers pour aug­men­ter leur pro­duc­tion indi­vi­duelle, et natu­rel­le­ment sans aug­men­ta­tion de salaire. Étant don­né que ce pro­cé­dé aurait eu comme résul­tat le ren­voi d’un nombre consi­dé­rable d’ou­vriers, ceux-ci refu­sèrent d’ac­cep­ter cette pro­po­si­tion. Par la suite, les patrons déci­dèrent une dimi­nu­tion de 14 p. cent, ce qui pro­vo­qua la grève actuelle. Celle-ci est menée contre le désir des chefs qui ont dû céder à la pres­sion et se confor­mer à la volon­té des masses.

Bien qu’il ne s’a­gisse que d’une grève à pro­pos des salaires, non seule­ment les chefs, mais aus­si le gou­ver­ne­ment anglais, craignent de perdre com­plé­te­ment leur influence sur les masses. Le gou­ver­ne­ment essaie d’in­ter­ve­nir comme arbitre, et les chefs tentent de trom­per les masses par des phrases révo­lu­tion­naires et des actes réac­tion­naires. Publi­que­ment, ils sont pour la grève, alors qu’ils manœuvrent contre elle dans les coulisses.

Le 14 sep­tembre a eu lieu le Congrès de l’As­so­cia­tion syn­di­cale à New­castle. Après avoir condam­né una­ni­me­ment la poli­tique réac­tion­naire du patro­nat, 1.000 livres ont été votées pour le fonds de grève, et il fut déci­dé en outre de ras­sem­bler des fonds dans tout le pays et de sou­te­nir les gré­vistes même s’ils n’é­taient pas membres du syn­di­cat. Aus­si vrai que tout cela fut déci­dé, aus­si vrai est-il que tout cela ne sera pas appliqué.

Les chefs appliquent tous leurs efforts à main­te­nir les ouvriers dans les Trade-Unions. Les reven­di­ca­tions radi­cales telles que pour le socia­lisme, pour la jour­née de six heures, pour la semaine de cinq jours, sont mises en avant dans ce but.

La grève elle-même n’est pas totale. Cer­taines fabriques tra­vaillent avec un per­son­nel plus ou moins réduit. Les bri­seurs de grève sont tous des élé­ments démo­ra­li­sés par un long chô­mage, le besoin et la misère. En plu­sieurs endroits se pro­duisent des col­li­sions entre les gré­vistes et la police.

(à suivre)

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