[( Au début de cette étude, Walter Siegmeister énonce que les recherches anthropologiques ont démontré clairement que l’homme civilisé est la proie d’une impulsion sexuelle exagérée, due à son alimentation aphrodisiaque, à son mode artificiel de vie, à une littérature ambiante, sexuellement stimulante. C’est pourquoi, contrairement à ce qui se passe chez les autres mâles mammifères, le mâle humain ne respecte pas « les droits de la femme » durant les époques de gestation et de lactation, et lui impose, au cours de ces périodes, des rapports sexuels antiphysiologiques. Chez les animaux et les primitifs non encore pervertis, la chasteté la plus stricte est de rigueur durant la grossesse et l’allaitement, ce dernier pouvant durer de trois à cinq ans. Or, d’après lui, le fait que les peuples dénommés sauvages peuvent vivre chastement durant d’aussi longues périodes de temps, alors que les mâles civilisés se croient incapables d’être chastes, même pendant peu de temps, indique sans contestation possible que ces derniers sont victimes d’une hyperesthésie produite par leur existence anormale. Quoi qu’il en soit, voici les observations sur lesquelles s’appuie notre auteur pour opposer la modération sexuelle des primitifs à l’impulsion sexuelle, absolument exagérée, selon lui, des civilisés. )]
Chez les habitants des îles Andaman, a noté Portman, le désir sexuel est très modéré ; chez les mâles, il n’apparaît pas avant 18 ans, et il est rarement satisfait avant le mariage qui, pour les hommes, a lieu à 26 ans. Selon Haydes et Deniker, les Fuégiens des deux sexes font preuve d’une grande modération dans leurs rapports sexuels. Selon le Dr Cook, chez les Esquimaux, l’appétit sexuel ne se manifeste pas durant la longue nuit hivernale, ni la menstruation, d’ailleurs ; la majorité des enfants naissent neuf mois après la réapparition du soleil. Il en est de même pour de nombreuses races primitives ; Havelock Ellis reconnaît que l’instinct sexuel des « sauvages » est moins intense et se manifeste beaucoup moins fréquemment que chez les civilisés ; en outre, il se manifeste généralement de façon saisonnière, comme cela a lieu pour tous les autres mammifères.
Que la continuelle activité sexuelle de l’homme civilisé provienne de conditions physiologiques morbides, dues à l’irritation produite par la nourriture et la sédentarité — le cas des singes le démontre. Enfermés dans des cages et nourris de viande et de produits stimulants, ces animaux — doux et modérés lorsqu’ils s’alimentaient de fruits — deviennent extrêmement licencieux et lascifs. Ils se masturbent de façon excessive, ont des relations sexuelles presque quotidiennement et leurs femelles ont des règles aussi abondantes que celles des femmes. Dans la jungle où leur alimentation est frugivore et où leur liberté de mouvements est absolue, leur vie sexuelle est confinée aux époques de rut et l’écoulement menstruel des femelles est beaucoup plus restreint.
Chez les Indiens de l’Amérique septentrionale, la coutume de nombreuses tribus est l’abstention de relations sexuelles tant que dure la lactation ; D’Oribigny a remarqué qu’il en est de même chez les Indiens du Sud-Amérique, bien que, chez ces peuplades, la durée de l’allaitement dépasse trois ans. S’il est vrai que la plupart des tribus indiennes aient été perverties par leur contact avec la civilisation, cela n’enlève rien au fait, qu’à l’état primitif, leurs mœurs étaient totalement autres. Le Dr Holder s’est occupé spécialement de cette question et a établi que les Indiens d’Amérique, avant l’invasion européenne étaient beaucoup plus chastes que les blancs ou les nègres. « Les femmes de quelques-unes de leurs tribus sont plus vertueuses que les femmes de n’importe quelle autre communauté dont j’ai entendu parler ». Dans son ouvrage sur la « Neurasthénie sexuelle », le Dr Beard constate que les jeunes garçons indiens ne se masturbent pas et que les jeunes gens demeurent chastes jusqu’au mariage.
Le Dr Spencer a vécu chez les Indiens de la Californie. « Dans leur état primitif, tous les hommes et tous les jeunes garçons, qui ont dépassé le stade de l’enfance, dorment dans une maison, sise à part dans chaque rancheria. La maison familiale, et il peut s’en trouver plusieurs dans une rancheria, peut contenir une famille patriarcale, abriter peut-être deux et même trois générations, mais seuls les petits enfants et les femmes y dorment. Dans chaque rancheria, il y avait une demeure mise à part pour les femmes menstruantes, en état de grossesse ou victimes de fausse-couche ; dans ce dernier cas, elles y séjournaient trente à quarante jours.
« Les enfants pouvaient jouer ensemble jusqu’à l’approche des premières menstrues chez les jeunes filles. Leur apparition était l’occasion d’une fête et de danses organisées par le père. Revêtant un caractère religieux, le clou de cette fête était la pose d’un diadème — la couronne de la maternité possible — sur le front de la jeune fille, le tout accompli selon un rituel approprié. Dès lors, la jeune fille n’était jamais laissée seule avec un homme ou un garçon et personne ne pouvait la toucher. Durant l’été, hommes et femmes pouvaient ne pas cohabiter ; ils cessaient absolument toute cohabitation avant d’entreprendre une expédition de chasse, ou tout effort exigeant de l’endurance ou une dépense nerveuse spéciale. Il en était de même après un festin, spécialement quand de la viande y avait figuré. La personne de la femme était considérée comme sacrée durant la grossesse et l’allaitement. Le nouveau-né était jusqu’à un certain point regardé comme un être surnaturel et on le considérait très sérieusement ; une cordelette en peau de daim entourait la cheville de ce nouveau-né et y demeurait aussi longtemps que les parents s’abstenaient de cohabiter ; la grand’mère veillait soigneusement sur cette cordelette qu’on imaginait devoir préserver le petit être de la malchance. Ces idées sont tellement ancrée chez ces gens que j’ai connu un indien, intelligent, se reprocher, sur son lit de mort, d’avoir connu sa femme après avoir pris part à un grand festin où l’on avait servi du boeuf fraîchement tué. C’était comme s’il avait commis un impardonnable péché ».
Chez les Africains de l’ouest parlant le yoruba, A. B. Ellis a observé que l’allaitement dure trois ans et que pendant toute cette période la femme ne cohabite pas avec son époux. D’ailleurs, la chasteté avant le mariage est de rigueur dans une grande partie de l’Afrique. Dans l’Afrique Occidentale, une fille coupable d’incontinence risque un châtiment sévère. Au Dahomey, pas de copulation tant que dure la grossesse et l’allaitement, qui persiste pendant à peu près trois ans. Il en est de même chez les Jekris. et autres tribus des rives du Niger, où l’on croit que le lait souffrirait s’il n’y avait pas abstinence sexuelle.
Chez les Ba Wenda du Transvaal, aucune. relation sexuelle n’est permise avant le mariage. Chez les Synlengs, le mari ne vit pas dans la même maison que sa femme, mais lui rend visite, occasionnellement, chez sa mère, où elle continue à résider. Dans le Joway, cette règle est si stricte que le mari rend seulement visite à sa femme lorsque le soleil est couché ; il ne lui est pas permis de manger, de dormir ou de fumer durant sa visite ; en effet, ne consacrant pas un sou de son gain à l’entretien de sa femme, il ne saurait partager sa nourriture ou se prévaloir d’aucun droit de propriété sur sa personne.
Brough Smith a observé ce qui suit chez les aborigènes de l’Australie : « La promiscuité sexuelle n’est pas pratiquée parmi les aborigènes et leurs lois à ce sujet sont très rigoureuses, spécialement dans la Nouvelle Galles du Sud. Au camp, tous les jeunes hommes célibataires demeurent ensemble à l’une des extrémités, tandis que le centre est occupé par les hommes mariés, chacun avec sa famille. On interdit aux célibataires toute conversation avec les jeunes tilles ou les femmes mariées. Les infractions sont sévèrement punies. Cinq ou six guerriers jettent leur lance sur le transgresseur et cela d’une distance relativement courte : l’homme est souvent blessé et parfois tué ». Même après le mariage, dans différentes parties de l’Australie, les relations sexuelles sont l’objet de nombreuses restrictions, elles sont interdites durant la période menstruelle, les derniers mois de la grossesse et pendant la lunaison qui suit l’accouchement.
Les Pueblos sont strictement monogames et la polygamie n’est pas permise parmi eux. Une sorte de police secrète veille soigneusement à ce que cette coutume ne soit pas enfreinte et toute irrégularité est immédiatement rendue publique : tout jeune homme ayant des relations avec une jeune fille est obligé de l’épouser. Chez les Seri, le jeune homme doit passer par un temps d’épreuve, au cours duquel il doit observer une très stricte continence, avant d’être accepté comme époux. Mc Gee pense que cette coutume a pour but de se rendre compte si le jeune homme possède la volonté requise pour s’abstenir de rapports sexuels dépassant les limites prescrites.
Par ailleurs, selon le Dr Helbrook, les preuves existent que les primitifs comprennent la nécessité de limiter leur progéniture et qu’ils le font d’une façon très saine. Les natifs de l’Ouganda, dans l’Afrique Centrale, en fournissent un exemple remarquable : « Les femmes ont rarement plus de deux ou trois enfants, la coutume exigeant que lorsqu’une femme a enfanté, elle vive séparée de son mari durant deux ans, âge auquel l’enfant est sevré ». Chez les Fidgiens, selon Seaman, après la naissance de l’enfant, le mari et la femme se séparent pendant trois et même quatre ans, de façon à cc que la venue d’un autre enfant n’interrompe le temps considéré nécessaire pour l’allaitement des enfants ».
Chez les Belenda, peuplade habitant la péninsule malaise, l’impulsion sexuelle est peu développée… « Le mari n’a de rapports avec sa femme que trois fois par mois en moyenne. Les femmes ne sont pas ardentes ». À noter que chez les Malais, selon Skeat, « la chasteté la plus rigoureuse est obligatoire en temps de guerre ».
« On affirme communément, écrit Havelock Ellis, que les races nègres et négroïdes de l’Afrique sont particulièrement sexuelles. Cette idée n’est pas celle des observateurs qui connaissent intimement ces peuplades ». Selon lui, la négresse se montre plutôt rétive aux stimulants sexuels et les hommes blancs n’ont ordinairement aucun pouvoir d’excitation sur elle ; quant aux mâles noirs, il leur faut trois fois plus de temps qu’aux blancs pour atteindre l’orgasme.
Havelock Ellis écrit encore « Parmi les Cambodgiens, une chasteté stricte semble prévaloir et si nous traversons les Himalayas, au nord, nous rencontrons des tribus sauvages qui ignorent toute licence sexuelle. Ainsi, parmi les Turcomans, quelques jours après la célébration du mariage, les époux sont séparés pendant une année entière ».
Chez les peuples mahométans de l’Afrique occidentale, aussi bien que dans l’Afrique du Nord et du Centre, il est ordinaire d’allaiter l’enfant, pendant deux ans et même davantage. Du début de la grossesse si l’expiration de la période de sevrage, il y a abstention de rapports sexuels. On croit que l’existence de ces rapports (probablement en affectant la qualité du lait) mettrait en danger la qualité de ce lait. Cela comporte, après chaque enfantement, une abstinence sexuelle de trois ans.
Sir H. H. Johnson, écrivant au sujet des habitants du Centre de l’Afrique, confirme que dans cette région, les hommes restent chastes tant que durent la gestation et la lactation.
Westermarck, l’auteur du célèbre ouvrage sur le Mariage a appelé l’attention sur ce fait que plus la civilisation progresse, plus augmente le nombre des naissances illégitimes et croît la prostitution. La promiscuité sexuelle n’est pas l’état normal de l’homme, mais le fruit de la civilisation, ou plutôt de la demi-civilisation. Les mœurs des peuples primitifs sont chastes, conclut-il.
Se plaçant à un autre point de vue et dans le même ouvrage, Westermarck écrit :
« Chez quelques tribus. agricoles de Sumatra et de l’Assam, il paraît qu’il est d’usage que le mari ne cohabite pas avec sa femme, mais qu’il lui rende de temps à autre visite là où elle habite, c’est-à-dire chez ses parents maternels, ses enfants demeurant chez elle. On nous dit, que plus fréquemment encore, le frère de la mère, l’oncle, exerce de plus grands droits sur les enfants que le père, ou même il exerce tous les droits sur eux. Ces cas se rencontrent souvent parmi les nombreux peuples non-civilisés qui ne reconnaissent qu’une ascendance maternelle ».
Westermarck écrit ailleurs :
« Chez les Macusion de la Guyane britannique, avant qu’un jeune homme puisse prétendre à prendre femme, il doit démontrer qu’il est un homme et peut faire le travail d’un homme. Sans broncher, il doit supporter l’infliction de blessures dans sa chair, ou d’être cousu dans un hamac rempli de fourmis rouges, ou subir toute antre épreuve destinée à montrer son courage. Ou bien il défrichera dans la forêt un espace destiné à la plantation de cassava, et il ramènera autant de gibier que possible, afin de prouver qu’il est capable de subvenir à son entretien et à celui d’autrui. Chez les Wapolome, en Afrique Occidentale, on évite les mariages trop précoces en exigeant du prétendant qu’il tue un crocodile et apporte une partie de sa chair à la femme désirée. Parmi les tribus Bachuana Cafres du Sud du Zambèze, un jeune homme ne peut se marier avant d’avoir tué un rhinocéros. Et il paraît que chez les diverses tribus des chasseurs de têtes, dans l’extrême Sud-est asiatique, nul homme ne peut se marier s’il n’a au préalable apporté une tête d’homme, preuve de sa valeur ».
En résumé, toujours selon Westermarck, « telle qu’elle est pratiquée chez un grand nombre de peuplades primitives, la monogamie exige de l’homme une continence d’une durée considérable. Non seulement force lui est de s’abstenir de relations avec sa femme durant un certain temps chaque mois, mais encore quand elle est grosse ou durant la dernière partie de sa grossesse, car une femme enceinte est considérée comme impure, et non seulement cela, mais la même abstinence est exigée jusqu’au moment du sevrage ; exigence rigoureuse, puisque la période d’allaitement dure ordinairement deux ou trois ans, et peut éventuellement atteindre cinq ou six ans ».
Dr Walter Siegmeister.