Havelock Ellis est mort en 1939, à l’âge de 80 ans, quatre-vingts années remplies de sérénité, de plénitude, de bonheur, plutôt que de soucis et de peines. L’homme de la rue l’ignorait ; un grand journal de Londres ne lui accorda même que quelques lignes. Et cependant c’était un sage, un esprit universel, celui dont un américain célèbre avait dit : « Il est sans doute l’anglais le plus distingué de notre époque ».
Mme Havelock Ellis disait de lui : « c’est un ermite, et pourtant un iconoclaste — rempli d’amour pour l’humanité, mais se tenant à l’écart des hommes ». Comme nombre d’autres grands hommes, il s’avérait timide, vivait retiré, ne faisait pas de bruit autour de son nom, apparaissait rarement en public, sa voix faible contrastait avec son visage tourmenté. Cependant personne n’a mieux que lui connu le monde. Maintes des productions et des activités ont retenu son attention et ont fait le sujet de ses éludes et de ses appréciations. Sa compétence ne s’étendait certes pas à tous les sujets, mais ceux qu’il touchait, il les éclairait, les ornait avec art.
Havelock Ellis fut un « adventiste » dans le véritable sens du mot. C’était un annonciateur, un homme qui ouvrit de nouvelles perspectives sur les valeurs et sur la vie. Il apparaissait tel qu’il était réellement : un philosophe, mariant la profondeur avec la largeur de vues. Son intelligence le poussait vers l’analyse raffinée, mais son émotivité faisait écho à quelque chose de plus, impossible à définir par l’intellect.
Homme de lettres, son apport au public se manifesta principalement dans le domaine sexuel. Il fut un précurseur de Freud. On s’est libéré à un tel point, ces dernières années, de la répression en cette matière qu’on a peine à réaliser le vacarme que suscita la publication des six volumes de Psychology of Sex (Psychologie sexuelle). Le second volume, (en réalité, il fut publié le premier) Sexual Inversion (Inversion sexuelle) parut en Angleterre en 1897. Quelque temps après son apparition, un libraire du nom de George Bedborough, qui le vendait, fut poursuivi du chef d’«obscénité ». Un comité de défense fut mis sur pied, mais lorsque commença le procès, en octobre 1897, Bedborough perdit courage et « plaida coupable ». Ellis n’était pas poursuivi, mais cité à l’audience, il lui fallut entendre, émis par le procureur de grossiers et injurieux commentaires sur son caractère. Il lui était impossible de répliquer, mais sa nature sensible fut profondément affectée. Plus tard, la Psychologie sexuelle parut en entier a Philadelphie.
Ellis se montra à l’égard de Freud plutôt sympathique et critique que partisan. Freud s’occupait du comportement sexuel anormal, Ellis du comportement sexuel normal tel qu’il se réalise dans le milieu social. Il affirmait qu’une connaissance véritable de ce comportement concerne les fondations même de la société. Il revendiquait la place qui leur convient à l’hygiène et à l’éducation sexuelles, il ajoutait que cela ne doit pas être laissé à l’initiative de quelques amateurs scientifiques, mais commencer « par le haut », par des instituteurs eux-mêmes et émaner des centres d’enseignement. Bien entendu, les principaux critiques de la Psychologie sexuelle furent des gens qui n’avaient jamais lu l’ouvrage.
Ellis fut également un critique littéraire et un créateur d’envergure. Les écrivains qui l’attiraient. davantage étaient ceux qui, comme s’ils leur délivraient un message, s’efforçaient d’amener leurs semblables à considérer la vie dans une nouvelle lumière. C’est pourquoi, parmi ses grands camarades spirituels, il comptait Edward Carpenter, Olive Schreiner, Tolstoï, Zola, Ibsen. En l’unité sous-jacente de la pensée et de l’art, sa foi était grande. C’est ce qu’il a spécialement développé dans ce livre original et populaire, The Dance of Life, où il affirme qu’il n’y a pas d’abîme infranchissable entre le poète et le mathématicien, le musicien et le savant. L’un de ses derniers ouvrages, The Fountain of Life (La source de la vie) pourrait servir de livre de chevet à un Humaniste. On pourrait écrire beaucoup plus sur Havelock Ellis — un mot suffit, ce fut un grand civilisé.
(D’après Henry J. Adlard)