IX – Rires et sarcasmes
Avez-vous connu le camarade Dujarret ? Il se livrait souvent — je parle au passé, car il est mort — à des spéculations de haute politique révolutionnaire internationale. Et, tandis que les circonstances de sa vie matérielle le retenaient fixé à un rond-de-cuir, dans un bureau, il rêvait d’action — d’action militaire. Pour peu qu’il eût bu quelques verres d’un vin généreux, il évoquait ses héroïques desseins et les extériorisait avec une éloquence de meeting populaire. Or, un jour de 1938, Dujarret et moi dînions chez un ami commun. Ce soir-là, il s’affirma comme un stratège de grande envergure. Il avait constitué dans son imagination une armée formidable et disposait de la dictature. Et il hurlait :
— Je lâche sur eux un million d’hommes !
Après quoi il resta une minute silencieux et méditatif. À la réflexion, sa force armée ne lui semblait pas assez nombreuse : il ne remporterait certainement pas la victoire sur les mystérieux « eux » : alors il hurla de nouveau :
— Je lâche sur eux deux millions d’hommes !
Nous contemplions avec un amusement discret ce chef dépourvu d’autant de pitié pour ses partisans que pour ses adversaires.
Puis, le pinard l’ayant assommé, il rentra dans un mutisme farouche et l’on parla d’autre chose.
Quelques semaines plus tard, nous voyions arriver Dujarret. Hélas ! quel changement ! C’était peu de temps avant l’accord de Munich. Le pauvre était mobilisable. Il allait être, lui aussi, si ça ne s’arrangeait pas — et ça n’avait pas l’air de s’arranger — précipité dans la fournaise tout comme ses deux millions d’hommes. Il était effondré. Il commençait, nous dit-il — il était bientôt temps ! — à apprendre une langue étrangère…
Combien méprisable est la peau des autres quand vous êtes assuré, ou convaincu, que la vôtre collera au sol !
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Climat 1838 – 39.
— On assure qu’il poursuit une politique d’apaisement…
— Ah ! le salaud !
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— Notre monde est tout de même quelque chose de bien !
— Ah!… Et alors ?
— Alors j’en conclus qu’il vaut la peine qu’on meure pour lui.
— Idiot !
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— La guerre a son utilité, dit Crétinot : elle vous force à apprendre la géographie.
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Sénèque, ouvre-toi les veines, ordonne Neron.
Et Sénèque s’ouvre les veines.
Cela te scandalise et tu stigmatises le tyran, et sans doute aussi, pour une raison différente, le philosophe.
Mais que t’ordonne-t-on en temps de guerre ?
Et que fais-tu ?
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Pendant la guerre, l’État poursuivait les bouchers qui avaient un abattoir clandestin.
L’État, qui, lui aussi, travaille dans la boucherie, n’admet que l’abattoir public.
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— La guerre ne mène à rien.
― Mais si ! Elle mène à une autre guerre.
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Bioesthétique.
LES HOMMES. — Ah ! si seulement nous étions des œuvres d’art… On prendrait soin de nous…
— Non, si vous étiez des œuvres d’art, vous prendriez soin de vous-mêmes.
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La guerre est déclarée : « Dieu » mobilise, mais ce n’est qu’à la fin qu’on sait contre qui.
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Que d’églises bombardées, incendiées, détruites ; que de prêtres et de fidèles tués au cours des guerres permises par « Dieu » depuis 1914 à nos jours !
« Dieu » serait-il devenu athée?…
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Quand le pape est malade, il ne court pas à son prie-Dieu : il envoie chercher le médecin…
― Je ne demande rien, dit le prêtre d’un ton papelard.
— Non, mais tu acceptes tout !
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Le prêtre : escroc du mystère.
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Cimetière de village : les tombes autour de l’église.
Les squelettes autour de l’Illusion.
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— Toute cette curaille, comme ça comprend la vie ! Avez-vous remarqué de quelles belles demeures, de quels beaux parcs, de quels jardins vastes — le potager surtout — et bien clos ils disposent, ces moines et ces nonnes, quand ils vivent en communauté ? Ah ! ce n’est pas pour eux la vallée de larmes ! Bonne chère, loisirs, sécurité. Et le reste quand ils savent y faire… Ah ! les canailles…
LE NAÏF. — Ah ! oui, canailles… Ils ne devraient pas !
— Mais non, pauvre bougre… Canailles parce qu’ils recommandent le contraire aux autres !
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Le comble du crétinisme est atteint par cet anticlérical qui combat un petit effet, mais maintient la grande cause il « respecte la religion ».
Domaine du sacré, hein, « libre pesé-saur » !
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Amusons-nous du charabia des métaphysiciens.
De Lachelier :
« Le monde est une pensée qui ne se pense pas, suspendue à une pensée qui se pense. » [[Cité par Jean Lefranc, Le Temps, 23 avril 1939.]].
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Genèse de la morale.
Entendu au plus fort de la disette de tabac, en 1941, d’un ramasseur de mégots :
— C’est dégoûtant… Il y a des égoïstes qui fument la pipe pour ne rien perdre !
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— Vos actes vous classent pour l’éternité.
Pauvre petit « intellectuel », quand cesseras-tu d’emboîter le pas à Joseph, Prudhomme ?
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Les grandes aspirations du citoyen Moyen : la poule au pot et la poule au lit.
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Foutin, fonctionnaire, a reçu de l’avancement. Mais, mis à la tête d’un service, il n’a su que le désorganiser.
Piédois, son supérieur hiérarchique, s’en étonne :
— C’est incroyable!… Il est pourtant père de huit enfants!…
Manuel Devaldès