La Presse Anarchiste

« L’Unique » type du nouvel Adam ?

[/(à pro­pos des remarques de L. Rigaud)/]

Dans un entre­fi­let publié dans les « Trois mots aux amis » (no10 de l’U­nique) j’a­vais consi­dé­ré Stir­ner et Nietzsche comme de grands idéa­listes et le « Sur­homme » et « l’U­nique » comme des idéaux. Le cama­rade L. Rigaud m’é­crit à ce sujet :

« Tan­dis que par sa vigou­reuse et radi­cale cri­tique, « L’U­nique » de Stir­ner veut expri­mer la consta­ta­tion d’une réa­li­té : l’in­di­vi­du ― le héros et son culte de Car­lyle ain­si que le sur­hu­main, l’homme repré­sen­ta­tif d’E­mer­son, marquent des appré­cia­tions ou des inter­pré­ta­tions de l’Ue­ber­mensch nietz­schéen, de simples aspi­ra­tions enve­lop­pées d’un lyrisme superbe, magni­fique : tout cela n’est que pure concep­tion idéale en somme.

« Pour­quoi ne pas consi­dé­rer bio­lo­gi­que­ment le sur­homme, ne pas entre­voir, dans l’é­chelle onto­lo­gique l’être en futu­ri­tion, aus­si supé­rieu­re­ment éloi­gné de l’hu­ma­ni­té (suranimal)que celle-ci l’est de l’a­ni­mal, etc. »

Je ne vois aucun incon­vé­nient à consi­dé­rer l’U­nique comme l’être des­ti­né à suc­cé­der à l’homme actuel, comme l’A­dam futur, mais on recon­naî­tra que pour le moment ceci reste une vue de l’es­prit, car Stir­ner ne s’est pas pré­oc­cu­pé de l’in­di­vi­du, consi­dé­ré au point de vue bio­lo­gique, il nous a pro­po­sé un être idéal qu’il vou­drait débar­ras­sé de toutes sortes de ser­vi­tudes spi­ri­tuelles et morales. Rien donc ne nous prouve que l’être du deve­nir res­sem­ble­rait à celui vou­lu par Stir­ner, dont en tout cas, il dif­fé­re­rait par l’ac­quis de connais­sances nouvelles.

Stir­ner, lui-même, ne s’est pas mon­tré, dans la vie quo­ti­dienne, un sur­homme ― « ni en bien ni en mal ». En dépit de ses outrances, de sa véhé­mence, de son intran­si­geance, de sa caus­ti­ci­té, ce ne fut « ni un ange ni un démon ». Il a mar­qué son pas­sage, son court pas­sage, par aucun crime, aucune aven­ture extra­or­di­naire, aucun exploit hors série, se débrouillant plus ou moins mal au cours de son exis­tence quo­ti­dienne ― plu­tôt mal que bien.

Il reste l’homme qui a écrit « L’U­nique et sa Pro­prié­té » et nous ne lui en deman­dons pas davan­tage. Il nous a conviés à nous déga­ger des entraves et des pièges des idées du libé­ra­lisme bour­geois, puis ayant reje­té ces chaînes, à nous replier sur nous-mêmes, à conclure, enfin à prendre une résolution.

C’est ce que nous avons fait, du moins ceux d’entre nous qui nous sommes don­né la peine de réflé­chir ; nous nous sommes déci­dés pour ce qui nous parais­sait propre à tirer de notre « moi » le maxi­mum de ren­de­ment, même si sur plu­sieurs ou de nom­breux points, nous n’o­pi­nions pas comme Stir­ner lui-même.

Si c’est ce qu’il faut attendre de l’A­dam futur (?) ― toutes pro­por­tions gar­dées ―nous y sous­cri­vons volontiers.

E. Armand

La Presse Anarchiste