Les philistins de la politique, — les petits aussi bien que les grands, les très colorés comme ceux à teinte passée, ont beau multiplier et multiplier et leurs sornettes et leurs promesses, personne n’y croit et tous en ont assez.
Malheureusement, ce n’est jamais qu’un feu sans fumée, car « ça » ne va pas plus loin que les sempiternels ronchonnements tant et tant éloignés de l’action la plus simple.
C’est bien ce qui fait la force des affameurs, des bourreurs de crânes et de tous les niveleurs de consciences.
Le pire, c’est que les affamés et les biens intoxiqués n’ont même point dans l’idée de mettre de côté et leur jactance et leurs parlottes afin de s’adonner à l’action.
Il n’y a pourtant que ce comportement, rien que lui, qui pourrait nous remettre et nous faire profiter de pas mal d’avantages ; mais comme il ne nous faut point compter là-dessus, nous n’avons donc plus que nos yeux pour pleurer.
Encore faut-il se bien vite souvenir que gémir, prier et pleurer est également lâche, dans le but de pouvoir conserver en soi et pour soi ce que nous possédons de dignité.
Nous voulons bien l’admettre : quand la faim vous tenaille et, que la pire des misères vous cerne de partout, ce n’est point la dignité, qui peut vous remplir le ventre… Mais, pourtant, après mûre réflexion, il n’y a qu’ELLE qui est en mesure de vous aider à découvrir ce chemin qui conduit directement à la délivrance.
Où il n’y a plus de dignité, mais plus de dignité, — comme c’est le cas chez beaucoup, — il n’y a plus de ressort et tout est perdu…
L’espérance, la passionnée et puissante espérance révélatrice ; vous savez, celle qui est vraiment capable de renverser les barrières, toutes les barrières dictatoriales, ne repose que là-dessus.
Il est vrai que « les citoyens » et « citoyennes » sont tellement déchus de nos jours, qu’ils ne sont plus rien et que leur parler de dignité les porte immédiatement à rire.
Eh bien ! nous qui ne sommes point chiches de folies, — même quand la sagesse est en voie de nous couronner, — nous allons les faire rire, rire à en crever, car nous sommes bien décidés à en parler !
Pour arriver coûte que coûte à toucher le but, c’est-à-dire pour mériter véritablement de se dire un Individualiste de qualité et de grandeur, n’allons-nous pas oublier que cette dignité — toujours elle ― doit ne nous jamais quitter.
C’est beaucoup plus qu’une armure, puisque c’est pour ainsi. dire presque tout le « fonds » de l’Homme.
— Tu peux avoir de la force, de la force à tout briser, ô toi qui aspires à monter le plus haut possible afin de bien découvrir le « tout » de la Vie, il te manquera toujours quelque chose si cette force ne s’associe point loyalement avec la tendresse…
Bien sûr, pour se bien tenir ferme et vibrant sur la corde tendue, il faut savoir se bien servir de ce composé que nous considérons comme ce qu’il y a de plus unique au monde.
Avec cet « Unique », tous les utopistes du globe réunis peuvent y aller de leurs chansons et de leurs clameurs : il les entend, il les écoute ; mais il n’en fait jamais qu’à sa tête.
Le temps fuit beaucoup trop vite pour le gâcher et pour perdre la seule richesse qui nous échoit…
C’est pourquoi il est de toute nécessité de travailler d’arrache-pied à l’édification de cet art de vivre qui situe l’Homme par delà tous les ilotes de la Cité.
Oui, oui, tous les « autres » peuvent bien chanter et clamer ; ce n’est point cela qui nous empêchera de danser ! Mais c’est là, qu’il faudra s’efforcer de bien faire le point et de ne pas confondre autour avec alentour.
Les danseurs que nous sommes n’ont absolument rien à voir avec tous les tourneurs en rond qui tourbillonnent, tourbillonnent, sans jamais s’inquiéter de ce qu’ils font et jamais chercher à savoir où ils vont.
Ce ne sont ni les orphéons ni les fanfares populaires qui nous servent d’orchestration, mais une harmonie intérieure qui nous aide. fortement et noblement à constituer cette Symphonie consolatrice qui sait faire de vous des fols chez lesquels la Raison ne quitte et ne perd ses droits.
Ne travaillant pas plus pour le « gueuloir » que pour la « Faiseuse-de-Gloire », mais bel et bien pour notre propre compte, nous nous refusons catégoriquement à tous ces systèmes — d’où qu’ils émanent — qui sont autant d’embrigadements qui vous retournent un homme comme une crêpe et le réduisent à zéro.
Ayant pris l’habitude d’étreindre la Vie à pleins bras, nous ne pouvons plus nous contenter de cet à‑peu-près et de ce factice qui sont la suffisance des petites gens. Ce que nous voulons, c’est vider la coupe jusqu’au fond et profiter de l’enivrement causé par l’action dionysiaque pour fournir à notre être ce dont il a impérieusement besoin pour pousser « la joie de vivre » le plus loin possible.
C’est bien parce que nous connaissons le goût des larmes et que nous nous sommes rendus maîtres de la peur ; parce que nous avons été et « touchés » et « marqués » par la douleur, que nous savons bien rire de tout et de nous-mêmes, que nous sommes en mesure de jouir amplement sans jamais chercher à faire tort aux autres…
Puisqu’il y a dans notre INDIVIDUALISME grandement autant de sentiment que de raison, il mérite de ne pas être confondu avec tous ces « ismes » bourgeois et petit-bourgeois qui courent les rues.
A. Bailly