La Presse Anarchiste

En cours de route, chronique de toujours

L’air est pur et la route est large ; mais nous ne son­ne­rons pas la charge. 

C’est que nous n’a­vons rien de ces bel­li­queux qui tracent tou­jours leur che­min avec l’aide de cette vio­lence et cette ruse qui font de la vie sociale quelque chose d’insupportable. 

Si nous tenons par-des­sus tout à ce que bien de nos dési­rs soient satis­faits, nous n’u­ti­li­sons jamais la contrainte pour les réaliser. 

Ce n’est pas parce qu’il nous arrive de faire la grosse voix et que, bien sou­vent, il nous faut mon­trer les dents afin que place nous soit faite, que nous sommes pour cela des ogres. 

Si la lutte qua­si­ment per­ma­nente nous a ren­dus aus­tères, sévères et même un tan­ti­net agres­sifs quand les besoins se font sen­tir, notre vraie révé­la­tion : c’est l’Amour.
Oui, l’Amour… 

Mais là encore, il faut cher­cher à s’en­tendre avant d’en­trer en plein en la matière. 

Nous n’ap­pe­lons pas Amour, cette chien­ne­rie ou bien cette comé­die qui font si bien fureur au pays des hommes et des femmes de « quantité»… 

Chez nous, il n’y a que la « qua­li­té » qui nous inté­resse en tout : c’est ce fait que nous n’a­vons abso­lu­ment rien de com­mun avec les conformistes. 

Ce n’est pas un genre que nous nous don­nons, mais une authen­tique spé­ci­fi­ci­té dont nous usons. 

Ce n’est pas non plus parce que les besoins phy­siques parlent chez nous comme chez tout le monde, que nous nous lais­sons domi­ner par eux : il s’en faut de beaucoup. 

Pas­sion­nés comme nous le sommes, nous nous sen­tons plus d’une fois sou­le­vés et empor­tés par ces impul­sions, qui ont du bon mais qui sont sou­vent sujettes à égarement. 

Pour que ces pas­sions nous servent bien, c’est-à-dire pour qu’elles puissent main­te­nir en nous ce feu sacré qui nous anime, jamais nous ne les dimi­nuons, mais nous nous effor­çons de les bien tenir en laisse. 

Bien sûr, c’est du tra­vail et, pour en arri­ver là, il faut avoir pas­sé par bien des tra­verses et n’a­voir pas craint de se mesu­rer fran­che­ment et cou­ra­geu­se­ment avec tous ces bouillon­ne­ments inté­rieurs qui n’ont qu’un but : nous bien éprouver… 

Lais­sons de côté pour l’ins­tant — nous y revien­drons en temps vou­lu — ce qui forme et consti­tue l’es­sen­tiel de l’É­thique indi­vi­dua­liste an-archiste, pour conti­nuer ce que nous avons commencé. 

Les êtres bien à part que nous nous décla­rons être, ne pou­vant vivre sans ces pro­pul­seurs pri­mor­diaux que sont la Sen­si­bi­li­té, la Céré­bra­li­té et la Sexua­li­té, tous trois soli­de­ment et savam­ment orga­ni­sés ; c’est donc faire œuvre de Libé­ra­tion véri­table que de ten­ter cette trans­cen­dante coordination. 

Notre très regret­té ami Han Ryner a, dans Le Drame d’être Deux, trai­té de la ques­tion. Sans cher­cher à mar­cher sur ses bri­sées nous ten­tons tout sim­ple­ment et suc­cinc­te­ment d’en reparler. 

Pour que deux « moi » de sexes dif­fé­rents puissent faire de cette lutte par­fois cruelle, presque tou­jours désor­don­née, qu’est la néces­si­té des satis­fac­tions sexuelles et éro­tiques, une ten­ta­tive d’har­mo­nie qua­si com­plète, il faut d’a­bord que les affi­ni­tés entrent en jeu et qu’en­suite la Volon­té fasse des siennes. 

Nous étant pro­mis dans — « Le Bon­heur d’être Deux » [[À paraître.]] — de n’hu­mi­lier per­sonne mais d’ac­com­plir ce geste d’a­mour qui peut aider tous les affran­chis en puis­sance à trou­ver au plus tôt leurs propres direc­tives, nous dirons ce qu’il y a de beau, de fécond et de noble dans cette coopé­ra­tion affi­ni­taire résul­tant de la confron­ta­tion des mots, des faits et des gestes de deux êtres en voie d’évolution. 

Tout cela ne s’est jamais fait tout seul : les incom­pré­hen­sions, les éga­re­ments et les déchi­re­ments n’ont point man­qué d’in­ter­ve­nir et de faire par­ler d’eux : puis­qu’ain­si le veut la Vie, ce serait cher­cher à vou­loir tri­cher que de n’en point cau­ser

Mais les sen­sa­tions se trouvent diri­gées — sans jamais être dimi­nuées — par le désir d’é­change et la « volon­té d’har­mo­nie» ; peu à peu le « rodage » s’ac­com­plit, l’en­tente prend nais­sance et nous voyons le bon­heur poindre.

Le mot « lâché », il va fal­loir s’é­tendre quelque peu afin de se bien faire comprendre :

« Ce serait une erreur de croire que ce bon­heur réa­li­sé ou bien en voie de construc­tion consiste à se regar­der le nom­bril et à ne plus rien inter­cep­ter de ce qui a lieu de pénible, de dou­lou­reux, d’ar­bi­traire, d’an­gois­sant et de dra­ma­tique à l’ex­té­rieur.

L’In­di­vi­dua­lisme dont nous nous recom­man­dons étant tout autant une affaire de CŒUR qu’une marque de l’ES­PRIT, ce serait se mon­trer de mau­vaise foi que de l’as­si­mi­ler à cet « arri­visme » que les super­fi­ciels et les mal­veillants font mar­cher de pair avec l’In­di­vi­dua­lisme an-archiste. 

Même si nous sommes unis indis­so­lu­ble­ment par la chair et par tout ce que l’Art de vivre en Beau­té exige de ses par­ti­sans, nous n’en res­tons pas moins pour ça de ces atten­tifs, de ces émo­tifs, de ces fra­ter­nels, constam­ment prêts à répondre posi­ti­ve­ment aux S.O.S. lan­cés de par l’u­ni­vers, Sen­tant et Pen­sant par ceux de « notre monde ». 

Sans vou­loir mar­quer net­te­ment une pré­pon­dé­rance et tout en lais­sant aux mani­fes­ta­tions per­son­nelles le soin de s’af­fir­mer nous osons croire que nous res­tons dans la mesure quand nous nous lais­sons aller à pla­cer la sen­si­bi­li­té qua­si­ment au som­met des com­por­te­ments individualistes. 

Ayant fait de notre mieux pour bien éclai­rer notre lan­terne afin que cha­cun puisse y voir, nous ne méri­te­rons point d’être sujet à confu­sion ; cela parce que nous nous serons conscien­cieu­se­ment appli­qués à tra­cer net­te­ment la ligne de démar­ca­tion entre cette « sen­si­ble­rie » — qui ne mérite pas grande atten­tion — et la sen­si­bi­li­té diri­gée que nous nous plai­sons à nom­mer LA SENSIBILITÉ INDIVIDUALISTE. 

Puissent les vrais cher­cheurs et les aven­tu­riers éthiques s’ar­rê­ter quelque peu au car­re­four des che­mins en vue de renou­ve­ler leur souffle et de bien écou­ter en eux-mêmes, avant de reprendre la route qui doit nous mener vers le Jar­din Enchanteur!… 

A. Bailly

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