La Presse Anarchiste

Réflexions sur l’article « rêvons l’anarchie »

[[Sur l’ar­ticle publié dans le numé­ro pré­cé­dent de L’U­nique]]


La liber­té indi­vi­duelle ne peut se conce­voir que là où il y a, non seule­ment éga­li­té de force et de moyens de cha­cun vis-à-vis d’au­trui mais encore vis-à-vis des Pou­voirs Organisés. 

Ce ne sont pas, à mon sens, le rai­son­ne­ment ou le sen­ti­ment qui décident, mais la contrainte qui menace. Or, cette menace. seuls les Pou­voirs Orga­ni­sés peuvent l’exer­cer sans crainte et sans remords. 

Com­ment se sous­traire à là menace des Pou­voirs Organisés ? 

On peut ima­gi­ner deux réponses. 

Une socié­té où tous seraient éga­le­ment armés ou une socié­té où tous seraient éga­le­ment désarmés. 

« Tous désar­més » — c’est l’i­déal — impos­sible à réa­li­ser, car les armes existent et nul n’empêchera aux méchants et aux coquins de s’en servir. 

« Tous armés » ― cela paraît au pre­mier abord d’une incon­ce­vable bar­ba­rie. Cela m’ap­pa­raît pour­tant comme la seule forme future d’une socié­té durable et juste. 

Je pré­sente comme don­née que la liber­té indi­vi­duelle ne peut être que la liber­té et la pos­si­bi­li­té d’être armé à éga­li­té non seule­ment de qui­conque, mais encore des Pou­voirs Organisés. 

Com­ment cela pour­rait-il se réa­li­ser ? Je l’ignore. 

Je sais bien que mon rai­son­ne­ment va faire crier à la cruau­té tous les lec­teurs plus ou moins sen­sibles de « L’Unique ». 

Je sou­tiens, moi, que ce sera le der­nier prin­cipe des socié­tés humaines, comme c’en a été le premier. 

Ima­gi­nez ce que pou­vait être la Jus­tice, (avec un grand J) dans les temps pas­sés, sous le régime de la flèche empoi­son­née, plus loin encore : à l’ère de la mas­sue ? Peut-on se repré­sen­ter quelle pou­vait être la menace, la contrainte, que fai­saient peser sur les hommes les Pou­voirs Orga­ni­sés de ces époques, de ces pays-là ? 

Pour­tant l’homme a sur­vé­cu. Il vit encore. 

Quelle expli­ca­tion peut-on don­ner des sala­ma­lecs des sau­vages, si com­pli­qués et qui paraissent si ridicules ?

À mon sens, ces sala­ma­lecs sont la démons­tra­tion le plus évi­dente, la plus expli­cite des bonnes inten­tions qu’on éprouve à l’é­gard du sem­blable qu’on ren­contre sur son che­min, de la non-inten­tion qu’on nour­rit de lui faire aucun mal et de l’en convaincre ― armé lui-même, il peut frap­per, tuer, s’il éprouve la moindre crainte.

Il est pos­sible que la connais­sance de l’u­ti­li­té des sala­ma­lecs se soit pen­due, de sorte que ceux qui les uti­lisent ne le fassent plus que par tradition. 

Je pré­tends que dans une socié­té où tous pos­sé­de­raient les mêmes moyens de menace, de contrainte les uns à l’é­gard des autres, cette pos­ses­sion don­ne­rait des indi­vi­dus de tact et de pré­ve­nances les uns à l’é­gard des autres. Et que l’exis­tence des Pou­voirs Orga­ni­sés serait impossible.

Je vou­drais bien lire une étude sérieuse, pous­sée, docu­men­tée sur la sus­cep­ti­bi­li­té et le tact des habi­tants des contrées où le port d’arme n’est pas pro­hi­bé, où il est pra­ti­qué par chacun.

F. Jouhet

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