Et alors on tombe sur La Lanterne Noire, premier numéro ; passé les présentations d’usage quel est leur premier thème de discussion ? Mais oui la DIVISION.
Pourtant moi je n’y voyais pas un si gros problème. D’accord sans doute parce que j’ai une vision simpliste, sinon simplette des choses. Le mieux serait peut-être que je vous fasse mon petit tour de piste sur le sujet, vous direz alors où je déraille.
Division technique, Division sociale.
Division technique ça correspondrait à une répartition des tâches et sociale, à une répartition hiérarchisée des individus en fonction de leurs tâches. Plutôt que « division sociale du travail » on pourrait dire « division sociale par le type de travail ».
Histoire de ne pas se compliquer la vie, admettons pour commencer la division technique. On aura le temps de s’occuper d’elle ensuite.
Pourquoi une hiérarchie des tâches ?
Un système capitaliste dénie en fait toute valeur au travail, seul le capital doit entrer en compte. C’est pourquoi les salaires seront essentiellement fixés en fonction de la valeur commerciale des biens produits et non en rapport avec les caractéristiques du travail.
L’évolution technique masque quelque peu cette réalité. Mais il est facile de réaliser que la parcellisation de la production en tâches élémentaires n’a pas apporté grand changement. Tout au plus peut-on se demander si l’O.S. accomplissant une opération unique dans l’élaboration d’un produit complexe n’est pas devenu prestataire de service plutôt que producteur.
Un autre facteur de hiérarchisation sera, dans une économie non-esclavagiste, la loi de l’offre et de la demande. La classe possédante s’y soumettra avec d’autant plus d’enthousiasme qu’elle y trouve sources de contradictions entre les travailleurs et moyens d’une politique de collaboration de classes.
C’est également l’occasion de créer un « domaine réservé » de « tâches-clefs ». De là le système de formation académique. Il n’y a aucune raison de séparer totalement le processus de formation de celui de production sociale. Le système des écoles et universités n’a d’autre but que de rendre l’accès à certaines connaissances quasi-impossible aux individus n’appartenant pas aux classes possédantes.
La division sociale n’est pas le fruit de la division technique, elle en a tiré profit tout simplement.
On ne voit pas dès lors ce qui pourrait favoriser une renaissance de la division sociale du travail dans une société non-hiérarchisée. Seule pourrait se poser la question des travaux aux caractéristiques propres spécialement pénibles. Ce serait l’occasion de regarder d’un peu plus près la notion de division technique et de rotation.
Pourquoi une division technique ?
« Car tout le monde ne peut pas TOUT connaître » ? Ne serait-il pas plus exact de dire que :
- Il n’est rien qui ne puisse être appris.
- Personne ne bénéficie d’une compétence universelle.
En d’autres termes on ne peut esquiver une certaine division technique du travail mais « compétence » et « spécialité » ne sont pas fatalement réservées à une minorité de sujets particulièrement doués.
De même la division manuels-intellectuels n’est que la conséquence de la division sociale du travail. Un manuel n’est somme toute pas autre chose qu’un intellectuel qui s’est vu interdire toute possibilité réelle de développement. On pourrait les comparer aux Chinoises aux pieds bandés, sans cette intervention elles auraient pu courir le « mille » avec des chances égales.
Tant que nous en sommes aux chinois, il faut noter que leur système de travail manuel obligatoire, de retour à la base et d’études passant par l’usine n’est pas sans intérêt. il y a là une ébauche de rotation mais avec un caractère totalitaire non négligeable.
Maintenant, dans une société non-hiérarchisée, ne serions-nous pas en présence d’une population composée uniquement de soi-disant intellectuels ? Faut-il vraiment, dans un tel cadre, concevoir des systèmes plus ou moins contraignants de rotation ?
Tout le monde ne serait pas qualifié pour remplir chaque tâche, mais pour chaque fonction il y aurait un grand nombre de compétences disponibles. Chacun pourrait accomplir sa part sociale, soit au niveau de sa plus haute technicité, soit à un quelconque poste « inférieur » au gré des besoins et de ses désirs.
Faut-il vraiment croire que dans des communautés autogérées il serait indispensable pour obtenir un bon équilibre de mettre en place des systèmes compliqués ? Quels privilèges pourrait-on rechercher ? D’autant plus que la variété dans le travail est hautement appréciable et que même un intellectuel a besoin d’activité physique. Sinon comment expliquer que des gens dépensent un argent somme toute pas si facilement gagné dans des « fitness-clubs » et autres gymnases ?
Il reste bien entendu des tâches particulièrement rebutantes ou dangereuses ; il n’est toutefois pas déraisonnable d’espérer qu’une « technologie libératrice » les prenne en charge. Mais de toute façon, on ne voit pas pourquoi une communauté libre ne pourrait arriver à les répartir heureusement. Que des individus tentent de s’arroger des privilèges dans une société oppressive, c’est normal. Il est douteux que l’on retrouve cette tendance dans des sociétés où le but de l’opération ne pourrait dépasser la dérobade devant une corvée limitée dans le temps.
Il est amusant de noter que le système capitaliste a, lui, pris conscience de la possibilité pratique de l’autogestion. Les expériences de Volvo dans l’industrie ne sont rien d’autre qu’une tentative de récupération. De même les thèses de Townsend se résument à la découverte de l’inutilité de la hiérarchie tant salariale qu’autoritaire, la question qu’il n’a pu résoudre, c’est comment appliquer cette « découverte » à l’échelon limité d’un atelier sans mettre en danger le système hiérarchique social… sur ce point on lui souhaite bien du plaisir.
Et voilà, comme ça c’est facile. La division sociale n’est pas conséquence obligatoire de la division technique mais bien le fruit monstrueux des amours de la hiérarchie avec l’échelle des salaires.
Et conclusion bien plaisante, trop peut-être, Je me fous dedans quelque part ? Expliquez, je vous prie, cela ne peut que faire du bien.