La Presse Anarchiste

L’affaire de l’Ouenza

Comment je découvris l’Ouenza

Dans le cou­rant de jan­vier 1908, l’U­nion Fédé­rale des ouvriers métal­lur­gistes m’en­voya en délé­ga­tion dans l’Est. Suc­ces­si­ve­ment je visi­tai Nan­cy, Pom­pey, Faux et Neuves-Mai­sons. Puis quit­tant le bas­sin de Nan­cy pour ceux de Longwy et de Briey, je visi­tai Jœuf, Homé­court, Hus­si­gny-God­brange, Sanlnes, Vil­le­rupt et Longwy.

Depuis les grèves de 1905, je n’é­tais pas retour­né dans ces régions. Hélas ! je pus me rendre compte que l’o­dieuse exploi­ta­tion qui y sévis­sait alors n’é­tait pas chan­gée. Au contraire, elle s’é­tait aggravée.

La plu­part des éco­no­mats, afin d’é­lu­der le pro­jet de loi dépo­sé au len­de­main des grèves de Longwy, par M. Flayelle, dépu­té des Vosges, avaient été « bap­ti­sés » coopératives.

Dans les usines, l’ar­ro­gance des poten­tats métal­lur­giques s’exer­çait avec le même cynisme et la même impu­ni­té. Des mil­liers de Belges, d’Al­le­mands, d’I­ta­liens et de Fran­çais conti­nuaient à être odieu­se­ment pres­su­rés. Tout être qui vou­lait vivre, pen­ser, s’or­ga­ni­ser pour agir, était immé­dia­te­ment affa­mé, chas­sé, expulsé.

Les bles­sés qui, en se cachant, osaient venir me deman­der conseil me par­laient avec la même ter­reur qu’au­tre­fois des bou­che­ries — hôpi­taux annexés aux usines — où on les oblige à se faire soigner.

Dans les mines de fer, les bas­cu­leurs, payés par les ouvriers, qui avaient été impo­sés par la grève pour contrô­ler le poids des wagon­nets de mine­rai, avaient été supprimés.

Bref, par­tout la ter­reur, l’é­pou­vante tenaient et tiennent encore cour­bés des mil­liers d’ou­vriers métallurgistes.

Aus­si est-ce le cœur tor­tu­ré par tous les récits lamen­tables, que j’a­vais enten­dus, que j’ar­ri­vai à Longwy un dimanche à 7 heures et demie du matin. Contrai­re­ment à mon attente, per­sonne n’é­tait à la gare. N’ayant pas l’a­dresse des cama­rades qui m’a­vaient écrit, je me dis qu’au train sui­vant ils vien­draient me prendre et j’at­ten­dis au café.

Ayant été mêlé des mois durant aux grèves de Longwy, je fus vite recon­nu. Les consom­ma­teurs pré­sents ne se génèrent pas pour me dévi­sa­ger et bien­tôt les injures habi­tuelles : agent de l’é­tran­ger, payé par les Alle­mands, anar­chiste, etc., arri­vèrent à mes oreilles.

Je me gar­dais bien de répondre, lisant tran­quille­ment mon jour­nal. Mais un grand gaillard vint s’as­seoir à ma table et alors s’en­ga­gea le dia­logue suivant :

— Vous êtes bien Mer­rheim, de Paris ?

— Oui, et après ?

— Qu’est-ce que vous venez encore faire par ici ?

— Met­tez que cela ne vous regarde pas.

— C’est pos­sible, mais j’ai bien le droit de vous le demander.

— Et moi de refu­ser de vous répondre.

— Droits égaux, me rétor­qua-t-il en riant. Cepen­dant vous devez en avoir assez, voyons ! Pour­quoi  ? Pour­quoi atta­quer les Acié­ries comme vous le faites ? Vous ne réus­si­rez qu’à vous faire condam­ner chaque fois. Voyez : à Briey, à Nan­cy, à Paris, par­tout, c’est vous qui avez été condamné.

— Et après ? Si cela me plaît à moi d’être le per­pé­tuel condamné !

— Mais, enfin, votre cam­pagne ne sau­rait abou­tir. Vous venez, aujourd’­hui, pour faire une réunion ici, vous ne la ferez pas. Ce sera demain comme aujourd’­hui ; nous sommes les plus forts.

— Nous ver­rons bien. En tout cas, vous pou­vez faire à ceux qui sont les plus forts, que je pré­pare une cam­pagne sur leurs mines, qui comptera…

Mon inter­lo­cu­teur par­tit d’un grand rire. — Mon pauvre gar­çon, nous nous en fichons comme de vous-même. Puisque ça vous plaît d’être condam­né, on vous pour­sui­vra, et soyez sûr qu’on ne vous man­que­ra pas. C’est déci­dé et vous avez dû vous en apercevoir.

— Mais qui êtes-vous ?

— Un ingé­nieur qui vous conseille avant d’en­tre­prendre votre cam­pagne — nou­veaux rires — de jeter un coup d’œil sur l’Ouen­za. Nous aurons la Meurthe-et-Moselle comme nous le vou­drons et plus faci­le­ment encore l’Ouenza.

La conver­sa­tion tour­na alors en dis­pute et je quit­tai le café.

L’in­gé­nieur — ou pré­ten­du tel — avait raison.

La réunion n’eut pas lieu. En face de la salle qui avait été rete­nue, deux jaunes se tenaient avec un sur­veillant des Acié­ries, un appa­reil pho­to­gra­phique ins­tan­ta­né à la main. Pas un ouvrier n’o­sa péné­trer à la réunion, et les deux cama­rades qui vinrent me retrou­ver furent ren­voyés quelque temps après.

Mais ren­tré à Paris, je n’ou­bliai pas mon ingé­nieur et son défi. Je me mis en quête de ren­sei­gne­ments sur ce mys­té­rieux Ouen­za dont j’a­vais enten­du par­ler là-bas pour la pre­mière fois.

Le gisement de l’Ouenza

[|Sa richesse en fer… et en cuivre, en plomb, en zinc|]

Les gise­ments de fer de l’Ouen­za, dans le dépar­te­ment de Constan­tine, sont connus depuis long­temps. C’est, dit-on, une masse de fer de 30 à 40 mil­lions, assez impor­tante sans doute, mais qui ne repré­sente guère plus, comme ton­nage, que la plus petite des conces­sions de Briey, dans le dépar­te­ment de Meurthe-et-Moselle.

Jon­nart. Décla­ra­tion à la Chambre des dépu­tés. (Séance du 21 jan­vier 1910.)

L’Ouen­za est situé à une cen­taine de kilo­mètres à vol d’oi­seau, au sud du port de Bône (dépar­te­ment de Constan­tine), sur la com­mune mixte de Mor­sott. La conces­sion a une éten­due de 3.079 hectares.

Quelle est l’im­por­tance de ce gise­ment ? Voi­ci un pre­mier point à éclaircir.

M. Jon­nart reprend à son compte l’af­fir­ma­tion émise dans un article de la Revue Poli­tique et Par­le­men­taire [[Numé­ro du 10 jan­vier 1909.]], signé XXX. Ce mys­té­rieux ano­ny­mat recouvre l’in­gé­nieur Car­bon­nel, des ser­vices de M. Schnei­der, dont nous aurons à reparler.

« L’Ouen­za-Bône, écri­vait XXX, repré­sente 40 à 45 mil­lions de tonnes de minerai. »

Cette affir­ma­tion est abso­lu­ment fausse. L’Ouen­za recèle un nombre plus éle­vé de tonnes de fer et il pos­sède en outre d’autres métaux qui accroissent la valeur de la concession.

Écou­tons M. Labor­dère [[ Revue de Paris, n° du 15 février 1909, p. 809.]] :

Le Dje­bel-Ouen­za, la col­line .fer­ru­gi­neuse, la masse de mine­rai de fer spé­ciale dont on s’oc­cupe actuel­le­ment, n’est pas en effet un acci­dent iso­lé de miné­ra­li­sa­tion. Dans un rayon d’une soixan­taine de kilo­mètres autour du Dje­bel-Ouen­za, il y a d’autres masses de mine­rai de fer, secon­daires, mais encore impor­tantes, dont l’en­semble peut atteindre 50 mil­lions de tonnes. Ajou­tez, semble-t-il, d’as­sez nom­breuses poches de cala­mine (zinc), des filons plom­beux ; enfin, avec un peu — ou beau­coup — d’i­ma­gi­na­tion, on peut entre­voir qu’un des gros élé­ments d’a­ve­nir de cette région, c’est le cuivre : il y a, paraît-il, dans le Dje­bel-Ouen­za lui-même, des kilo­mètres de gale­ries romaines qui ont ser­vi à exploi­ter le mine­rai pour ses teneurs de cuivre.

Les décla­ra­tions dé M. Labor­dère devaient être pré­ci­sées, peu de temps après, par M. Bor­dy dans l’Infor­ma­tion [[Numé­ro du 30 mars 1909.]]. Nous appre­nions alors que

L’un des plus dis­tin­gués ingé­nieurs des Mines de l’État a esti­mé la puis­sance du gise­ment de l’Ouen­za à 150 mil­lions de tonnes. Ce n’est pas tout ; sous le cha­peau de fer se trouve un énorme gise­ment de cuivre, lequel est à l’é­tat d’oxyde de mala­chite, uzu­rite et cuprite avec des veines et noyaux de cuivre gris argentifère.

Cette mine de Cuivre de l’Ouen­za est la plus impor­tante de toute l’Al­gé­rie-Tuni­sie ; les mine­rais tout venant qu’on y exploi­tait en 1905, par gale­ries sou­ter­raines ou à ciel ouvert, ont une teneur moyenne de 5 p. 100 de cuivre métal­lique. Aux fameuses mines de Rio-Tin­to, la teneur moyenne est seule­ment de 2,88 p. 100.

En accor­dant la conces­sion de l’Ouen­za, c’est toute la région que l’on accorde. Ce n’est pas sim­ple­ment le mine­rai de fer qu’on peut éva­luer au mini­mum à cent cin­quante mil­lions de tonnes [[Au der­nier moment, M. Fran­cis Laur écrit dans l’Infor­ma­tion (n° du 2 février 1910) : « …Il est connu, avé­ré que la par­tie seule du gise­ment appe­lée Sainte-Barbe contient 30 mil­lions de tonnes de mine­rai et c’est le plus petit mor­ceau de l’Ouen­za. Les plus modestes esti­ma­tions ont accu­sé un total de 70 mil­lions de tonnes et l’on est plu­tôt d’ac­cord sur celui de cent millions.

Mais le gîte de l’Ouen­za est insé­pa­rable de celui de Bou-Kadra, un peu plus au sud et qui contient encore plus de 50 mil­lions. Il y a donc là 150 à 200 mil­lions de tonnes de mine­rai de fer. »]], mais encore les mine­rais de zinc, de plomb et de cuivre.

Un rap­port de l’in­gé­nieur des mines Jacob, daté du 3 juin 1903, dit tex­tuel­le­ment que le cuivre est mélan­gé au fer et qu’on sera obli­gé de les extraire ensemble.

M. Jon­nart, pas plus que les porte-plumes du Creu­sot, n’a­vouent donc la richesse réelle du gisement.

Ce gise­ment pos­sède une valeur plus grande encore quand on exa­mine le mar­ché inter­na­tio­nal du fer.

[|Son impor­tance internationale

La famine du fer
|]

Le gise­ment du Dje­bel-Ouen­za tire sa valeur de deux faits :

  1. Les prin­ci­pales nations métal­lur­giques, l’A­mé­rique, l’An­gle­terre et l’Al­le­magne, sont à la veille de voir leurs gise­ments de mine­rai de fer épuisés ;
  2. Le mine­rai non phos­pho­reux de l’Ouen­za est indis­pen­sable pour les fabri­ca­tions spé­ciales de canons, obus, plaques de blin­dages, etc.

Exa­mi­nons le pre­mier fait.

Il n’est pas pos­sible de le contes­ter. Aus­si, en a‑t-on pu trou­ver sous la signa­ture XXX (alias Car­bon­nel) la recon­nais­sance éclatante :

L’An­gle­terre, qui est, à l’heure actuelle, le pre­mier mar­chand de char­bon du monde, n’a plus en mine­rai de fer que des réserves tout à fait insuf­fi­santes ; elle épuise les lam­beaux de quelques gise­ments d’hé­ma­tite à haute teneur, et voit, d’an­née en année, bais­ser de qua­li­té et dimi­nuer de quan­ti­té le ren­de­ment de ses fers car­bo­na­tés du Cle­ve­land. Il lui faut dès aujourd’­hui 8 mil­lions dé tonnes de mine­rai par an [[ Revue Poli­tique et Par­le­men­taire, n° du 10 jan­vier 1909, page 46.]].

Où ira-t-elle les chercher ?

En Espagne ? Les gise­ments qu’elle y pos­sède à San­tan­der, à Car­tha­gène, etc., sont presque épui­sés et ce qui reste revient à un prix trop élevé.

Les métal­lur­gistes anglais sont donc en quête de minee­rai. En France, avec quelques firmes alle­mandes, ils acca­parent petit à petit la pro­duc­tion des prin­ci­pales mines de fer des Pyré­nées-Orien­tales. Le tra­fic e Port-Vendres avec l’An­gle­terre est deve­nu fort important.

Les ini­tiés connaissent le « Consor­tium anglo-alle­mand et fran­çais des mines de fer du Cani­gou », pro­prié­taire des mines de Riols, à Ver­net-les-Bains, de celles de Ria, des Holt­zer ; de Bal­les­ta­vy, de Pauillac. On affir­mait fin sep­tembre 1908, qu’il cher­chait à acca­pa­rer les mines de Filliols. Des pro­po­si­tions furent faites à ces mines de louer leurs conces­sions pen­dant vingt ans moyen­nant une rede­vance de cent mille francs par an, soit deux mil­lions de francs.

La Meurthe-et-Moselle ne tar­de­ra pas non plus à leur four­nir du mine­rai. Un ingé­nieur, ins­pec­teur des mines de l’Est pour le compte de l’État, M, Bailly, a indi­qué un moyen simple et pra­tique pour mettre d’ac­cord métal­lur­gistes anglais et français.

Les mine­rais de l’Est seraient expé­diés par wagons et navires en Angle­terre. Au prix moyen de 3 francs la tonne sur le car­reau de la mine, auquel s’a­jou­te­rait le coût du trans­port, soit dix francs la tonne, jus­qu’à un port anglais via Dun­kerque, ce mine­rai serait ren­du au prix de, 13 à 14 francs la tonne en Angleterre.

Or, à qua­li­té égale (40. p. 100) le prix moyen du mine­rai anglais est, au mini­mum, de 18 francs la tonne. D’où béné­fice par tonne de 4 francs pour les métal­lur­gistes anglais.

Les métal­lur­gistes de l’Est y trou­ve­raient, eux, cet avan­tage que les wagons et navires pren­draient, comme fret de retour, les excel­lents char­bons de Durham.

Pour y arri­ver, il suf­fi­rait de com­bi­ner les tarifs (c’est-à-dire de les abais­ser) : il y aurait là un excellent moyen d’é­chap­per au Koh­len-Syn­di­cat (syn­di­cat des cokes alle­mands) qui tient à sa mer­ci les métal­lur­gistes de l’Est.

Mais, « à cette heure — écri­vait M. Bailly [[M. Bailly a reçu très récem­ment (1909) la récom­pense de ses ser­vices. Il a quit­té le ser­vice de l’É­tat pour celui du Comi­té des Forges et des Mines de fer de Meurthe-et-Moselle, qui a créé un ser­vice spé­cial d’é­tudes des com­bus­tibles, dont il est le chef.]], en 1907, dans une lettre aux métal­lur­gistes anglais qui lui avaient deman­dé avis — les usines métal­lur­giques de West­pha­lie s’in­té­ressent acti­ve­ment aux exploi­ta­tions du bas­sin de Briey, il serait à dési­rer que les indus­triels ne se lais­sassent pas trop devan­cer par leurs rivaux alle­mands comme ils se sont lais­sés exclure par eux des mines de Suède ».

Si nous nous tour­nons du côté de la Bel­gique, nous trou­vons une situa­tion iden­tique à celle de l’An­gle­terre. Les Belges réclament à cor et à cri le « pain » des hauts-four­neaux. Ils ont des mines de fer en Lor­raine alle­mande, mais, hélas ! moins bonnes que nos mines de l’Est. Nous pour­rions dési­gner une usine qui, ayant des mines en Lor­raine alle­mande, pré­fère s’ap­pro­vi­sion­ner en Meurthe-et-Moselle, parce que, à tous les points de vue, elle y trouve avantage.

Actuel­le­ment ; les Belges construisent des wagons vingt tonnes pour trans­por­ter, en Bel­gique, le mirai de Briey.

Res­tent les Allemands.

Plus que tous les autres, ils ont besoin de nos mine­rais. Leurs mines s’é­puisent de plus en plus. Jus­qu’en 1898, les Alle­mands expor­tèrent leurs mine­rais de fer. Mais, à mesure que leur métal­lur­gie se déve­lop­pait, leur extrac­tion deve­nait insuf­fi­sante. D’ex­por­ta­trice qu’elle était en 1898, l’Al­le­magne main­te­nant demande, chaque année, plus de huit mil­lions de tonnes de mine­rai de fer aux autres nations. Sa pro­duc­tion de mine­rai de fer a été de 27.697.000 tonnes en 1907. L’é­tran­ger lui en a four­ni 8.476.000 tonnes. La Suède entre dans ce chiffre pour 3.603.000 tonnes. L’Es­pagne pour 2.149.000 tonnes, et la France pour 792.000 tonnes.

C’est pour­quoi, dans la Meurthe-et-Moselle, depuis 1900, ils ont suc­ces­si­ve­ment acca­pa­ré des mil­liers d’hec­tares de conces­sions. Voi­ci une liste de ces concessions :

1900. — Conces­sion de Batilly à Briey (éten­due, 688 hec­tares) ; acqué­reur, A. Thyssen.

1902. — Conces­sion de Joua­ville à Briey (éten­due, 1.032 hec­tares) ; acqué­reur, A. Thyssen.

1902. — Conces­sion de Mou­tiers à Briey (éten­due, 696 hec­tares) ; acqué­reur, Deutsch Luxem­bur­gische Berg Werks und Hut­ten (part, 25 p. 100).

1903. — Conces­sion d’Hé­rou­ville ; acqué­reur, Socié­té des mines de Luxem­bourg et des forges de Sarrebruck.

1906. — Conces­sion Pul­ven­teux à Longwy (éten­due, 216 hec­tares) ; acqué­reur, Rochling et Cie.

1906. — Conces­sion Val­le­roy à Briey. (éten­due, 886 hec­tares) ; acqué­reur, le même (part de 50 p. 100).

1906. — Saint-Pier­re­mont (Nord) à Briey (éten­due, 325 hec­tares) ; acqué­reur, Aachener.

1906. — Saint-Pier­re­mont (Sud) à Briey (éten­due, 250 hec­tares) ; acqué­reur, le même (part de 7 ½).

Enfin, en 1908, la conces­sion de mine­rai de fer de Lérou­ville fut ache­tée par la Socié­té Rume­lange-Saint-Ing­bert de Sar­re­bruck, et la conces­sion de Bel­le­vue, située à Briey, acquise par l’u­sine Bur­bach (Sar­re­bruck). Ces deux conces­sions, d’une éten­due de 1.309 hec­tares, sont situées, comme celles qui ont déjà été ache­tées par des Socié­tés alle­mandes, dans la par­tie la plus riche et la plus faci­le­ment exploi­table des gise­ments de Meurthe-et-Moselle.

Soit près de cinq mille hec­tares de ter­rains ferrifères.

Aus­si­tôt en pos­ses­sion de ces conces­sions, les métal­lur­gistes alle­mands firent des efforts auprès de leur gou­ver­ne­ment pour allé­ger les frais de transport.

Le coût de trans­port d’une tonne de mine­rai de Conflans-Jar­ny (Meurthe-et-Moselle), à Dort­mund (Alle­magne) était de 8 marks 32. Le 1er mars 1908, la direc­tion des che­mins de fer alle­mands abais­sait ce tarif à 6 marks 93, soit une dimi­nu­tion de 1 mark 39 pfen­nig par tonne.

Ce tarif est appli­cable aux sta­tions fron­tières fran­co-alle­mandes, à celles d’Al­sace-Lor­raine, du Luxem­bourg et des che­mins de fer prus­siens et hes­sois, ces der­niers com­pre­nant toute la West­pha­lie.

De leur côté les métal­lur­gistes fran­çais firent des démarches auprès de la Com­pa­gnie des che­mins de, fer de l’Est pour faire dimi­nuer les tarifs de trans­port de mine­rai. Le comte de Sain­ti­gnon, l’un des diri­geants du Comp­toir des fontes de Longwy et membre du Comi­té des Forges de France, entra comme admi­nis­tra­teur à la Com­pa­gnie des che­mins de fer de l’Est dans le but évident de rema­nier les tarifs. Il a obte­nu satisfaction.

Ce n’est pas tout. Dans le Coten­tin on a décou­vert des gise­ments de fer qui s’é­tendent sur près de 100 kilo­mètres, si l’on en croit les spé­cia­listes. Or, ces gise­ments sont acca­pa­rés. Par qui ?

Par les firmes Krupp et Thys­sen, les mêmes qu’on retrouve dans l’Ouenza.

Mais ces mine­rais ne répondent pas à tous les besoins ; ils sont à faible teneur, par consé­quent impropres aux fabri­ca­tions spé­ciales de la marine et de la guerre.

Le mine­rai de l’Ouen­za, au contraire, est propre à ces fabri­ca­tions. Jon­nart le pro­cla­mait, le 21 jan­vier der­nier, à la tri­bune de la Chambre :

Le mine­rai de l’Ouen­za peut être uti­li­sé par la plu­part des usines métal­lur­giques de France. C’est un mine­rai non phos­pho­reux qui ne convient qu’à quelques grandes usines d’Eu­rope, à celles qui se livrent à des fabri­ca­tions spé­ciales perfectionnées.

Et il ajoutait :

Dès l’ins­tant où les consom­ma­teurs belges, alle­mands et anglais, moins favo­ri­sés que les nôtres, se voient dans l’o­bli­ga­tion d’im­por­ter, pour­quoi serait-ce un crime de dis­pu­ter leur clien­tèle à la Suède et à l’Espagne ?

[|Les mine­rais sué­dois|]

Dis­pu­ter la clien­tèle de l’Es­pagne et de la Suède ? Men­songe ! Un de plus à ajou­ter à la série des men­songes pro­fé­rés par le Gou­ver­neur géné­ral de l’Al­gé­rie dans cette affaire de l’Ouenza.

Mon témoi­gnage ne suf­fi­rait pas à convaincre M. Jon­nart de faus­se­té. Mais il m’est pos­sible d’in­vo­quer celui du col­la­bo­ra­teur de la Revue de Paris M. Labor­dère [[ Revue de Paris, n° du 15 février 1909, page 803.]] :

L’An­gle­terre n’en a plus guère que pour sept ans de ses mine­rais non phos­pho­reux ; Bil­bao ces­se­ra dans un temps moins proche, mais pas très loin­tain, d’ex­por­ter de grandes quan­ti­tés de mine­rai de fer riche. L’es­poir de la métal­lur­gie anglaise, l’es­poir de la métal­lur­gie alle­mande en tant qu’elles doivent impor­ter des mine­rais riches, est donc concen­tré sur les réserves de mine­rai à haute teneur, se chif­frant celles-là par cen­taines de mil­lions de tonnes, qui existent dans la Lapo­nie suédoise.

La Lapo­nie sué­doise pos­sède en effet de riches mine­rais de fer. Mais…, il y a un mais, depuis 1907, un contrat a été conclu entre l’É­tat sué­dois et les Mines laponnes, rédui­sant dans de grandes pro­por­tions le mine­rai exportable.

Par ce contrat, sans bourse délier, l’É­tat sué­dois sera en pos­ses­sion, en 1938, de la moi­tié des actions de ces mines.

À deux socié­tés les plus impor­tantes — Kiru­na­va­ra et Gel­li­va­ra — il a assi­gné un nombre maxi­mum de tonnes qui, pen­dant une période de vingt-cinq ans, pour­ront être livrées à l’exportation.

En sorte qu’au­jourd’­hui, « excep­té Kou­ti­va­ra, Kos­kulls-Kulle, Tuol­lu­va­ra, tout appar­tient direc­te­ment à l’É­tat sous réserve de n’en rien extraire avant 1932 pour l’ex­por­ta­tion, et à par­tir de 1932, le com­plé­ment, Kiru­na­va­ra et Gel­li­vare peut être ache­té [[. Nicou. La Suède. Ses mine­rais de fer. Son indus­trie sidé­rur­gique, page 23.]] ».

D’a­près M. Nicou (page 22) Kiru­na­va­ra et Gel­li­vare pour­ront expor­ter 2.500.000 tonnes en 1908 et atteindre pro­gres­si­ve­ment 3.700.000 tonnes en 1911 et 4.462.000 de 1920 à 1932.

Plus loin, page 26, il indique : « Les der­niers contrats avec la Wes­pha­lie pas­sés par les mines laponnes s’ap­pliquent à 14 mil­lions de tonnes à livrer de 1908 à 1918. »

Enfin, s’il est inter­dit, jus­qu’en 1910, au gou­vernent sué­dois, par un trai­té de com­merce avec l’Al­le­magne, de frap­per d’un droit d’ex­por­ta­tion les mine­rais sué­dois, il est pos­sible qu’il le fasse à l’ex­pi­ra­tion de ce traité.

Et alors ?…

Alors, déclare M. Labor­dère, grâce aux mil­lions de tonnes de l’Ouen­za, le consor­tium aura entre les mains une arme avec laquelle, à cer­tains moments, il pour­ra faire flé­chir les pré­ten­tions du grand pays expor­ta­teur de mine­rais de fer riche qu’est la Suède…

… Pour ces métal­lur­gies (alle­mande et anglaise), l’Ouen­za doit appa­raître un peu — n’exa­gé­rons rien — comme la clef du réser­voir sué­dois de mine­rais. C’est l’a­tout d’un mar­chan­dage. Par une pres­sion dont l’Ouen­za leur don­ne­rait le moyen, il est bien à parier qu’elles espèrent tirer, plus de mine­rai et à meilleur prix de la Suède [[ Revue de Paris, n° du 15 février 1909, pp. 803 et 804]].

Cette pré­vi­sion de M. Labor­dère prend une forme pro­fonde de véri­té quand nous voyons M. Jon­nart décla­rer au Par­le­ment : « J’en­tends au contraire lut­ter contre la concur­rence sué­doise et espa­gnole [[Pre­mière séance du 21 jan­vier 1910. Offi­ciel, page 241.]]. »

C’est Krupp, qui parle ain­si, par la bouche de M. Jonnart.

Sans exa­gé­ra­tion aucune, M. Labor­dère avait vu juste, très juste dans le jeu du consortium.

À défaut de pré­vi­sions de guerre avec les­quelles nous pour­rions mon­trer les artilleurs alle­mands nous envoyant des bou­lets fabri­qués avec le mine­rai de l’Ouen­za, Il est une autre consi­dé­ra­tion extrê­me­ment importante.

Les métal­lur­gistes fran­çais, les Schnei­der, les Dreux, les Magnin, ont fait voter le main­tien du droit de douane de 15 francs sur les fontes, éga­le­ment voté par M. Jau­rès. Pen­dant qu’ils fai­saient cela, ils met­taient entre les mains de leurs concur­rents belges, anglais et alle­mands la « moelle » qui allait leur per­mettre d’ac­cen­tuer cette concurrence.

Qu’on s’i­ma­gine la France, au contraire, maî­tresse de son mar­ché de mine­rai, ce mine­rai, deve­nu indis­pen­sable à la métal­lur­gie euro­péenne. La voi­là mieux armée, plus résis­tante pour faire face à cette concurrence.

Par­tout s’ac­cen­tue le besoin de mine­rai. Fait digne de remarque, l’A­mé­rique elle-même recherche les mine­rais à haute teneur. L’Infor­ma­tion (28 déc. 1909) annon­çait que le Steel Trust venait d’en­le­ver à l’Al­le­magne un mar­ché de 1.200.000 tonnes de mine­rai de fer de Kiru­na­va­ra et Gel­li­va­ra, en Suède [[L’A­mé­rique vient de se voir refu­ser par la Suède une demande de 100.000 tonnes de mine­rai, des­ti­nées à l’a­li­men­ta­tion d’un nou­veau haut-four­neau devant être, bien­tôt mis à feu. (Écho des Mines, 3 février 1910.)]].

Et c’est le moment que choi­sit M. Jon­nart pour livrer. le mine­rai de l’Ouen­za à prix de revient, sans condi­tions pour les ouvriers, sans avan­tages pour l’Al­gé­rie, aux métal­lur­gistes belges, alle­mands et français !

Pour jus­ti­fier cette déci­sion, M. Jon­nart a eu le tou­pet de décla­rer devant la com­mis­sion des tra­vaux publics : « Si notre pro­jet échoue, le Dje­bel-Ouen­za ne sera pas exploi­té, car on ne recons­ti­tue­ra pas un consor­tium capable d’ab­sor­ber au prix de revient toute la pro­duc­tion de l’Ouen­za. »

Au cours de ce cha­pitre j’ai démon­tré de façon pro­bante que ce n’est là qu’un men­songe. Il est avé­ré qu’à n’im­porte quel prix, les Anglais et les Alle­mands achè­te­raient pour leur fabri­ca­tion spé­ciale, les mine­rais de l’Ouenza.

Ce n’est pas à pro­pos d’un gise­ment sans valeur et sans impor­tance inter­na­tio­nale que la bande Krupp-Schnei­der s’est bat­tue avec la bande, Pas­cal-Por­ta­lis pen­dant près de dix ans. Cette vive et longue chi­cane, nous la retra­ce­rons dans un ins­tant ; elle montre sous une lumière trop crue com­ment tous les pou­voirs admi­nis­tra­tifs et poli­tiques se mettent aux genoux des barons du Comi­té des Forges, pour que nous ne l’u­ti­li­sions, comme un exemple, en faveur de notre pro­pa­gande révolutionnaire.

Mais l’es­sen­tiel de la ques­tion, ce qui nous inté­resse par des­sus tout dans cette affaire de l’Ouen­za, c’est autre chose : quelles garan­ties sont accor­dées aux tra­vailleurs qui demain extrai­ront le mine­rai de l’Ouenza ?

Les garanties ouvrières

Voi­ci un gise­ment d’une richesse consi­dé­rable. Il appar­tient à la nation ; il est pro­prié­té commune.

Le gou­ver­ne­ment de l’Al­gé­rie va-t-il le mettre dou­ce­ment dans les mains du consor­tium Krupp-Schnei­der et lui dire « Voi­ci 150 mil­lions de tonnes de mine­rai de fer qui repré­sentent une valeur mar­chande de 3 mil­liards. Je vous en fais roya­le­ment cadeau. Lais­sez-moi quelques miettes seule­ment. Quant aux ouvriers que vous occu­pe­rez, arran­gez-vous avec eux et « arran­gez-les » à votre sauce ! »

C’est ce que le gou­ver­ne­ment de l’Al­gé­rie, de mèche avec le consor­tium, veut faire. C’est ce que la Chambre des dépu­tés est à la veille de sanctionner.

Don­ner ce mine­rai sans garan­ties pour les tra­vailleurs, c’est auto­ri­ser les pro­cé­dés d’o­dieuse exploi­ta­tion que les barons de la métal­lur­gie appliquent en Meurthe-et-Moselle.

Car l’Ouen­za et la Meurthe-et-Moselle se tiennent. Ce sont les mêmes socié­tés qui courbent aujourd’­hui sous leur tyran­nie des mil­liers de tra­vailleurs en Meurthe-et-Moselle, qui exploi­te­ront demain l’Ouen­za, les étran­gers n’ap­pa­rais­sant que pour enle­ver le minerai.

Ce sera Schnei­der, Cha­tillon-Com­men­try, Neuves-Mai­sons, les Acié­ries de la Marine et d’Ho­mé­court qui exploiteront.

Nous ne vou­lons pas que les tra­vailleurs algé­riens leur soient livrés sans condi­tions. Pour leurs maîtres et direc­teurs ils seraient de la chair à tra­vail qu’on exploi­te­rait sans mer­ci ni pitié, comme en Meurthe-et-Moselle.

Assez de crimes sont com­mis jour­nel­le­ment dans l’Est, pour que nous nous oppo­sions de toutes nos forces à ce qu’il en soit ain­si demain dans l’Ouenza.

Nous en avons assez d’en­tendre leurs plaintes. Nous vou­lons libé­rer les tra­vailleurs à venir de l’Ouen­za et les SERFS d’à-pré­sent de la Meurthe-et-Moselle.

Actuel­le­ment, ces régions sont le réser­voir mon­dial des métal­lur­gistes, c’est bien le moins que le tra­vailleurs en profitent.

Nous par­le­rons un jour pro­chain de la Meurthe-et-Moselle. Voyons com­ment se pré­sente aujourd’­hui la ques­tion de l’Ouenza.

« Il s’a­git, dans l’es­pèce, de l’a­mo­dia­tion d’une minière [[Les gise­ments sus­cep­tibles d’être exploi­tés à ciel ouvert consti­tuent ce que la loi appelle une minière.

Les gise­ments qui ne peuvent être exploi­tés que par des gale­ries sou­ter­raines consti­tuent les mines.

Mines et minières sont sou­mises à de régimes légaux différents.

Tan­dis que la mine consti­tue une pro­prié­té immo­bi­lière, dis­tincte du sol, et fait l’ob­jet d’une conces­sion de l’É­tat, la minière fait par­tie inté­grante du sol et est exploi­tée par le pro­prié­taire de la sur­face ou par ses ayants droit.

Dans la ques­tion de l’Ouen­za, la minière étant située sur un ter­rain doma­nial, l’Al­gé­rie est donc maî­tresse de la sur­face, par consé­quent pro­prié­taire de la minière.]], en ter­rain doma­nial, c’est-à-dire du bail d’une pro­prié­té de l’Al­gé­rie », décla­ra M. Jon­nart à la Chambre le 21 jan­vier der­nier. L’Al­gé­rie est donc bien pro­prié­taire de la conces­sion. Elle peut impo­ser ; il faut qu’elle impose aux conces­sion­naires des garan­ties pour les ouvriers.

Qu’on n’al­lègue pas que c’est impos­sible. Il suf­fit de vou­loir le faire. L’Al­gé­rie est pro­prié­taire, comme l’é­tait la com­mune de Fumay, dans les Ardennes, quand en concé­dant des ardoi­sières elle récla­mait et impo­sait des garan­ties pour les ouvriers.

Ce que cette com­mune a obte­nu parce que pro­prié­taire, l’Al­gé­rie pour l’Ouen­za, l’É­tat pour la Meurthe-et-Moselle doivent pou­voir l’obtenir.

[|L’exemple des ardoi­sières de Fumay|]

[|La jour­née de huit heures et le mini­mum de salaire

y sont en vigueur depuis 1863
|]

Une pre­mière fois, en 1863, la ville de Fumay concé­dait à une Socié­té dite « Ardoi­sières du Mou­lin de Sainte-Anne » 8 hec­tares de fonds communaux.

Par un contrat — approu­vé par le pré­fet impé­rial — la ville de Fumay impo­sait au conces­sion­naire UN MINIMUM DE SALAIRES et une échelle d’aug­men­ta­tion de ces salaires, basée sur le prix de vente.

outre, l’ar­ticle 3 sti­pu­lait que les conces­sion­naires s’o­bli­geaient conjoin­te­ment à livrer à la com­mune Fumay le vingt-hui­tième pen­dant dix ans et le tren­tième après cette période de tous les pro­duits mar­chands extraits de la concession.

L’ar­ticle 4 indique que la rede­vance sti­pu­lée en nature, serait conver­tie et payée en espèces par le concessionnaire.

L’ar­ticle 5 éta­blit le mini­mum des salaires des ouvriers mineurs et fen­deurs d’ardoises.

De ce mini­mum, basé sur le prix du mille d’ar­doises qui était de 14 francs, il res­sort que le fen­deur de 1re classe devait être payé 3 fr. 20, celui de 2e classe 3 fr. 60 et celui de 3e classe 5 francs par jour.

Les mineurs avaient un salaire mini­mum de 17 fr. par semaine en troi­sième classe, 15 en seconde et 13 en pre­mière classe.

L’é­chelle de pro­gres­sion des salaires ne compte pas moins de trente clauses réglant auto­ma­ti­que­ment les salaires sur le prix de vente du mille d’ar­doises. Chaque fois que la com­mune accor­dait une nou­velle conces­sion, ou un agran­dis­se­ment, elle impo­sait de nou­veaux avantages.

[|Un modèle de sta­tuts|]

En 1889, une Socié­té belge deman­da de nou­velles conces­sions. La muni­ci­pa­li­té socia­liste de Fumay ne put pas moins faire que celle de l’Em­pire : elle impo­sa un contrat sem­blable au pré­cé­dent, dont voi­ci les prin­ci­pales clauses :

[(ARTICLE PREMIER. — Pour prix de cette conces­sion, la socié­té Sainte-Dési­rée paie­ra à la com­mune de Fumay, tant pour l’ex­ploi­ta­tion des tré­fonds pré­sen­te­ment et concé­dés pré­cé­dem­ment, une rede­vance annuelle égale à la cin­quan­tième de tous les pro­duits mar­chands de son exploi­ta­tion, et ce jus­qu’au trente et un décembre 1909. À par­tir de cette date, celte rede­vance sera por­tée à la tren­tième pour tout le res­tant de la durée de l’ex­ploi­ta­tion.

ART. 2. — Jamais la rede­vance ne pour­ra être infé­rieure deux mille francs par an.

[|CONDITIONS SPÉCIALES À TOUS LES OUVRIERS|]

ART. 1. — La jour­née de l’ou­vrier mineur se fera consé­cu­ti­ve­ment sans heures d’in­ter­rup­tion ; les ouvriers tra­vaille­ront, tou­jours selon l’u­sage éta­bli par eux.

La jour­née ordi­naire sera, pour l’ou­vrier mineur, de huit heures, celle du lun­di ne sera que de quatre heures, mais payée à l’ou­vrier comme complète.

Tous les ouvriers tra­vaillant dans la fosse auront droit à deux heures de repos la veille des fêtes suivantes :

1er jan­vier, Pâques, Saint-Georges, Ascen­sion, Pen­te­côte, Fête-Dieu, 14 Juillet, Assomp­tion, Rosaire, Tous­saint, Sainte-Barbe et Noël. Ils auront éga­le­ment droit à deux heures de repos le len­de­main des fêtes ci-après :

1er jan­vier, Mar­di-gras, Ascen­sion, 14 Juillet, Sainte-Barbe, Noël. Les dimanches et jours de fêtes seront tou­jours consi­dé­rés comme jours de repos.

ART. 2. — Les ouvriers débi­teurs devront tou­jours être deux pen­dant le jour et trois pen­dant la nuit, soit pour cou­per, soit pour débi­ter dans le même ouvrage.

ART. 4. — Le salaire des ouvriers mineurs ne sera pas infé­rieur à 60 francs par quin­zaine, ou cinq francs par jour, quel que soit le prix de vente du mille de fla­mande en des­sous de 20 francs.

À par­tir du prix de vente de 20 francs par mille de fla­mande, quand cette ardoise subi­ra une aug­men­ta­tion de un franc par mille, l’ou­vrier mineur devra rece­voir une aug­men­ta­tion de deux francs cin­quante cen­times par quin­zaine, et réci­pro­que­ment il en sera de même pour la dimi­nu­tion jus­qu’au prix de vingt francs.

ART. 8. — Les ouvriers cra­bot­teurs, wagon­neurs, por­teurs, chauf­feurs, for­ge­rons et méca­ni­ciens ne pour­ront jamais être rétri­bués à des prix inté­rieurs à ceux indi­qués ci-dessous.

Quel que soit le prix de vente du mille de fla­mande en des­sous de 20 francs, savoir :

Les cra­bot­teurs à rai­son de 5 francs par jour­née de huit heures. Les méca­ni­ciens, chauf­feurs et for­ge­rons à rai­son de 4 fr. 50 par jour­née de dix heures.

Ces ouvriers rece­vront une aug­men­ta­tion pro­por­tion­nelle à celle des ouvriers mineurs et fen­deurs, lorsque les salaires de ces der­niers seront augmentés.

(L’ar­ticle 11 com­porte une échelle mobile de salaires. Le prix de base est de 20 francs. Le mini­mum, des salaires varie depuis 3 fr. 60, 6 fr. 20, 7 fr. 20, 8 fr. 20 le mille d’ar­doises, sui­vant les qua­li­tés.)

ART. 14. — La dis­tance où devront se rendre les ouvriers pour trans­por­ter leurs décombres ne pour­ra dépas­ser dix mètres et cent mètres pour trans­por­ter les ardoises.

L’é­clai­rage, le chauf­fage des baraques et chan­tiers est à la charge de la Société.

[|RETRAITES OUVRIÈRES|]

Lorsque les ouvriers (mineurs, fen­deurs ou autres) devien­dront âgés ou, par suite de bles­sures, ne pour­ront plus faire le tra­vail qu’ils font habi­tuel­le­ment, la Socié­té conces­sion­naire ne pour­ra jamais les ren­voyer. Elle devra les repla­cer sur les cra­bo­tages ou à l’ar­ran­ge­ment des décombres, à rai­son de quatre francs par jour.

Cepen­dant, s’il se trouve des ouvriers qui ont consa­cré vingt années de ser­vice à la Socié­té, ceux-là devront tou­jours être payés comme les autres ouvriers, atten­du qu’ils auront fait pen­dant le temps de leur jeu­nesse le béné­fice de ladite Société.)]

L’ar­ticle 21 met à la charge du conces­sion­naire en cas d’ac­ci­dent les frais médi­caux, phar­ma­ceu­tiques, et en cas de mort, la somme néces­saire pour sub­ve­nir aux besoins de la famille.

[|Révi­se­ra-t-on la loi sur les mines ?|]

Voi­là ce qu’une simple muni­ci­pa­li­té a pu faire sous l’Empire.

Voi­là ce qu’elle obtient aujourd’­hui encore de la Socié­té concessionnaire.

Pour­quoi donc l’Al­gé­rie n’ose-t-elle pas exi­ger de Krupp et de Schnei­der, les mêmes avan­tages pour les tra­vailleurs ? Pour­tant la situa­tion est la même.

Si la com­mune de Fumay est pro­prié­taire du ter­rain où sont creu­sées les ardoi­sières, l’Al­gé­rie, elle aus­si, est pro­prié­taire de la forêt doma­niale où se trouvent les minières.

Pour les mines, l’É­tat ne le peut qu’à la condi­tion de révi­ser la loi de 1810. Dans la légis­la­tion pré­sente, les condi­tions de conces­sion sont fixes et déter­mi­nées ; le Conseil d’É­tat, dans ses séances des 19 et 26 décembre 1907, a conclu à la néces­si­té, si l’on désire intro­duire de nou­velles dis­po­si­tions dans les futures conces­sions, de faire modi­fier la loi par les Chambres.

Le devoir des Syn­di­cats de mineurs était de créer une agi­ta­tion autour de cette ques­tion des conces­sions. Les mineurs du Pas-de-Calais ont lais­sé, sans ouvrir a bouche, accor­der une dizaine de conces­sions en 1909. Nous avons, grâce à une lutte de deux ans, empê­ché qu’il en soit fait de même pour la Meurthe-et-Moselle. Mais l’é­chéance approche. L’af­faire de l’Ouen­za qui pose la ques­tion de prin­cipe va-t-elle se ter­mi­ner en queue de poisson ?

Nous ne nous las­se­rons pas de le répé­ter : l’É­tat peut et doit exi­ger des capi­ta­listes cos­mo­po­lites qui vont acca­pa­rer ces richesses, une part pour les tra­vai­leurs qui les extrairont.

I1 peut et doit obte­nir pour eux, comme à Fumay : Mini­mum de salaires ; échelle mobile selon le prix du mine­rai ; repos heb­do­ma­daire ; jour­née de huit heures, etc…

Aucun dépu­té n’a éle­vé la voix, aucun par­ti n’a deman­dé que l’Al­gé­rie suive l’exemple de la com­mune de Fumay. Rien n’a été fait pour modi­fier la loi de 1810 sur les mines.

C’est un fait. Je le constate.

Faut-il attri­buer ce silence géné­ral des par­le­men­taires à l’in­fluence du Comi­té des Forges ? Cette hypo­thèse s’im­pose. Le Comi­té des Forges dis­pose dans le Par­le­ment et dans l’É­tat d’une puis­sance occulte for­mi­dable. Celle-ci s’est mani­fes­tée d’une façon inces­sante et pal­pable au cours des conflits et des pro­cès sou­te­nus à pro­pos de l’Ouen­za. C’est ce que nous allons mon­trer maintenant.

(à suivre)

A. Mer­rheim

La Presse Anarchiste