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Nous considérions cette enquête comme terminée.
Mais nous recevons de notre camarade Georges Bastien la réponse ci-dessous, et comme elle expose des idées qui s’éloignent sensiblement de la presque totalité des réponses qu’a publiées la R.A., nous pensons qu’il est utile de la publier, afin de faire entendre tous les sons de cloche.
Cette réponse de Bastien mettra fin à notre enquête sur le Fonctionnarisme Syndical.
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En limitant l’enquête à la seule question du fonctionnarisme syndical, on se condamne à tourner dans un cercle vicieux, impossible à franchir. Et je constate qu’au fur et à mesure que l’enquête se poursuit, la question s’élargit et c’est toute l’organisation syndicale qui est en jeu.
Vouloir limiter le nombre des fonctionnaires, la durée de leur mandat, leurs pouvoirs, c’est faire comme ceux qui proposent des retouches au système électoral, espérant nous donner une « bonne République ».
Les fonctionnaires qu’on chassera par la porte rentreront par la fenêtre. Qui empêchera un secrétaire d’U.D. de devenir permanent d’un parti et de redevenir permanent syndical, alternativement ? Et les localités où on ne trouvera pas de remplaçants ? Et les sales individus qui, sachant qu’ils doivent s’en aller, après avoir pris goût au farniente des bureaucrates, profiteront de leur passage pour se créer des situations futures, quitte à trahir pour arriver à ce résultat. Et tous les cas d’espèces, qui se présenteront continuellement et finiront par faire du règlement un vulgaire chiffon de papier.
Allez donc dans chaquz ville où existent un ou plusieurs permanents ; essayez de solutionner la question localement, et vous m’en direz des nouvelles.
J’attends, à la pratique et à l’expérience, le résultat des réformettes qu’on veut apporter au fonctionnarisme syndical. Je suis à l’avance sûr du résultat négatif de l’expérience qu’on veut tenter, véritable cautère sur une jambe de bois.
La fonction crée l’organe, dit la science. Cette vérité est plus que démontrée dans le syndicalisme.
Le système d’organisation syndicale, tel qu’il existe dans les deux C.G.T., est une véritable mécanique compliquée qui nécessite des mécaniciens pour fonctionner.
Conservez un bureau confédéral, des Fédérations d’industrie, des U.D. ou U.R. et essayez de les faire marcher sans fonctionnaires, pour voir un peu. Chacun de ces organismes, véritable État en miniature, à l’heure actuelle, et État grandeur nature dans la société post-révolutionnaire, se conduit et est fatalement appelé à se conduire comme tout État. Il tend à résorber en lui, peu à peu, toute la vie syndicale : propagande, action, solidarité, etc… et, naturellement, plus ses attributions grandissent, plus son fonctionnarisme doit se développer.
Les militants qui agissent dans le milieu spécial des organisations centralisées finissent par voir les choses d’une façon tellement générale, haut placée, qu’ils n’ont bientôt plus rien de commun avec les masses (le joli mot ?) leurs désirs, leurs aspirations. Au lieu de l’action des foules, c’est bientôt la décision des Comités, les manœuvres de coulisse, la popote plus ou moins trouble qui prédomine chez ces militants.
Ce syndicalisme de Comités ressemble bougrement au parlementarisme tant décrié dans nos milieux. Comparez les luttes de tendances et des personnalités aux batailles électorales, vous serez frappés de la ressemblance.
Ce n’est pas de ce milieu-là que viendra la mort du fonctionnarisme, c’est au contraire là qu’il germe, prend racine et s’épanouit ensuite sous les chauds rayons d’une caisse fortement alimentée par les cotisations des syndiqués.
Nous sommes d’accord sur ce point : le fonctionnarisme est une plaie pour le mouvement syndical. Mais on ne guérit un mal qu’en s’attaquant à ses causes.
Les causes, ce sont : d’une part, la copie du système parlementaire et démocratique qui aboutit à la prédominance des Comités, Commissions, Bureaux, etc… ; de l’autre, la centralisation de fait, sinon de principe, qui complique tout le mécanisme syndical.
Ne pas s’attaquer à ces causes, chercher à les anéantir, et parler d’amélioration du fonctionnarisme, c’est se tromper ou tromper les autres.
Ceux qui veulent des organisations centrales, des C.G.T., des Fédérations, des Unions régionales, administrant, gouvernant le mouvement ouvrier doivent logiquement en accepter les conséquences. Si l’on conserve la machine, il faut garder les machinistes.
Je conclus. Supprimons le bureau confédéral, les bureaux fédéraux, les autres organismes départementaux ou régionaux, et nous supprimerons, en même temps que la fonction, le fonctionnaire.
Que toute la force active du syndicalisme se fasse localement, par l’union en un syndicat unique ou en une liaison étroite de tous les éléments corporatifs d’une localité. Là, chez nous, nous avons un contrôle direct, toutes les facilités de savoir ce qui se passe et ce qui se fait dans notre organisation, que nous n’aurons jamais dans un Comité Central, dont on nous fermera la porte si nous sommes trop mauvais coucheurs.
Que toute l’action, l’éducation, la propagande soit faite directement par les syndiqués, chez eux, et non plus là-haut, à Paris.
Si l’information, la statistique, les conditions de travail, les recherches techniques, les services d’édition, de propagande, les renseignements juridiques, etc., en un mot toutes les œuvres qui peuvent mettre debout nos organisations ouvrières nécessitent du personnel, embauchons des employés compétents dans la forme exprimée par Le Meillour, mais ce personnel accessoire n’aura rien à voir dans l’administration ni l’orientation du syndicalisme. Chargés d’un travail déterminé pour lequel ils seront rétribués, ils n’auront qu’à s’occuper de ce travail et, pour le reste, rentreront comme simples syndiqués dans leur corporation ou leur syndicat unique.
Les Unions locales ou les syndicats d’une même corporation pourront créer par libre-entente de ces organismes à qui ils ne verseront que les sommes nécessaires à leur fonctionnement ; c’est une affaire d’utilité à discuter et établir entre les intéressés.
Mais, de grâce, qu’on laisse ces organismes accessoires à leur seul rôle d’information, statistique, technique, liaison, etc., et qu’on ne vienne pas nous les imposer en Comités directeurs, en Chambre des députés en miniature, fabriquant des lois, donnant des ordres et raflant les cotisations.
Puisqu’il y a actuellement crise du syndicalisme, révolution dans le mouvement ouvrier, puisque l’autorité des Jouhaux et consorts est méconnue — tout au moins par nous — établissons de suite la Maison Nouvelle du Syndicalisme sur les bases du Fédéralisme effectif, de l’Autonomie des syndicats.
Autrement, discuter sur les réformes à apporter aux modalités du fonctionnarisme, c’est bien perdre son temps.
Venu au monde sur le fumier parlementaire et centraliste, Il continuera à grandir, étouffant tout le reste et narguant toutes les illusoires entraves.
[/Georges