La Presse Anarchiste

Adieux à la Revue Comique

Être comique est chose trop ardue pour dame Revue, aus­si s’es­saie-t-elle au pédan­tisme, et natu­rel­le­ment y réus­sit mieux. Elle avoue aca­dé­mi­que­ment qu’elle a beau­coup ri en nous lisant — c’est sa manière à elle de réflé­chir. Mau­vais signe, les inno­cents réflé­chissent de même. 

Pour ce qui est de nous, ses filan­dreuses tar­tines, mal­gré toutes leurs comiques qua­li­tés, n’ont pas eu le don de nous égayer. Dans quelques dou­zaines d’é­pi­thètes, que son plu­mi­tif a maca­ro­ni­que­ment enfi­lées à queue leu leu, nous n’en retien­drons qu’une. Il nous accuse de voyou­cra­tisme. Pouah ! ce n’est pas agréable de cou­doyer de sales gens comme nous. Mais à qui la faute sinon à lui ? Il devait bien sup­po­ser que nous sommes mal édu­qués. Il le sait aujourd’­hui et contrit, annonce qu’il ne s’a­bais­se­ra pas jus­qu’à polé­mi­quer avec tant piètre compagnie. 

C’est très aris­to­cra­tique, mais ce n’est que ça ! Cette suf­fi­sance aus­si empha­tique que pré­somp­tueuse, — tout en s’in­gé­niant à être mépri­sante, — ne cache­rait-elle pas une igno­rance crasse du sujet à trai­ter ? Quoi de plus com­mode, pour un cancre bour­geois, que de feindre le mépris et se déro­ber par cette tan­gente à une dis­cus­sion dans laquelle on craint de n’a­voir à oppo­ser à ses adver­saires que des lam­beaux de phrases creuses et redou­tantes, et pas la moindre bribe de raisonnement. 

Sem­blable atti­tude nous remet en mémoire le renard de la fable que cha­cun connaît ; il avait envie folle de man­ger les superbes rai­sins de la treille, mais 

Comme il n’y pou­vait atteindre

Ils sont trop verts dit-il et bons pour des gou­jats

Le plu­mi­tif qui nous occupe agit d’i­den­tique façon ; il aurait grande envie de rétor­quer nos argu­ments — mais cela n’est pas des plus faciles — sur­tout pour lui ! Pour sor­tir de ce mau­vais pas avec les hon­neurs de la guerre, il simule un dédain pyra­mi­dal et déclare que doré­na­vant il ne s’at­tar­de­ra pas à vou­loir réfu­ter nos lieux com­muns.

Quant à vos sou­haits, ô Revue, nous n’en avons que faire ; tou­jours est-il qu’ils sentent dian­tre­ment le vinaigre. Et à ce pro­pos échange de bons pro­cé­dés, vou­lez-vous ? Pas­sons-nous séné et rhu­barbe ; à nous un conseil, à vous un autre : Désha­bi­tuez-vous de cette manie que vous tenez de vos très bons amis les jésuites, et qui consiste à dégui­ser sous de miel­leuses et dou­ceâtres paroles, la mal­veillance et la haine que vous nour­ris­sez contre des ennemis. 

Il est vrai que pro­ba­ble­ment cela vous est aus­si dif­fi­cile que d’être comique où sen­sée, car dans votre monde cet hypo­crite dégui­se­ment don­né à la pen­sée, est consi­dé­ré comme une des formes du savoir-vivre et du bon ton. 

Aux voyous seuls on tolère le talent mes­quin et peu enviable, croyez-vous, de s’ex­pri­mer fran­che­ment, sans réti­cences ni tartufferies.

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