La Presse Anarchiste

Correspondance

Par­cou­rez les jour­naux de n’im­porte quel par­ti, et vous ver­rez par­tout les symp­tômes d’une socié­té en voie de dissolution.

Çà et là, dans les pays ruraux, à Scan­dri­glia, à Cagna­no„ eu Véné­tie, en Émi­lie, le peuple s’é­meute, tan­tôt contre les pro­prié­taires, tan­tôt contre le gou­ver­ne­ment. À Scan­dri­glia et Car­ra­ra, le sang a cou­lé ; il y a eu des morts et des blessés.

La misère aug­mente tou­jours la pel­la­gra, le typhus et la fièvre mias­ma­tique font par­tout des ravages. Dans les villes, allez voir ces femmes en gue­nilles, la faim peinte sur le visage, traî­nant avec elles leurs enfants bla­fards et mala­difs, faire queue devant les Monts de piété (

Les bour­geois voient, et la frayeur com­mence à les prendre. Dans les jour­naux, comme dans les cercles et asso­cia­tions répu­bli­caines et monar­chistes, qui autre­fois ne dai­gnaient pas par­ler de la canaille, — la ques­tion sociale devient l’ob­jet des pré­oc­cu­pa­tions. On se dépeint le tableau : d’employés qui, par­tout, pillent les caisses de l’É­tat, et sou­vent indiquent même au public les meilleurs moyens de faire ces hon­nêtes opé­ra­tions ; de la contre­bande qui, sans avoir jamais ces­sé d’être dans nos mœurs, prend aujourd’­hui des pro­por­tions de plus en plus immenses ; de jurés qui (comme à Paler­mo), acquittent des hommes ayant froi­de­ment avoué eux-mêmes leurs assas­si­nats ; du peuple de Naples applau­dis­sant et lan­çant des fleurs sur tel camor­riste qui vient de tuer un mou­chard ou sur tel autre qu’on déporte pour n’im­porte quel acte ; des sym­pa­thies géné­rales que sou­lève dans le peuple tout cri­mi­nel, pour­vu qu’il n’ait pas été féroce ou lâche, et du mécon­ten­te­ment popu­laire dès qu’on le condamne ; on se raconte mille et mille faits qui démontrent jus­qu’à quel point le prin­cipe de l’au­to­ri­té tombe en mépris, ain­si que celui de la pro­prié­té, à peine sau­ve­gar­dée par les gen­darmes, — et on crie au dan­ger social. Un jour­nal de Bologne dit qu’il se pour­rait bien que les jurés acquit­tassent Pas­sa­nante, et il se demande avec effroi : Et alors ?

Et il y a encore des bour­geois qui pensent sau­ver la posi­tion en prê­chant l’épargne (

Mais le gros de l’ar­mée réac­tion­naire a en réserve des moyens plus sérieux que ça : il estime que la bête à trop de sang, et qu’il fau­drait la sai­gner. Et puis, tous sont d’ac­cord que la cause de tous les mal­heurs, c’est l’In­ter­na­tio­nale. Le gou­ver­ne­ment tombe évi­dem­ment d’ac­cord avec ces der­niers. On empri­sonne nos amis avec acharnement.

Quant à nous, nous tâchons de pous­ser le sys­tème jus­qu’à ses der­nières consé­quences ; et nous tra­vaillons à trans­for­mer le cri de détresse, pous­sé aujourd’­hui par le peuple, en un cri de fureur.

Vers la fin du mois, nous assis­te­rons, paraît-il, au pro­cès de Pas­sa­nante, dont la conduite très digne lui attire les sym­pa­thies et l’ad­mi­ra­tion de tout homme de cœur.

Je vous tien­drai au cou­rant de tous les détails du procès.

La Presse Anarchiste