La Presse Anarchiste

Correspondance

On nous écrit d’Espagne :

« La misère et l’é­mi­gra­tion aug­mentent de jour en jour. On pour­rait dire sans exa­gé­rer, que la misère est actuel­le­ment la condi­tion de la majo­ri­té des ouvriers. Dans cer­tains endroits, elle a atteint de si grandes pro­por­tions que, vu l’at­ti­tude mena­çante des ouvriers sans tra­vail, les auto­ri­tés ont com­men­cé a for­cer les riches à venir au secours des indigents.

La confis­ca­tion et la vente des fermes des petits pro­prié­taires, pour cou­vrir les contri­bu­tions, conti­nuent. Et, en même temps les fonc­tion­naires et toute la bande de ceux qui sont en bons termes avec le gou­ver­ne­ment, pro­fitent du moment pour s’en­ri­chir par les pro­cé­dés les plus malins et les plus indignes. On ne sau­rait s’i­ma­gi­ner un spec­tacle plus déso­lant, au point de vue éco­no­mique, que celui que pré­sente à l’heure actuelle notre pays.

Comme de rai­son, cette situa­tion a une grande influence sur la situa­tion poli­tique. Tous pres­sentent ; dési­rent, et craignent en même temps, une com­mo­tion qui ren­ver­se­ra la dynas­tie. On désigne des termes plus ou moins rap­pro­chés pour cet évé­ne­ment, et on assure, sur­tout les consti­tu­tion­na­listes de second rang, qu’il ne se pas­se­ra pas un mois sans qu’on arrive à la chute d’Al­phonse. Le pré­texte de l’in­sur­rec­tion serait le fait, que les Cor­tès ne pensent à rien moins qu’à se dis­soudre, tan­dis que leur exis­tence légale cesse le 13 de ce mois.

Je ne crois pas beau­coup à ces termes fixés d’a­vance pour l’exis­tence de la Monar­chie ; puisque je ne crois pas qu’il entre dans les plans des chefs du par­ti consti­tu­tion­nel de faire appel à l’in­sur­rec­tion, lors­qu’ils ne se ver­ront pas arri­vés léga­le­ment au pouvoir.

Mais il est cer­tain, qu’é­tant don­née l’ex­ci­ta­tion géné­rale qui règne aujourd’­hui, et le gou­ver­ne­ment ayant per­du tout son pres­tige par une série de cir­cons­tances qu’il serait trop long d’é­nu­mé­rer, — il suf­fi­ra de la moindre chose, si impré­vue et insi­gni­fiante qu’elle soit, pour­vu qu’elle mette en échec la force des auto­ri­tés, pour que le mécon­ten­te­ment et la révo­lu­tion passent de l’é­tat latent à l’é­tat visible.

Et, — à moins que je ne me trompe bien for­te­ment, — la révo­lu­tion aura une teinte pro­non­cée de socia­lisme. C’est pré­ci­sé­ment cela que craignent les chefs des par­tis poli­tiques, et c’est sur­tout cela qui les fait hési­ter ; ils craignent, et craignent avec rai­son, de se voir, le len­de­main d’une insur­rec­tion, chas­sés des postes qu’ils ont si long­temps convoités.

Que le gou­ver­ne­ment s’at­tend à une insur­rec­tion, c’est assez évident, à mon avis, par le seul fait qu’on vient de créer des cadres, dans les­quels près de six mille chefs et offi­ciers, mis autre­fois en dis­po­ni­bi­li­té et mécon­tents, vont trou­ver de bons traitements.

L’ordre, don­né à Mar­ti­nez Cam­pos de reve­nir de Cuba, est aus­si signi­fi­ca­tif ; car vous savez que c’est lui, — à Sagun­to, — qui, à la tête d’une bri­gade, a pro­cla­mé Alphonse roi d’Es­pagne. Cer­tai­ne­ment, Cano­vas ne veut pas qu’on dise, si la dynas­tie croule, qu’elle a crou­lé par l’ab­sence de celui qui l’a installée.

Après l’exé­cu­tion d’O­li­va, les socié­tés ouvrières qui étaient encore tolé­rées à Tar­ra­gone ont été dis­soutes, ain­si qu’une socié­té coopé­ra­tive à Olve­ra. (pro­vince de Cadix), qu’on accuse de conni­vence avec l’Internationale.

À la pri­son de Jerez, on détient une quin­zaine d’ou­vriers, accu­sés d’af­fi­lia­tion à l’In­ter­na­tio­nale et de rébellion.

Les feuilles clan­des­tines se mul­ti­plient, mal­gré tous les soins pris par le gou­ver­ne­ment pour en trou­ver les éditeurs.

La feuille clan­des­tine El Vigia (feuille qui ne s’oc­cupe d’ailleurs que des impu­dences de la famille régnante ), étant géné­ra­le­ment attri­buée aux consti­tu­tion­na­listes, on vient de faire chez plu­sieurs d’entre eux des per­qui­si­tions qui, d’ailleurs, n’ont abou­ti à rien.

Même impuis­sance envers ceux qui, avec un but plus éle­vé, font acti­ve­ment une vraie cam­pagne révolutionnaire.

Une grève très impor­tante, au point de vue social, pré­oc­cupe le gou­ver­ne­ment : je parle de celle des colons de Valence, une des pro­vinces les plus riches de l’Es­pagne. Comme vous le savez, ces colons depuis plu­sieurs mois, refusent obs­ti­né­ment de payer la rente aux pro­prié­taires du sol. Ils y réus­sissent par­fai­te­ment. Beau­coup d’entre eux ont été fait pri­son­niers ; la garde civile par­court sans cesse la pro­vince, mais cela n’a­vance à rien.

La rente ne se paie pas et chaque jour on affiche des pro­cla­ma­tions sur les arbres. Le gou­ver­ne­ment a pris la réso­lu­tion… de chan­ger le gou­ver­neur actuel, qui, mal­gré tous ses méfaits, n’a eu aucun succès. »

La Presse Anarchiste