La Presse Anarchiste

Entre paysans

Que diriez vous si les mes­sieurs vou­laient s’emparer de l’air pour s’en ser­vir, eux, et nous en don­ner seule­ment un peu, et du plus cor­rom­pu, en nous le fai­sant payer par notre tra­vail et nos fatigues ? Or, la seule dif­fé­rence qu’il y a entre la terre et l’air, c’est que la terre ils ont trou­vé le moyen de s’en empa­rer et de se la par­ta­ger, tan­dis qu’ils n’ont pu le faire pour l’air ; mais croyez bien que si la chose était pos­sible, il en serait de l’air comme de la terre.

Jacques. – C’est vrai ; cela me parait juste : la terre et toutes les choses que perssnne n’a faite, devrait appar­te­nir à tous… Mais il y a des choses qui ne se sont pas faites toutes seules. 

Pierre. – Cer­tai­ne­ment, il y a des choses qui sont pro­duites par le tra­vail de l’homme, et la terre elle-même n’au­rait que peu de valeur, si elle n’é­tait pas défri­chée par la main de l’homme. Mais en bonne jus­tice ces choses devraient appar­te­nir à celui qui les pro­duit. Par quel miracle se trouvent-elles pré­ci­sé­ment dans les mains de ceux qui ne pro­duisent rien et qui n’ont jamais rien fait ? 

Jacques. – Mais les mes­sieurs pré­tendent que leurs pères ont tra­vaillé et épargné. 

Pierre. — Et ils devraient dire au contraire que leurs pères ont fait tra­vailler les autres sans les payer, jus­te­ment comme on fait aujourd’­hui. L his­toire nous enseigne que le sort du tra­vailleur a tou­jours été misé­rable et que celui qui a tra­vaillé sans frus­trer les autres n’a jamais pu faire d’é­co­no­mies et même n’a eu jamais assez pour man­ger à sa faim. 

Voyez l’exemple que vous avez sous les yeux : tout ce que le tra­vailleurs pro­duisent ne s’en va-t-il pas dans les mains des patrons qui s’en emparent ? Aujourd’­hui un homme achète pour quelques francs un coin de terre inculte et maré­ca­geuse ; il y met des hommes aux­quels il donne à peine de quoi ne pas mou­rir de faim, et pen­dant que ceux ci tra­vaillent, il reste tran­quille­ment à la ville à ne rien faite.

Au bout de quelques années cette pièce de terre inutile est deve­nue un jar­din et vaut cent fois plus qu’elle ne valait a l’o­ri­gine. Les fils du pro­prié­taire qui héri­te­ront de cette for­tune, diront eux aus­si qu’ils jouissent du fruit du tra­vail de leur père, et les fils de ceux qui ont réel­le­ment tra­vaillé et souf­fert conti­nue­ront à tra­vailler et à souf­frir. Que vous en semble ? 

Jacques. – Mais… si vrai­ment, comme tu dis, le monde à tou­jours été ain­si, il n’y a rien à faire, et les patrons n’y peuvent rien.

Pierre. – Eh bien ! je veux admettre tout ce qui est favo­rable aux aux mes­sieurs. Sup­po­sons que les pro­prié­taires soient tous les fils des gens qui ont tra­vaillé et épar­gné, et les tra­vailleurs tous fils d’hommes oisifs et dépen­siers ! Ce que je dis est évi­dem­ment absurde, vous le com­pre­nez ; mais quand bien même les choses seraient ain­si, est-ce qu’il y aurait la moindre jus­tice dans l’or­ga­ni­sa­tion sociale actuelle ? Si vous tra­vaillez et que je sois un fai­néant, il est juste que je sois puni de ma paresse, mais ce n’est pas une rai­son pour que mes fils, qui seront peut-être de braves tra­vailleurs, doivent se tuer de fatigue et cre­ver de faim pour main­te­nir vos fils dans l’oi­si­ve­té et dans l’abondance. 

Jacques. – Tout cela est très beau et je n’y contre­dis pas, mais enfin les mes­sieurs ont la for­tune et à la fin du compte nous devons les remer­cier, parce que sans eux on ne pour­rait pas vivre. 

Pierre. – S’ils ont la for­tune c’est qu’ils l’ont prise de force et l’ont aug­men­tée en pre­nant le fruit d a tra­vail des autres. 

(À suivre)

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