La Presse Anarchiste

Les luttes au Portugal

« Nous vou­lons être des mili­ciens de la liber­té, mais pas des sol­dats en uni­forme. L’ar­mée a mon­tré qu’elle était un dan­ger pour le peuple ; seules, les milices popu­laires pro­tègent les liber­tés publiques : mili­ciens, oui ! sol­dats, jamais !

Tier­ra y Liber­tad (organe de la C.N.T.) Bar­ce­lone, 1939.

Nous pou­vons affir­mer que la vie dans les casernes s’est modi­fiée après le 25 avril. En effet, le mécon­ten­te­ment géné­ral et la crise d’au­to­ri­té (aggra­vée avec le 25 avril) rendent plus aiguë l’op­po­si­tion sol­dat – gra­dé, l’in­dis­ci­pline se mani­fes­tant à tous les niveaux. Le refus des ser­vices, les muti­ne­ries et le maté­riel dété­rio­ré dans la plu­part des uni­tés en témoignent.

La com­plexi­té de la machine mili­taire et l’ur­gence néces­saire à sa capa­ci­té de riposte excluent toute fai­blesse, en par­ti­cu­lier de type dis­ci­pli­naire. L’in­dis­ci­pline conduit for­cé­ment à la désa­gré­ga­tion de l’armée.

Bien sûr, ceci ne se véri­fie pas dans les « troupes spé­ciales » ; étant don­né les objec­tifs d’ef­fi­ca­ci­té maxi­male, l’ar­mée por­tu­gaise a besoin d’une force extrê­me­ment dis­ci­pli­née et spé­cia­le­ment entraî­née. Les paras comme des bêtes dres­sées qu’ils sont, réagissent vite et ils ont déjà mon­tré leur effi­ca­ci­té dans les mas­sacres en Afrique et dans la répres­sion poli­cière au Por­tu­gal. Leur dis­ci­pline est basée sur une sou­mis­sion canine à la hié­rar­chie et sur la déper­son­na­li­sa­tion totale. Le para ne défend pas des valeurs morales ou des idéo­lo­gies, il est une machine à faire la guerre. Inca­pable d’a­voir une autre inser­tion sociale le para entre­tient son propre mythe.

Dans cette socié­té, où l’in­di­vi­du réa­lise ses obses­sions dans les actions des autres et dans les images repré­sen­tées par les autres, fleu­rit encore un mythe, celui de la tenue léo­pard. L’ha­bit fait le moine, le béret noir avec l’é­toile fait le Che Gue­va­ra, la tenue léo­pard fait le Com­man­do. Dis­tri­buer plu­sieurs mil­liers de tenues léo­pards des­ti­nées aux cam­pagnes colo­niales à la troupe qui en vou­lait et qui n’en avait jamais eu, c’é­tait joindre l’u­tile à l’a­gréable. Peut-être le sol­dat se sen­ti­ra-t-il para, et devien­dra-t-il dis­ci­pli­né comme lui…

Cette manoeuvre vise à réta­blir la dis­ci­pline et l’ordre dans une armée qui a per­du son effi­ca­ci­té. Il s’a­git de l’in­dis­pen­sable réor­ga­ni­sa­tion de l’ap­pa­reil d’É­tat, vitale en ce moment pour le Gou­ver­ne­ment Pro­vi­soire qui doit acqué­rir de toute urgence le contrôle de la situa­tion. Dans cette bataille, le MFA, avec l’aide des forces de gauche et d’ex­trême gauche et en s’ap­puyant sur les offi­ciers du contin­gent, essaie de convaincre les sol­dats de par­ti­ci­per au « pro­ces­sus révo­lu­tion­naire » par le tru­che­ment des « Assem­blées d’U­ni­té ». Le fruit inter­dit de la « démo­cra­tie interne » dans les casernes n’est auto­ri­sé qu’a­vec un maxi­mum de « res­pon­sa­bi­li­té, d’ordre et de dis­ci­pline ». Ces organes « démo­cra­tiques » fonc­tionnent comme des struc­tures de pou­voir en rap­port direct avec le Com­man­de­ment de l’U­ni­té, exer­çant un contrôle direct sur les sol­dats « dans l’ac­com­plis­se­ment du devoir ». Aus­si, ayant en vue la réor­ga­ni­sa­tion de l’ar­mée (la rendre plus effi­cace et plus opé­ra­tion­nelle) plu­sieurs offi­ciers incom­pé­tents ont été éli­mi­nés en même temps que des jeunes offi­ciers étaient éle­vés au grade de capi­taine, colo­nel ou géné­ral, selon la « hié­rar­chie des com­pé­tences ». Cepen­dant, il faut recon­naître que si ce pro­ces­sus de démo­cra­ti­sa­tion de l’ar­mée a pour but un meilleur contrôle des sol­dats de la part des Com­man­de­ments des Uni­tés, il risque d’être très dan­ge­reux pour ces der­niers puisque les déci­sions de la base pour­ront faci­le­ment se dres­ser contre les inté­rêts du Commandement.

Donc, il faut aller au delà de l’é­li­mi­na­tion des fas­cistes et des incom­pé­tents, ce qui ne fait que contri­buer à la struc­tu­ra­tion d’une armée forte.

Il faut com­prendre que la fonc­tion de l’Ar­mée ne se limite pas à la défense du ter­ri­toire et à aider la police quand celle-ci n’a pas assez de force : l’ar­mée a tou­jours four­ni des cadres au PSP, à la Police Judi­ciaire, à la GNR, à la PIDE, à la Légion, etc. La conso­li­da­tion de la dic­ta­ture mili­taire passe néces­sai­re­ment par la cen­tra­li­sa­tion du pou­voir mili­taire et poli­cier dans un com­man­de­ment unique : le COPCON.

L’ar­mée, qu’elle soit fas­ciste, démo­cra­tique, socia­liste ou popu­laire, sera tou­jours la colonne ver­té­brale de la machine d’État.

La seule posi­tion révo­lu­tion­naire face à l’ar­mée est sa destruction.

Il faut accen­tuer l’op­po­si­tion natu­relle soldat/​gradé en encou­ra­geant la révolte et l’in­dis­ci­pline dans les casernes, en refu­sant de répri­mer les tra­vailleurs, en refu­sant les embar­que­ments éven­tuels pour les colo­nies, en refu­sant de par­ti­ci­per à la lutte d’une frac­tion poli­tique de l’ar­mée contre une autre.

Les sol­dats en tant qu’op­pri­més devront tour­ner leurs armes contre tous les oppres­seurs, se refu­sant au contrôle d’une force poli­tique quelconque.

La Révo­lu­tion Sociale détrui­ra toutes les illu­sions et les alié­na­tions des hommes. Les pro­duc­teurs s’as­so­cie­ront libre­ment dans des com­munes de façon à pro­duire le néces­saire pour la satis­fac­tion de leurs besoins de consom­ma­tion. Et à ceux qui invoquent la néces­si­té d’une armée pour la défense contre les attaques de la « réac­tion interne et de l’im­pé­ria­lisme inter­na­tio­nal », les révo­lu­tion­naires répon­dront en créant des forces non pro­fes­sion­nelles créées sur la base du volon­ta­riat et de l’af­fi­ni­té per­son­nelle, et ils refu­se­ront le prin­cipe d’au­to­ri­té et de hié­rar­chie. Ces forces ne seront les appen­dices d’au­cune armée rouge, ni l’exé­cu­tif d’au­cun pou­voir popu­laire, mais des organes de la volon­té révo­lu­tion­naire pour trans­for­mer le monde, pour chan­ger la vie.

Lis­bonne, juillet 1975

Bul­le­tin de l’As­so­cia­tion de Groupes Auto­nomes Anarchistes. 
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