La Presse Anarchiste

Révolutionnaires ?

Nous sommes révo­lu­tion­naires pour une rai­son très simple : il existe par le monde dif­fé­rents ordres et ces ordres, nous les refu­sons. Or, la révo­lu­tion, dans sa défi­ni­tion la plus com­mu­né­ment admise, est un chan­ge­ment, dans l’ordre des choses existant.

On peut, en sché­ma­ti­sant, clas­ser les ordres exis­tants en ce monde actuel en quatre. caté­go­ries : l’ordre capi­ta­liste (U.S.A, pays de l’Eu­rope dite occi­den­tale, Aus­tra­lie et Japon) ; l’ordre mar­xiste. (U.R.S.S., Chine, pays de l’Eu­rope dite orien­tale et Cuba) ; l’ordre semi féo­dal (pays de l’A­mé­rique Latine.) ; et, enfin, les pays du tiers monde, afri­cains et asia­tiques, qui repré­sentent un mélange varié des trois pre­miers ordres, plus ou moins sou­mis aux influences capi­ta­liste, mar­xiste et féo­dal (sous la forme tri­bale), mais qui s’i­den­ti­fient, pour la presque tota­li­té, par un trait poli­tique com­mun : la dic­ta­ture civile ou militaire.

Dans aucun de ces pays, on ne peut trou­ver la moindre trace, même minime, d’une orien­ta­tion. vers une socié­té liber­taire, c’est à‑dire vers une. socié­té d’hommes libres, égaux et res­pon­sables. Les anar­chistes ne peuvent que reje­ter et com­battre tous ces régimes, qu’ils se réclament du capi­ta­lisme, du mar­xisme, du féo­da­lisme ou des formes hybrides du tiers monde.

Nous reje­tons et com­bat­tons le capi­ta­lisme parce que, quelques soient, les amé­lio­ra­tions appor­tées à une frac­tion de la classe ouvrière, ce régime res­ta basé sur le prin­cipe de l’ex­ploi­ta­tion de l’homme par l’homme, de la pro­prié­té pri­vée, de l’ac­cu­mu­la­tion du capi­tal et de toutes les inéga­li­tés et injus­tices qui en résultent.

Nous reje­tons et com­bat­tons le mar­xisme parce que, bien que celui-ci ait abo­li dans une large mesure la pro­prié­té pri­vée, il demeure basé sur une exploi­ta­tion de l’homme par le tru­che­ment d’une répar­ti­tion inéga­li­taire des biens de consom­ma­tion ― la mar­xisme res­ta donc, comme le capi­ta­lisme, une socié­té de classes.

Nous reje­tons et com­bat­tons, bien sûr, les régimes féo­daux de l’A­mé­rique Latine sans qu’il soit besoin d’en pré­ci­ser les raisons.

Nous reje­tons et et com­bat­tons, enfin, les régimes qui se sont ins­ti­tués dans les pays du tiers monde après l’é­vic­tion ou le retrait des puis­sances colo­nia­listes. En fait, sous le fal­la­cieux dra­peau d’un pseu­do socia­lisme, de petites mino­ri­tés autoch­tones d’a­ven­tu­riers sans scru­pules, avides de domi­na­tion et d’en­ri­chis­se­ment, se sont empa­rés des leviers de com­mande et exploitent leur propre peuple avec autant de féro­ci­té que les anciens domi­na­teurs capitalistes.

Cepen­dant, si nous reje­tons sans hési­ta­tion ces deux der­nières caté­go­ries de régimes (féo­da­lisme de l’A­mé­rique Latine et « socia­lisme » du tiers monde.), qui cumulent toutes les ini­qui­tés des deux pre­mières caté­go­ries, nous fai­sons pour celles-ci des distinctions :

― Le capi­ta­lisme offre les contrastes haïs­sables des plus grandes richesses et des plus grandes misères ― mais nous recon­nais­sons à ce régime le mérite de pra­ti­quer. l’exer­cice d’une liber­té rela­tive, mais réelle.

― Le mar­xisme a abo­li, par­tout où il a triom­phé, ce qui était l’une des reven­di­ca­tions essen­tielles du socia­lisme : l’exer­cice de la liber­té ― mais nous recon­nais­sons que ce régime a réa­li­sé ce qui était l’un des objec­tifs de la révo­lu­tion socia­liste l’a­bo­li­tion de la pro­prié­té pri­vée des moyens de pro­duc­tion et de distribution.

Ces mérites res­pec­tifs, liber­té rela­tive chez l’un, pro­prié­té col­lec­tive chez l’autre, sont cepen­dant insuf­fi­sant pour que les anar­chistes se rangent dans l’un ou l’autre camp.

Le pour­quoi de notre posi­tion révo­lu­tion­naire s’ins­crit dans la consta­ta­tion de ces réa­li­tés incon­tes­tables : nous com­bat­tons tous les régimes, quels qu’ils soient, basés sur l’i­né­ga­li­té éco­no­mique, l’ir­res­pon­sa­bi­li­té sociale et la non liber­té indi­vi­duelle et collective.

Comment

La révo­lu­tion, nait de la ren­contre de situa­tions poli­ti­co-éco­no­miques défi­nies et d’une volon­té de chan­ge­ment des couches pro­fondes du peuple.

Ain­si, dans les temps pré­sents et en dehors de tout juge­ment qua­li­fi­ca­tif, les insur­rec­tions russe, chi­noise et cubaine ― vic­to­rieuses ― espa­gnole et hon­groise ― vain­cues ― furent effec­ti­ve­ment des révo­lu­tions en ce que ces mou­ve­ments béné­fi­ciaient, à leurs ori­gines, d’un appui popu­laire incon­tes­table et avaient pour objec­tif un chan­ge­ment com­plet des struc­tures poli­tiques, éco­no­miques et sociales.

Par contre, on ne sau­rait qua­li­fier, à aucun titre, de révo­lu­tions les guerres dites de libé­ra­tion natio­nale, ni les coups d’é­tat opé­rés par cliques civiles ou mili­taires dont les objec­tif sont pure­ment poli­tiques, et qui consistent à rem­pla­cer une équipe diri­geante par une équipe rivale. Dans les deux cas, la majo­ri­té des masses popu­laires demeure dans l’ex­pec­ta­tive ou l’in­dif­fé­rence en face de ces affron­te­ments qui ne lui ouvrent aucune pers­pec­tive réelle de libé­ra­tion éco­no­mique ou sociale, ni même aucune amé­lio­ra­tion de leur niveau de vie ou de leurs liber­tés politiques.

Le seul résul­tat de ces luttes san­glantes, dont les peuples font les frais, est de his­ser au pou­voir des cote­ries avides de s’en­ri­chir tout en se camou­flant der­rière l’i­déo­lo­gie trom­peuse d’un faux socia­lisme ; de mul­ti­plier les fron­tières et de créer un foi­son­ne­ment de nou­velles « patries », dont la plu­part repré­sentent des enti­tés eth­nique, poli­tique, éco­no­mique et géo­gra­phique absurdes et inviables.

Les anar­chistes révo­lu­tion­naires refusent la déma­go­gie mar­xiste qui consiste ― au nom de l’in­ter­na­tio­na­lisme ― a exal­ter tous les natio­na­lismes latents et, au besoin, à en créer là où il n’en exis­tait pas.

Lier, comme le font les mar­xistes de toutes obé­diences, les luttes pour la libé­ra­tion « natio­nale » aux luttes pour la libé­ra­tion sociale repré­sente pour les peuples une dupe­rie san­glante, dont l’his­toire de ces cin­quante der­nières années démon­tra avec éclat l’inanité.

Exal­ter simul­ta­né­ment la révo­lu­tion et le natio­na­lisme ne peut abou­tir qu’à l’a­néan­tis­se­ment de la pre­mière au pro­fit du second. Les exemples de toutes les guerres « révo­lu­tion­naires » de libé­ra­tion natio­nale en sont la démons­tra­tion écla­tante : dans tous les pays libé­rés, le natio­na­lisme a anéan­ti la révolution.

Les anar­chistes révo­lu­tion­naires affirment donc avec force leur inter­na­tio­na­lisme et se refusent à par­ti­ci­per ou à sou­te­nir des mou­ve­ments insur­rec­tion­nels qui, dès les pre­mières heures, ne pro­cla­me­raient pas leur volon­té d’en finir avec le mythe san­glant des « indé­pen­dances » natio­nales, des nations et des patries ― fussent-elles socialistes.

Et d’en finir aus­si avec l’es­prit et les pra­tiques liber­ti­cides du marxisme.

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